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Au-delà de la «hype» sur la blockchain

Près d’un an après notre tribune «La France ne doit pas rater la révolution blockchain», nous avons voulu faire le point sur les derniers mois écoulés.

1. La blockchain est devenu un buzzword parfois agaçant… mais il faut prendre du recul vis-à-vis de la hype qui l’entoure

Plus de 1600 articles sont parus sur la blockchain rien que dans les médias français en l’espace de six mois. Au même titre que le mot-valise «uberisation» l’an passé, la blockchain s’est imposée comme le grand sujet de l’année dans le monde numérique, et même au-delà. Jusqu’à plus soif… Les mêmes exemples de projets reviennent souvent en boucle, alors même que certains ne sont plus d’actualité – citons ainsi le projet de cadastre au Honduras, annoncé début 2015, et qui n’a en réalité jamais vu le jour, n’ayant même jamais été confirmé par le pays en question (à l’inverse, le gouvernement de Géorgie a, lui, annoncé cette année officiellement le lancement d’un projet en la matière, dans une relative discrétion). De même, dans le domaine du covoiturage où l’on parle souvent d’«uberisation d’Uber» grâce à la blockchain, la start-up La Zooz est souvent citée mais a pourtant arrêté son développement il y a déjà plusieurs mois; quant au projet Arcade City, certes très intéressant, il n’a pour le moment encore rien de blockchain (l’intégration d’éléments blockchain a été plusieurs fois repoussée).

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Il existe pourtant de nombreux projets très prometteurs encore peu évoqués en France: citons ainsi la start-up Abra, qui veut révolutionner le transfert d’argent à l’international, via un système de multiples partenaires locaux, et qui fait de plus en plus parler aux Etats-Unis; OpenBazaar, une plateforme décentralisée d’échange de biens et services qui a ouvert au printemps; Augur, un marché prédictif décentralisé reposant sur la blockchain Ethereum; mais aussi Storj, Circle, Colony, etc.

Philippe Dewost, qui a lancé une initiative sur la blockchain à la Caisse des Dépôts, disait en mai lors du dernier OuiShareFest: «80% de ce qu’on peut lire dans la presse sur la blockchain est bullshit». Si le propos était sans doute volontairement exagéré, il est vrai qu’il faut parfois prendre quelques distances avec ce qu’on peut lire sur le sujet. Non, la blockchain en elle-même ne permet pas de stocker des fichiers, mais «seulement» des preuves d’existence, et n’est donc pas une alternative à Dropbox. Non, les transactions sur la blockchain Bitcoin ne sont pas véritablement anonymes, mais pseudonymes: on peut par exemple voir tous les pseudos des utilisateurs et montants échangés sur l’explorateur blockchain.info. Non, la blockchain Bitcoin ne s’est pas fait pirater ces derniers mois, ni même dernières années: ce sont certaines plateformes abritant des bitcoins qui ont été victimes de hack. La sécurité de la blockchain Bitcoin n’est pas remise en cause lors de ces piratages.

En réalité il faut prendre du recul sur l’intérêt médiatique entourant la blockchain et comprendre que celle-ci, créée en 2009 avec Bitcoin, existait bien avant que les médias ne s’en emparent, et continuera de se développer quoi qu’il se passe. Dans sa dernière étude sur le cycle de la hype des technologies émergentes, le cabinet Gartner place justement la blockchain pratiquement au sommet de la courbe. Il est donc probable que la «hype» qui l’entoure finisse par redescendre, le temps que les usages se développent.

2. La blockchain pourrait transformer fortement le monde financier… mais va bien au-delà de celui-ci

Le secteur bancaire et financier a été le premier, et de loin, à s’intéresser à la blockchain (suivi par le milieu assurantiel). A juste titre. Dans un rapport publié en août, le World Economic Forum estime d’ailleurs que «la blockchain est centrale pour le futur de la finance». A l’heure actuelle, les annonces de projets blockchain se concentrent souvent sur le secteur financier: on a par exemple appris à la rentrée que quatre grandes banques dont UBS et Deutsche Bank développent un système reposant sur la blockchain pour accélérer les procédures de règlement pour le paiement de titres financiers.

La blockchain ne doit toutefois pas être rangée sous l’étiquette FinTech: elle va bien au-delà. Il est bien possible que ce soit dans d’autres domaines que la finance qu’émergent les usages les plus spectaculaires. L’échange d’énergie en pair-à-pair via la blockchain fait partie de ces usages très prometteurs qu’il faudra suivre de près, de même que la sécurisation des données médicales, ou encore le paiement automatisé des royalties dans l’industrie musicale. D’autres applications dont on parle moins pourraient aussi émerger: citons ainsi la (re)vente de billets de spectacle ou de transports que la blockchain pourrait faciliter et sécuriser.

Attention donc à ne pas considérer la blockchain sous le seul spectre financier, d’autant plus que les projets en cours dans ce domaine, basés le plus souvent sur des blockchains privées, ne reprennent que partiellement les concepts de pair-à-pair et de transparence, et tendent plutôt à être de «simples» bases de données distribuées et sécurisées dont l’aspect révolutionnaire est plus discutable.

3. La blockchain mettra plusieurs années à se déployer entièrement… mais c’est bien maintenant qu’il faut s’y intéresser

Les limites actuelles de la blockchain sont connues: entre autres, la blockchain Bitcoin est aujourd’hui limitée à théoriquement sept transactions par seconde, contre une moyenne de 155 pour PayPal et 2000 pour Visa sur le réseau VisaNet. Mais ces limites techniques sont loin d’être insurmontables; le Lightning Network, un réseau de canaux de paiement en cours de développement qui viendrait se greffer par-dessus la blockchain Bitcoin, est aujourd’hui considéré comme une des solutions les plus prometteuses en la matière. «Les promesses du Lightning Network — des milliers de transactions par seconde avec des frais très faibles et des transactions instantanées — sont réalistes. Il n’y a aucun doute que ça se fera, mais certainement pas dès la première version» estime ainsi Nicolas Dorier, expert technique du bitcoin (et CTO de la startup Metaco), dans une interview donnée au printemps à Bitcoin.fr. La start-up française Acinq développe actuellement une implémentation de Lightning Network. La blockchain Ethereum, quant à elle, a commencé avec 10 transactions par seconde en 2015, mais vise 50 à 100 pour 2017, et 50 000 à 100 000 d’ici 2019, selon son fondateur Vitalik Buterin, interrogé en février par William Mougayar dans son ouvrage «The Business Blockchain».

En somme, si les blockchains ne sont pas encore prêtes aujourd’hui pour tous les différents usages envisagés, les avancées techniques permettent de penser que ces contraintes pourront être levées à moyen terme. Tout ne sera certes pas résolu par la technique, car d’autres défis, au moins aussi difficiles, attendent la blockchain (défi culturel vis-à-vis de l’image des cryptomonnaies et du pair-à-pair; défi juridique; défi organisationnel en termes d’implémentation…). Pour autant, «si les entreprises ne s’intéressent pas maintenant à la blockchain, le risque est que celle-ci arrive à un point d’inflexion à partir duquel il sera ensuite trop tard», estime le cabinet EY dans une étude récente.

De fait, après le temps de la découverte du sujet fin 2015 et début 2016, les expérimentations ont déjà commencé au sein des entreprises, sans qu’elles communiquent forcément sur le sujet. Ainsi Engie a conçu dans l’Yonne une infrastructure blockchain sur un réseau de compteurs d’eau connectés, qui permet de déclencher automatiquement l’appel d’un dépanneur en cas de fuite, grâce à des smart contracts. La BNP, de son côté, teste la blockchain pour l’enregistrement des transactions des start-ups en levée de fonds ; si l’expérimentation est concluante, la mise en service s’effectuera cet automne. Le Crédit Agricole travaille lui aussi sur un projet pilote. Plusieurs autres entreprises françaises, que nous accompagnons en ce moment, planchent sur le sujet en interne, sans communiquer. Même les organisations publiques ont commencé des expérimentations: nous avons ainsi travaillé au printemps avec la Banque de France pour la construction d’un proof-of-concept spécifique, et à l’étranger, le gouvernement britannique expérimente la blockchain pour la traçabilité des dépenses de prestations sociales, et l’Australie va la tester pour le vote en ligne.

En somme, si le concept de technologie distribuée représente un changement de mentalité qui mettra du temps à se diffuser dans les organisations, il faut s’y préparer dès maintenant pour éviter le syndrome Kodak lorsque les nouveaux usages apparaîtront. Pour reprendre la célèbre formule de Bill Gates: «on surestime toujours les changements qui se produiront dans les deux prochaines années et on sous-estime ceux qui se produiront dans les dix suivantes. Ne vous laissez par bercer par l’inaction».

blockchain-france-2016Claire Balva, Alexandre Stachtchenko, Clément Jeanneau et Antoine Yeretzian sont les quatre cofondateurs de Blockchain France, société spécialisée dans la démocratisation des technologies blockchain au sein des organisations. 

Ils ont notamment développé un MOOC à destination des entreprises, en partenariat avec Learn Assembly, qui sera lancé le 28 septembre prochain. 

 

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