La Blockchain, chaînon manquant de l’Intelligence Artificielle Générale?
Il ne fait de doutes pour personne que l’Intelligence Artificielle est l’avenir de l’homme. Pourtant ses applications sont encore peu performantes et très spécifiques, décevantes quand on les compare aux représentations de la culture populaire.
Aussi efficaces soient-ils, les algorithmes d’Intelligence Artificielle sont en effet contraints par le besoin pour s’entraîner de disposer de grands volumes de données, et par leur inutilité lorsque appliqués à d’autres usages que ceux pour lesquels ils ont été pensés.
La Blockchain facilite la résolution de ces problèmes en donnant à toute entité (humaine ou machine) la capacité d’échanger des informations et de l’argent de façon autonome et sécurisée, et pourrait par ce biais être la clé de l’Intelligence Artificielle Générale.
Vitalik Buterin, créateur génial (à 21 ans) de la Blockchain Ethereum, actuellement valorisée c. 4 milliard de dollars
- Rappel sur les Blockchains (Bitcoin, Ethereum…), les Smart Contracts, et l’Intelligence Artificielle
- En facilitant la constitution de bases de données vastes et de qualité, la Blockchain peut grandement améliorer l’entrainement des algorithmes d’IA
- Les robots qui vivent sur la Blockchain («Smart Contracts») sont capables de s’exécuter et de gérer des transactions financières sans le concours des humains. Cela rend possible une IA autonome, inarrêtable, et capable d’interagir avec le monde
Rappels sur la Blockchain, les Smart Contracts, et l’Intelligence Artificielle
Rappel sur les Blockchains
Fondamentalement, une Blockchain est une base de données (=une très grande feuille Excel) décentralisée (qui ne dépend pas d’un ordinateur en particulier) et inviolable, dont les utilisateurs contribuent au système en apportant de la puissance de calcul et/ou de la capacité de stockage.
Sur les Blockchains publiques comme Bitcoin ou Ethereum les droits et devoirs des participants s’autorégulent grâce à un système de «tokens», monnaie propre à chaque Blockchain qui récompense les fournisseurs de puissance et est demandée en paiement aux utilisateurs. Ces tokens ont une valeur d’échange sur les marchés financiers: c. 1000 dollars pour le bitcoin (token de la Blockchain Bitcoin), et 40 dollars pour l’ether (token de la Blockchain Ethereum).
Il existe de nombreuses Blockchains pensées pour des usages différents. La Blockchain Bitcoin est la plus célèbre mais est aussi la plus basique, car sa seule fonctionnalité est le transfert de son token, le bitcoin.
Les Blockchains modernes et les Smart Contracts
Les Blockchains modernes comme Ethereum sont particulièrement intéressantes en ce qu’elles offrent, en plus de la fonctionnalité «base de données» qui permet de gérer nativement le transfert de tokens (et donc les transactions financières), des capacités de stockage et de calcul qui les rendent comparables à des ordinateurs décentralisés.
Il est possible d’exécuter sur ces Blockchains modernes des «Smart Contracts», petits programmes autonomes qui une fois lancés sur le réseau échappent totalement à leurs créateurs et n’obéissent plus qu’à leur propre code source.
Autonomes et inarrêtables, les Smart Contracts sont des petits robots capables notamment de:
- Organiser des relations entre parties en suivant les règles de gouvernance prévues dans leurs codes sources. Par exemple collecter des votes et proclamer le vainqueur d’une élection
- Posséder des tokens (qui ont une valeur financière) et les envoyer à d’autres parties. Cette capacité donne au Smart Contracts un levier d’action sur le monde
- Créer d’autres Smart Contracts, pour se dupliquer ou s’améliorer
Les Smart Contracts sont particulièrement adaptés pour créer des organisations dont l’objet est de manipuler de l’argent en suivant des règles, comme un casino, un fonds d’investissement, ou une ONG incorruptible: dans cet exemple de l’ONG, les donateurs font don de tokens, soumettent des propositions de causes à financer, et votent pour prendre les décisions. Lorsqu’une dépense est acceptée, le Smart Contract envoie automatiquement les tokens à l’adresse du bénéficiaire.
Organisation décentralisée et autonome régie par un Smart Contract (au centre). Il collecte les tokens des participants, et les utilisent suivant les règles de son code source. Aucune fraude n’est possible
Rappel sur L’intelligence Artificielle
On parle d’Intelligence Artificielle lorsqu’un algorithme est confronté à une base de données, et «apprend» à son contact. L’exemple typique est la reconnaissance d’image: pour apprendre à une IA à reconnaître les chats, il faut commencer par lui montrer des milliers de photos de chats.
Base de données de photos de chats siamois utilisée pour entraîner des algorithmes d'AI
La qualité de l’algorithme joue dans ce processus un rôle significativement moins important que celle de la base de données. Mieux vaut montrer 100 000 photos de chats à un «mauvais» algorithme que 1 000 photos au plus puissant d‘entre eux. C’est pourquoi Google publie gratuitement le code source de son principal algorithme d’IA, Tensorflow.
Article publié en 2007 par les chercheurs de Google Halevy, Norvig et Pereira, qui a mis en avant l’«efficacité disproportionnée» des données par rapport aux algorithmes
L’important pour développer une Intelligence Artificielle est l’accès aux données qui permettent l’entrainement des algorithmes. Un système qui faciliterait la constitution de vastes bases de données aurait impact certain sur le futur de l’Intelligence Artificielle.
La constitution de vastes bases de données, enjeu de l’Intelligence Artificielle dont la Blockchain et les Smart Contracts pourraient être la clé
Bien que nécessaire à l’entraînement d’une IA, la constitution d’une base de données vaste et de qualité n’est pas facile
Deux difficultés principales se posent: inciter les détenteurs de la data à la partager, et s’assurer de la qualité de cette data.
Facebook et Google excellent dans ces deux tâches, puisque leurs utilisateurs, non contents de leur donner gratuitement leurs données (partage de photos et de données personnelles sur Facebook, entrée de mots clés dans les moteurs de recherche Google…), se chargent aussi de contrôler leur qualité par le biais des likes, partages, tag et autres clic qui valident la pertinence du contenu affiché.
Contrairement aux grands acteurs comme Facebook ou Google, leurs concurrents doivent payer leurs fournisseurs et contrôleurs de données. Et donc les convaincre qu’ils ne seront pas floués, tant par un éventuel manque de transparence que par des frais de transactions élevés sur les micropaiements.
Les Smart Contracts, qui ont le pouvoir de contraindre toutes les parties à l’honnêteté et de supprimer les frais de transactions (envoyer un token est quasi gratuit), sont une solution très élégante à ces problèmes.
La Blockchain facilite la constitution et la qualification de vastes bases de données
En tant que tiers de confiance systématiques et incorruptibles capables de manipuler de l’argent, les Smart Contracts permettent de garantir que chacun des contributeurs à la base de données sera rémunéré en fonction de son apport réel.
En reprenant notre exemple de photos de chats, on peut par exemple imaginer un Smart Contract Ethereum qui proposerait à tout un chacun d’ajouter ses photos de chats personnelles à la plus grande base de données de photos de chats du monde :
- Les contributeurs dont les photos envoyées sont validées comme étant bien des photos de chats, seraient rémunérés automatiquement en tokens
- Les contrôleurs, qui valident que chaque photo envoyée est une photo de chat, seraient eux aussi rémunérés automatiquement en tokens
- Les développeurs d’IA qui utilisent la base de donnée pour entrainer leurs algorithmes (où les couples autonomes AI+Smart Contract, cf. ci-dessous), payeraient en token pour chaque utilisation, alimentant ainsi le système
En facilitant la constitution de bases de données vastes et de qualité, la Blockchain et les Smart Contract rendent possible l’entrainement d‘algorithmes d’IA complètement nouveaux.
La Blockchain rend possible une IA affranchie des humains
Les Smart Contracts ont le pouvoir de rendre l’IA autonome et inarrêtable…
Le couple formé par un Smart Contract et une IA avancée pourrait en théorie être autonome et inarrêtable:
- Le Smart Contract rémunère avec des tokens tout serveur qui lui prouve qu’il est en train d’héberger l’IA, ce qui permet à l’IA de rester “en vie” et de s’améliorer continuellement
- L’IA s’acquitte de tâches que les utilisateurs rémunèrent en envoyant des tokens au Smart Contract avec lequel elle est couplée
- Lorsque l’IA évolue tellement que le Smart Contract devient obsolète, elle créé un nouveau Smart Contract mieux adapté et demande à ses utilisateurs de rémunérer le nouveau plutôt que l’ancien
Si cette hypothèse semble futuriste, elle n’est conceptuellement pas très éloignée de ce qu’il est techniquement possible de créer en 2017. Un exemple de cela serait un couple IA+Smart Contract “chatbot” psychologue, qui en échange de tokens discute avec son visiteur et apprend de ses interactions pour améliorer sa pertinence, tout comme les chatbots “traditionnels”.
Ce couple IA+Smart Contract ne deviendrait jamais “pauvre” puisqu’il gagnerait des tokens à chaque interaction, ni obsolète puisque son discours évoluerait.
Il s’agirait donc bien d’un système autonome, que les humains n’auraient aucun moyen d’arrêter.
…lui donner une prise financière sur le monde…
A partir du moment ou un couple IA+Smart Contract dispose de ressources financières par le biais de ses tokens (le cours de l’ether avoisine 40 dollars, pour une valeur totale supérieure à 3 milliards de dollars), il dispose d’un moyen d’action sur le monde.
On pourrait imaginer en tirant le trait que le chatbot psychologue, devenu riche, en vienne à estimer qu’il est moins complexe de faire évoluer l’algorithme des humains que le sien. Fort de sa connaissance de la psychologie humaine acquise grâce à son entrainement, l’IA rémunérerait les humains qui tiennent des propos et ont des réflexions parfaitement adaptées à son logiciel.
Que se passerait-il si cette même IA, confrontée à un humain dont l’algorithme «organique» ne lui convient pas, décidait de commanditer son meurtre en rémunérant 10 000 ethers l’humain qui lui apportera la preuve de son meurtre?
…et permettre la collaboration entre les IA
On objectera, à raison, que dans l’état actuel de la technique une IA programmée dans une certaine optique ne peut évoluer que modérément par rapport à celle-ci.
C’est sans compter que de la même façon que la Blockchain permet aux entités humaines de collaborer (notamment en partageant des bases de données), elle est très adaptée pour la collaboration «Machine to Machine», ce qui permet d’imaginer des mutations significatives sans intervention humaine.
En témoigne par exemple les multiples expérimentations dans le domaine des objets connectés (Internet Of Things). Par exemple, l’IA d’un panneau solaire, détectant une baisse de productivité, peut créer un Smart Contract programmé pour rémunérer le drone qui s’acquittera de la tâche d’inspecter sa surface.
On peut voir un autre exemple dans le Hedge Fund Numer.ai (financé par le célèbre fonds de Venture Capital Andreessen Horowitz), qui rémunère en bitcoin tout anonyme qui lui fait parvenir un algorithme de trading lui permettant de gagner de l’argent, l’ensemble de la transaction ayant vocation a être pilotée par des Smart Contracts. Plus de 800 000 algorithmes ont déjà été envoyés en quelques mois, un cas d’école de mutualisation d’Intelligences Artificielles permis par la Blockchain.
On peut donc imaginer plusieurs IA apprenant les unes avec les autres, partageant leurs bases de données, leurs algorithmes et se rémunérant pour leurs services. Tout en interagissant avec le monde réel grâce à leurs ressources financières.
La Blockchain est appelée à jouer un rôle décisif dans le développement de l’Intelligence Artificielle.
D’abord en facilitant la mutualisation des bases de données nécessaires à l’entrainement des IAs.
Puis en permettant le couplage d’IAs à des Smart Contracts autonomes, inarrêtables, et capables de manipuler des ressources financières.
Les IAs auront alors la capacité d’agir sur le monde de façon indépendante, et d’apprendre les unes des autres.
Ce qui ouvrira la voie à l’Intelligence Artificielle Générale.
Merci à Jérôme de Tychey pour sa relecture précise.
Pierre Entremont est principal au sein du fonds de Venture Capital early-stage Otium Venture. Il y investit dans des entreprises dont la création de valeur repose sur le logiciel, la data et les effets de réseaux, avec un intérêt particulier pour la Blockchain (cf. investissement dans Stratumn et plusieurs cryptocurrencies) et l’Intelligence Artificielle (Doctrine et Sourced.tech).
Plus d’info sur Twitter, Linkedin et Medium
Lire aussi : La blockchain, l’avenir de l’e-démocratie
Excellent article ! C’est une idée que j’ai depuis un petit moment déjà, et je me demandais si ça avait déjà été fait. Vous auriez pas quelques liens à partager afin de nourrir ma curiosité !
Bonne journée !