De la loi Macron à la loi de finance 2017, la saga des actions gratuites (AGA)
L’actionnariat salarié fait partie de mes dadas. En tant qu’investisseur professionnel, je connais la puissance de cet outil quand il s’agit d’aligner investisseurs, dirigeants et salariés vers la croissance et la création de valeur. Le dernier baromètre de France Digitale, que je co-préside, montre que cette bonne pratique a été adoptée largement par notre écosystème puisque 98% des 220 entreprises de notre panel y ont recours et 51% du personnel de ces mêmes entreprises est titulaire d’actions, de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), d’actions gratuites (AGA) ou de stock-options (SOP)…
Lors de la préparation de la loi Macron, nous avions ainsi été particulièrement proactifs pour que le régime fiscal et social des AGA soit largement revu.
Les deux grands défauts de la législation précédente étaient:
1. Une contribution patronale (créée sous le quinquennat précédent) passée en quelques années de 8% à 30% exigible au moment de l’attribution des AGA présentant elle-même 2 inconvénients majeurs:
a. Une somme dissuasive à débourser pour des entreprises souvent déficitaires pour lesquelles la décision de se départir d’une partie de leur trésorerie tout en diluant les actionnaires pouvait devenir contraire à l’intérêt social de l’entreprise;
b. Une somme due aux URSSAF même si les conditions d’acquisition par le collaborateur conduisait à la caducité desdites AGA (exemple: départ du collaborateur durant la période d’acquisition).
2. Une fiscalité très lourde pour l’attributaire des AGA puisque la plus-value d’acquisition était traitée
a. comme du salaire et,
b. alourdie par une contribution salariale de 10% exigible au moment de la cession par le salarié.
La loi Macron avait sensiblement amélioré la situation puisque:
1. Concernant la contribution patronale:
a. Celle-ci était ramenée à 20% et les PME n’ayant jamais versé de dividendes pouvant profiter d’une exonération pour les petites attributions (plafond de la Sécurité Sociale apprécié sur l’année d’attribution et les 3 exercices précédents);
b. Elle ne devenait exigible que dans le mois suivant l’acquisition définitive par le dirigeant ou collaborateur.
2. Concernant la fiscalité de l’attributaire:
a. La plus-value d’acquisition pouvait bénéficier de l’abattement pour durée de détention (soit 50% d’abattement au bout de 2 ans suivant l’acquisition, soit en général 4 ans après leur attribution);
b. La contribution salariale était quant à elle supprimée.
Nous aurions certes aimé que la contribution patronale connaisse un taux moins élevé que 20% ou que le cas d’exonération que nous avions suggéré (PME n’ayant jamais versé de dividendes) fasse l’objet d’un plafond plus élevé mais nous avions évidemment soutenu cette réforme qui allait clairement dans le bon sens!
Le décret d’application de cette bonne réforme est ainsi daté du 31 juillet 2015…
Moins d’un an après, au printemps 2016, lors de l’Assemblée Générale du groupe Renault et du fameux «say on pay» sur la rémunération de son PDG, est rendu public le fait que Monsieur Ghosn a obtenu de son conseil d’administration l’attribution d’environ 4 millions d’euros d’AGA soit environ 60% de sa rémunération annuelle. La sphère médiatico-politique s’empare du sujet et s’emballe… Une proposition de loi parlementaire est mise sur la table visant à annuler la réforme des AGA et à durcir encore plus le dispositif (contribution patronale portée à 50%)… Le mouvement des pigeons risque une rechute… Le gouvernement s’y oppose à juste titre au nom de l’instabilité fiscale… Rendez-vous est malheureusement pris avec sa majorité dans le cadre du projet de loi de Finances 2017…
Le 12 octobre 2016, le député Romain Colas fait voter en Commission des Finances un amendement mettant à mal le régime en vigueur des AGA et revenant à la situation précédente en termes de contribution patronale et de fiscalité des plus-values d’acquisition. On notera que, de bonne foi, ce député maintient l’exonération pour les petites attributions pour les PME n’ayant pas versé de dividendes…
Du 13 au 19 octobre, le gouvernement envoie le signal que cette instabilité fiscale n’est pas bonne pour la confiance des entrepreneurs (NDR: je confirme ;-)) et qu’il s’oppose à l’amendement Colas. En parallèle, il essaie d’imaginer un dispositif anti-abus (condition sur un pourcentage maximum d'AGA destinées aux seuls mandataires sociaux dans les entreprises de plus de 250 salariés pour pouvoir bénéficier du dispositif en vigueur).
Dans la nuit du 19 au 20 octobre, l’amendement gouvernemental (dont l’esprit était tout à fait louable mais la pertinence plus incertaine pour une «scale-up» ou une ETI de quelques centaines de salariés) est rejeté. Un amendement porté par la Rapporteure Générale Valérie Rabault est, quant à lui, voté annulant et remplaçant l’amendement Colas…
Ainsi, si ce vote en première lecture est confirmé lors de la navette parlementaire, la situation des AGA à partir du 1er janvier 2017 serait la suivante:
1. Concernant la contribution patronale:
a. Celle-ci reviendrait aux 30% initiaux mais les PME n’ayant jamais versé de dividendes pourrait continuer à profiter d’une exonération pour les petites attributions;
b. Elle resterait exigible que dans le mois suivant l’acquisition définitive par le dirigeant ou collaborateur.
2. Concernant la fiscalité de l’attributaire:
a. La plus-value d’acquisition pourrait bénéficier de l’abattement pour durée de détention si la société émettrice est une PME n’ayant jamais versé de dividendes sinon elle serait considérée comme du salaire;
b. La contribution salariale resterait supprimée.
La plupart des membres de France Digitale étant des PME et très rares étant les entreprises de notre écosystème qui versent des dividendes… L’exonération «suggested by France Digitale» survivant à cette potentielle contre-réforme… Une lecture rapide pourrait ainsi conduire les pigeons que nous sommes à faire «cocorico» ;-)
Ce serait une mauvaise lecture et voici pourquoi.
A. Les attributions d’AGA au-delà du plafond de la Sécurité Sociale (rappel: seuil de 37.000euros apprécié sur 4 ans) ne sauraient en aucun cas couvrir les cas de recrutements de dirigeants ou de talents d’exception pour lesquels toutes les startups devraient assumer une contribution patronale de 30% inabordable pour beaucoup d’entre elles;
B. Les belles réussites de l’écosystème passées de PME à ETI ne disposeraient plus comme «incentive» pour leurs dirigeants ou collaborateurs d’une fiscalité des plus-values d’acquisition avec abattement pour durée de détention et seraient donc pénalisées dans leur capacité à attirer des talents acceptant de faire un effort sur leur rémunération.
Nous considérons ainsi chez France Digitale que A. est un vrai «coup de poignard» et que la contribution patronale sur les attributions au-delà du plafond d’exonération devrait rester à 20% (ou moins) pour les attributions par des PME n’ayant jamais versé de dividendes.
Nous estimons que B. est un très mauvais message à l’égard de nos «scale-ups» car apparaissant comme une punition «pour avoir réussi». C'est aussi et surtout un frein à leur croissance future tant la guerre des talents devient intense.
Il est dans notre nature de râler. Mais il est également dans notre nature de proposer.
Aussi, Messieurs et Mesdames les Parlementaires, nous vous suggérons différentes pistes permettant de sortir de cette situation.
Piste 1: Annuler l’amendement Rabault (revenir au dispositif Macron) mais obliger les attributions d’AGA au bénéfice de dirigeants de groupe cotés à inclure des conditions d’acquisition fondées sur des performances et soumises au «say on pay» des Assemblées Générales. En réalité, ces «grands patrons» devraient être bénéficiaires de stock-options (mais celles-ci n’ont pas été réformées par la loi Macron et sont dissuasives en termes de contributions sociales pour l’entreprise et de fiscalité pour l’attributaire) mais il est parfaitement possible de conditionner l’acquisition d’actions gratuites à une performance conduisant à de la création de valeur. Il devient alors beaucoup plus risqué pour un dirigeant de demander à troquer une partie de sa rémunération «cash» contre des actions gratuites…
Piste 2: Amender l’amendement de Madame Rabault en ramenant la contribution à 15% pour les PME n’ayant jamais versé de dividendes sur les attributions non exonérées et maintenir la possibilité d’abattement sur les plus-values d’acquisition pour les salariés non dirigeants de toutes les entreprises ainsi que pour les dirigeants de PME n’ayant jamais versé de dividendes.
La piste 1 a évidemment notre préférence et ne semble poser aucun problème de faisabilité.
La Piste 2 pose peut-être un problème de constitutionnalité (égalité de traitement entre un salarié et dirigeant d’une même entreprise) auquel cas les 2 seules solutions seraient de retenir la piste 1 ou de réformer positivement le régime des stock-options…
Nous ne sommes malheureusement pas certains que l’Assemblée Nationale soit dans cet état d’esprit ;-)
A suivre…
Jean-David Chamboredon est CEO de ISAI et co-Président à France Digital.
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