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Les marques deviennent médias, les médias doivent devenir des marques. Oui mais comment?

Le patron de Vice l’a prophétisé en août dernier et ce n’était pas que de la provocation: il va y avoir un bain de sang dans le monde des médias. Chacun voit le bain de sang à sa manière, regroupement, fermeture pure et simple, vente par appartement, rachat au rabais par des groupes télécoms ou par des milliardaires plus soucieux du contrôle de leur image que de revivifier un secteur qu’on dit moribond. Alors qu’il est en pleine expansion. Oui. En extension. Pas en contraction. C’est d’ailleurs pour ça que ceux qui ont compris (ou qui en ont l’intuition) se ruent sur cette triste période de liquidation totale comme des fashion victims aux galeries lafayettes un jour de soldes.

Parce que oui, quand on prend le temps de naviguer entre les médias et les marques, quand on analyse leurs données internes, leurs blocages aussi, quand on s’intéresse aux leviers qui font grandir aujourd’hui les jeunes start-up, ou des marques emblématiques comme Lego ou RedBull on ne peut que constater que les médias sont assis sur un trésor. Comme les vieux dragons des légendes. Sauf que ces dragons, trop vieux, trop lourds, trop centrés sur leur gloire passée, continuent bien souvent de dépérir coincés derrière leur peau de chagrin. Ou pire: chercher le profit et l’audience à tout prix sans s’intéresser à leur audience, sans toujours réaliser qu’ils courent sur un tapis roulant à l’envers…

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Ce drame dépressif se déroule pourtant à un moment clé de leur histoire, un moment où savoir créer du contenu n’a jamais été aussi important dans les modèles de croissance des entreprises. Un moment où, justement, les mieux placés pour créer du lien, raconter des histoires, comprendre leur audience et savoir leur parler, ce sont les médias. Seulement les médias, les vieux médias surtout, ont le couteau sous la gorge. Alors que c’est maintenant qu’il faudrait investir, ils pleurent ou se rassurent sur des réductions de coûts (souvent nécessaires si l’objectif est d’investir autrement), épuisent leur batterie à tenter de détruire Google ou les méchants adblockers, ou se laissent happer par des stratégies de regroupement qui achèvent de détruire ce qui leur restait d’identité.

Les médias ont de l’or entre les mains, oui, mais à condition de se réinventer. A l’heure où les marques comprennent qu’elles doivent devenir des médias, les médias doivent comprendre qu’ils doivent devenir des marques. Mais pas des marques à l’ancienne: pas seulement un label de confiance, pas seulement un lambeau d’affect arraché à la gloire passée, voire l’illusion réconfortante d’une qualité dont les canons auraient été gravés dans le marbre au temps d’un âge d’or qui n’a jamais vraiment existé. Être une marque, c’est une dynamique. Qui passe par le lien, par la data, par le talent, par la créativité et par la rapidité d’exécution. Un média qui doit surtout accepter de s’affranchir du support: le papier, l’écran télé, et aujourd’hui le site internet…

Shane Smith, fondateur de Vice (photo : Getty Images)

Parmi les médias qui ont le mieux compris ce paradigme, il y a Buzzfeed, bien évidemment. Mais aussi, ce qui est plus surprenant, Vice. Dont le modèle reste encore un mystère savamment entretenu, avec sa part de bullshit. Mais pas que. Voilà un média d’info pour les jeunes qui est passé d’un fanzine trash à un groupe (toujours trash, mais financé par Disney!) valorisé à plus d’un milliard de dollars. Et qui annonce un milliard de chiffre d‘affaires en 2016, sans doute exagéré, mais peu importe. Vice est une marque. Une marque «cool». Qui monétise certes son audience de façon pirate à travers un maelström de sites inconnus, mais qui est en train de faire de sa coolitude le coeur de son modèle. «Nous aidons les marques à devenir cool» Vice est donc avant tout une marque, qui a tout verticalisé (techno, journalisme, diffusion, services, studio de création…). Vice a un style. Qui se déploie partout. Aussi à travers de l’enquête et du reportage sur le terrain. Et dont l’ADN repose sur un culot et un talent fou.

Bonne Gueule : un média, une marque, une boutique…

Parmi les médias qui ont compris, il y a «Bonne Gueule». Ce n’est pas un média d’info. C’est un blog de conseils de mode monté par deux étudiants il y a cinq ans. Et qui affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 2,5 millions d'euros en développant sa propre ligne de vêtements. Et même une boutique dans le Marais. La dynamique média reste pourtant au coeur de son modèle. J’en ai parlé ici.

Parmi ces médias il y a aussi Melty. Je suis le parcours d’Alexandre Malsch depuis le début. Et hier soir, en assistant à leur keynote de rentrée, j’ai cru assister à la présentation de la saison d’une grande chaîne de TV. Mais une télé qui aurait été boostée aux datas, mais pas seulement pour créer de l’audience. La force de frappe, même quand elle se joue de la fragmentation, est une valeur fragile. Le lien, lui, transcende les supports et la versatilité des nouvelles générations. La saison 2017 de Melty est une succession d’événements, d’histoires qui s’affranchissent des supports, de données récupérées (29 par seconde). C’est aussi des équipes d’e-sport qui «bossent» sept heures par jour pour devenir champions du monde de League of Legends ou d’Overwatch… Ils ont des millions de fans, que vous ne connaissez pas. Mais qui connaît la nouvelle génération, quand ses mécanismes de fabrication d’idoles passent de mobile à mobile en s’affranchissant des médias mainstream…

Alexandre Malsch, lors de sa keynote de rentrée le 19 septembre 2016.

Melty n’est pas mainstream. C’est un support de diffusion que l’on utiliserait pour diffuser le plus largement possible un message. Melty est en train de devenir une marque. Mais une marque qui n’est pas une plateforme, qui l’est de moins en moins en fait. Pas une plateforme, mais un moteur à fragmentation qui se construit sur la relation. Qui se construit sur la durée. Et à 360. Ce qu’une agence de pub est incapable de faire, Melty est en train de le déployer. Il y aurait beaucoup à raconter sur Melty, ce qu’ils sont en train de faire sur Snapchat par exemple est juste incroyable. Leur modèle d’affaires est en train de se rationaliser, grâce notamment à l’impulsion de Jérémy Clevy, autour d’une offre reposant sur la créativité, l’intelligence artificielle et la data. J’aurais l’occasion d’y revenir dans un prochain post.

Devenir une marque quand on est un média c’est d’abord entamer un long chemin fait d’obstacles, d’impasses et de tâtonnements. Un chemin qui commence par l’humilité et la rapidité d’exécution. Un chemin qui commence par l’abandon de ses vieux navires de guerre pour fonctionner en réseau. C’est, pour prendre un exemple de mauvais goût, devenir un média qui fonctionnerait comme Daesh, quand les autres en sont restés au stade d’Al Quaida. Un média qui s’appuie sur les datas et sur la créativité donc, mais aussi sur la multiplicité des supports, souvent souterrains, et sur la capacité à toucher la bonne personne, au bon moment, avec le bon format. Un chemin qui fera qu’une marque ne viendra plus vous voir pour diffuser son message auprès d’une cible, mais pour se transformer à travers vous. Ce n’est pas la marque qui vous modèle et vous rhabille pour l’hiver, mais c’est vous qui la modelez, qui la coachez en la transformant dans sa relation à son audience.

Et je ne parle que des médias gratuits. Il y a d’autres modèles, souvent plus modestes comme Sans_A (dont j’expliquerai le modèle d’affaires dans quelques semaines), mais tout aussi efficaces à leur niveau. Des médias qui développent leur marque pour bâtir des modèles d’affaires reposant sur l’abonnement, le crowdfunding (le modèle de De Correspondent), ou encore la vente de produits ou de services.

Plus facile à dire qu’à faire me direz-vous. Passer de l’économie de l’attention (en 2005) à celle de la relation (en 2015), c’est un chantier global. C’est surtout la capacité à apprendre à avancer vite, à tester, améliorer. Investir par petits coups d’abord, puis se déployer. Bref, fonctionner en mode start-up. Pas simple quand on est gros. Encore moins quand on est gros et vieux. Mais pas impossible non plus. Il n’y a pas de recette miracle, mais il y a déjà beaucoup de choses qui se font, beaucoup de modèles qui émergent. Et qui n’émergent pas forcément de la sphère média traditionnelle. Il est important que le monde des médias et celui des start-up se parlent. Il y a d’autres modèles, d’autres façons de fonctionner, et de plus en plus de points de convergence.

Les médias, ce n’est pas que de l’abonnement ou de la pub. C’est d’abord une capacité à créer du lien avec des communautés sur la base de la confiance. Et la confiance est un risque à prendre.

C’est aussi l’usage des datas pour mieux comprendre, pour être plus efficace, pour aller plus vite. C’est remettre de l’humain, du physique et du sens. C’est apprendre à redevenir petit pour redevenir grand. Autrement.

C’est d’ailleurs un peu tous ces sujets là qu’on a abordé lors du Live Media Festival vendredi 23 septembre à Paris. Je suis assez heureux de participer à la première de cet événement unique en France. D’abord, parce que j’ai suivi l’idée de Nathaniel Philippe depuis le début, quand il est venu m’en parler il y a un an. Nathaniel est porteur d’une vision. Il pense que ces deux mondes doivent converger. Il a raison. C’est complexe. Un peu risqué aussi. Mais il faut créer des espaces pour permettre ces rencontres et voir ce qu’il se passe. Ce festival en est un. Petit, pour l’instant, modeste. Il tâtonne lui aussi. Mais ça vaut le coup d’y participer. Et d’aider ce type d’espaces à grandir.

benoitraphaelBenoît Raphaël est expert en innovation digitale et média, blogueur et entrepreneur.

Il est à l'origine de nombreux médias à succès sur Internet: Le Post.fr (groupe Le Monde), Le Plus de l'Obs, Le Lab d'Europe 1.

Benoît est également co-fondateur de Trendsboard et d'Imprudence.

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