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L’État peut-il encore avoir une stratégie industrielle?

Après avoir fait un tour du rôle de l’Etat dans la mutualisation de la préparation du futur, notamment dans l’enseignement et la recherche, et comme actionnaire et grand argentier, nous allons nous intéresser ici à la création des conditions favorables à l’entrepreneuriat et à la compétitivité.

Ce rôle est ici organisé en cinq grandes parties: l’Etat législateur et régulateur, l’Etat fiscal, l’Etat numérique, puis l’Etat des élites et l’Etat d’esprit. C’est le second étage de la fusée de la stratégie industrielle de l’Etat démarré dans l’article précédent, le premier étant l’investissement long terme de l’Etat dans l’enseignement, la recherche, dans les infrastructures et éventuellement comme actionnaire.

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L’Etat législateur et régulateur

L’entrepreneur français est un peu comme un coureur de Marathon que l’on espère voir arriver dans le peloton de tête malgré un sac à dos rempli d’une dizaine de kilos de plomb et que l’on aurait arrêté tous les kilomètres pour lui faire remplir des formulaires administratifs en mode papier. Cette lacune bien connue de notre pays n’est cependant pas spécifique aux entreprises industrielles. Je ne vais donc pas m’étendre dessus.

L’Etat législateur et régulateur a une très grande influence sur le rythme d’adoption des innovations sur son marché intérieur. Dans pas mal de cas, il peut surtout les ralentir pour protéger les rentes établies de grandes entreprises ou de professions règlementées. Ces ralentissement touchent cependant bien plus souvent l’univers des services et des contenus que l’industrie.

Les exemples récents sont nombreux, en particulier autour des taxis avec les grèves violentes de ces derniers, les agressions de chauffeurs d’Uber et les blocages juridiques de la startup française Heetch. Le gouvernement a à chaque fois missionné des députés pour trouver une solution ménageant toutes les parties. Nous avons eu coup sur coup le Rapport Thévenoud d’avril 2014 et le Rapport Grandguillaume de juin 2016. Et cela reste des compromis qui pour tenir compte des taxis ne font que ralenti le passage au modèle suivant. Et en attendant, Uber continue de prendre ses marques et bénéficie face à ses tous petits concurrents français d’être une application leader à l’échelle mondiale.

Dans l’univers de la TV, la taxe sur la copie privée appliquée aux disques durs a ralenti l’évolution technologique des box IPTV et satellite et leur pénétration sur le marché comparativement aux opérateurs anglo-saxons. Les utilisateurs français ont été détournés de l’enregistrement d’émissions de TV pour plaire aux ayant-droit et aux chaines. Les chaines TV imposent ainsi leurs applications en silo de TV de rattrapage. C’est bien mais ce n’est pas très «consumer friendly» et les fenêtres de diffusion sont limitées dans le temps, de une à deux semaines en général. Jusqu’à récemment, les Lois sur la culture bloquaient aussi l’émergence de services de nPVR (enregistrement d’émissions de TV dans le cloud), pourtant une tendance inéluctable et un besoin des consommateurs. Cette disposition vient d’être timidement levée, permettant notamment au service Molotov lancé le 11 juillet 2016 de proposer ce service de nPVR. Mais bien tard! Le CSA décide aussi si une chaine de la TNT doit être gratuite ou pas, ce qu’a rappelé l’histoire de LCI. Cet excès de régulation est l‘un des pires en Europe.

L’Etat est pris entre deux feux: céder aux sirènes de la protection à outrance de l’existant comme dans l’affaire des taxis ou des professions règlementées ou permettre aux innovations d’émerger localement sans quelles soient bridées, au risque de se mettre à dos les professions concernées. En général, ce n’est pas le courage qui prédomine!

Logos autorites de regulation

Se pose la question du rôle des autorités indépendantes qui ont un rôle de régulation significatif de nombreuses industries alors qu’elles ne sont qu’un maillon de second et troisième niveau de la démocratie représentative. En effet, ses membres sont généralement nommés par le Président de la République et par les Présidents des deux Assemblées. Elles peuvent devenir un Etat dans l’Etat, sans qu’il existe de moyen démocratique d’en contrôler le rôle et le fonctionnement. Ou alors, leur contrôle est plutôt occulte comme l’a démontré en 2015 le processus de nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions.

La seconde question porte sur leur influence dans la stratégie industrielle. Quand elles régulent ce qui relève de la concurrence, elles sont censées être neutres, au moins au niveau du droit communautaire européen. Ce n’est pas leur rôle officiel que de se préoccuper de stratégie industrielle mais c’est une piste de réflexion. Elles peuvent bloquer ou ralentir l’innovation en France et préserver un statu quo favorisant les acteurs existants. Cela peut rendre plus difficile l’émergence de startups en France dans ces secteurs régulés. Avec comme effet indirect – et d’ailleurs positif – de les inciter à exporter plus rapidement. En 2013, Gilles Babinet avait carrément affirmé que la CNIL était un ennemi de la nation bon pour une réforme musclée ou, sinon, pour une disparition pure et simple. La CNIL s’en est évidemment défendue. C’est un débat voisin de l’interdépendance entre les mécanismes de protection des locataires et le manque de dynamisme du marché immobilier, notamment après la loi ALUR.

L’ARCEP est moins contestée du point de vue de son rôle sur la stratégie industrielle. Elle l’est parfois sur la manière dont elle arbitre le jeu des opérateurs télécoms dans le déploiement du très haut débit. Elle a son mot à dire dans l’émergence des objets connectés et des réseaux M2M et peut influencer le développement du marché des objets connectés en France. D’où cette dernière innovation en date de l’ARCEP, sous la houlette de son jeune Président, Sébastien Soriano : la création d’un guichet pour les start-up pour les informer de ce qu’il est possible de faire dans les fréquences hors des bandes utilisées pour les mobiles. Jusqu’à présent, les actions de l’ARCEP n’avaient pas d’effets sur la position relative d’Alcatel-Lucent sur ses concurrents internationaux dans le marché intérieur français.

De son côté, l’Autorité de santé veille sur ce qui concerne les nouvelles approches dans la génomique et la médecine prédictive mais elle n’est pas la seule. Les Ordres de médecins veillent aussi au grain. Il serait intéressant d’évaluer le poids des anciens et des jeunes entrepreneurs et scientifiques dans ce genre d’instance. Et d’améliorer la part de ces derniers.

Côté OGM, on en est toujours bloqué au niveau législatif. Idem pour l’exploration des gaz de schiste et pour des raisons qui se comprennent mieux que pour les OGM.

Une action urgente est à réaliser au niveau de l’Etat, et probablement via «la société civile»: faire un inventaire des lois et règlements qui ralentissent l’émergence d’innovations clés sur le marché intérieur. Et bien entendu, identifier au passage celles qui pourraient être revues.

Le principe de précaution inscrit dans la Constitution depuis 2005 pourrait aussi être aménagé. Pourquoi pas le compléter par le principe d’innovation proposé par Anne Lauvergeon dans son rapport de 2014 mais qui n’a visiblement pas eu de suite?

Fin juin 2016, le Ministre de l’Economie Emmanuel Macron annonçait la création de France Expérimentation, un dispositif qui repose aussi sur des appels à projets mais d’un type particulier. Ils portent sur une demande de dérogation réglementaire permettant de déployer des innovations dans le périmètre de l’Etat ou des collectivités locales. Le processus dure quelques mois, ce qui rapide comparativement au lobbying pouvant amener à modifier une loi existante par les Assemblées. C’est bien mais cela ne fait que rappeler en creux la lourdeur de nos lois et règlements car aucun pays n’a eu à lancer ce genre d’opération pour permettre à ses entreprises d’innover! Les entrepreneurs aventuriers qui cherchent à créer une usine savent ce qu’il en est de la complexité de la bureaucratie en France!

L’Etat joue évidemment également un rôle pour faciliter (ou pas) la vie des entreprises. Cela relève de démarches génériques qui ne sont pas spécifiques aux entreprises industrielles. Les serpents de mer comprennent la réforme toujours entre deux eaux du droit du travail pour simplifier la relation employeur/salarié, la simplification de la fiscalité des entreprises et l’amélioration des conditions de paiement pour les sous-traitants. Au minimum!

L’Etat fiscal

C’est l’un des grands outils permettant à l’Etat d’influencer le secteur privé. Mais quelle part de la fiscalité encourage les investissements industriels? Les «dépenses fiscales» de l’Etat dans ce domaine comprennent surtout le Crédit Impôt Recherche, focalisé sur le financement de la R&D et les exonérations d’ISF ou d’IR (impôt sur le revenu) portant sur l’investissement en amorçage dans les PME, soit en direct soit via des FCPI. Il existe ensuite des dispositions sectorielles du côté des usages comme les exonérations  fiscales  touchant la consommation sur le marché intérieur, surtout dans les économies d’énergies. Reste à rendre cohérent tout ce dispositif et à le mettre au service d’une meilleure répartition des rôles entre laboratoires de recherche, startups et grandes entreprises. Il est aussi critique de simplifier les dispositifs existants, de limiter les facteurs de risques associés pour les entreprises et de leur faire gagner du temps. «L’impôt temps» est aussi pénalisant pour les entreprises que «l’impôt argent»!

Commençons par le plus controversé en arrêtant d’encourager les entreprises à faire de la recherche, surtout fondamentale. Ce n’est pas leur rôle. Donc, exit le Crédit Impôt Recherche, malgré tout le bien qu’en pensent les entreprises, le MEDEF et plein de groupes de pression. Réduire le coût apparent d’un chercheur dans une entreprise ne rime à rien: la baisse n’est pas suffisante pour devenir compétitif par rapport aux pays émergents et de toutes manières, le rôle de ces dernières est de créer des produits et de les industrialiser à court terme, pas de prendre des risques scientifiques sur le long terme à l’exception peut-être des entreprises de biotechs. Nous venons d’en avoir un exemple avec la décision d’Intel de se séparer de 750 personnes en France, soient 80% des effectifs, et principalement dans la R&D. Le CIR n’a pas suffit à les sauver. Le groupe avait décidé d’écrémer 11% de ses effectifs mondiaux et la «punition» a été bien plus forte en France. Cette proposition un peu radicale de suppression du CIR dans sa forme actuelle est aussi émise par Erik Van Rompay. Cela ferait 5 milliards d'euros d’économisés par an au rythme actuel.

Declarants CIR 2000-2013

Le CIR pourrait être quasiment intégralement remplacé par l’actuel Crédit Impôt Innovation qui colle très bien au rôle des entreprises et surtout des startups technologiques. Pour l’instant, le nombre de bénéficiaires du CII est très faible: 1 336 vs plus de 20 000 pour le CIR (en 2013, cf schéma ci-dessous). Son taux est en effet plus faible que celui du CIR et il est contraint par les accords internationaux et par la réglementation européenne. Il est par ailleurs plafonné à 20% d’une dépense de 400 000 euros par an, ce qui ne fait pas grand chose pour une PME industrielle, mais convient à pas mal de startups du numérique dans leur phase d’amorçage.

Le principal rôle des entreprises est d’innover en créant et commercialisant des produits. C’est une des faiblesses clés des entreprises françaises et européennes donc cela a du sens de la traiter par la fiscalité. A charge pour les gouvernements européens de l’intégrer durablement dans les textes. Resterait à déterminer les critères d’éligibilité des produits donnant droit au CII. Devrait-on aider uniquement les produits à fort contenu technologique ou ceux qui intègrent toutes formes d’innovation? C’est une question générique qui dépasse le cadre de la réindustrialisation. Le point clé dans le CIR comme dans le CII est de réduire l’incertitude fiscale actuelle qui pèse sur les entreprises. Avec le CII, elle pourrait être en théorie atténuée, les risques de requalification étant moindres à l’issue d’un contrôle fiscal. Même si la DGE précise que l’éligibilité au CIR est une bonne assurance pour bénéficier du CII.

L’Etat pourrait aussi réallouer une part de cette économie pour mieux financer les priorités de la recherche publique, la seule à même de s’orienter sur le long terme et de prendre des risques scientifiques. Cela peut servir également à financer de grands instruments scientifiques (en génomique, en data-centers, etc).

Reste à continuer à utiliser la fiscalité pour favoriser l’investissement privé dans les entreprises innovantes. La France est devenue le premier pays exportateur de millionnaires grâce à l’ISF! 20% d’entre eux sont partis sur 15 ans et plutôt dans les plus grandes fortunes.En 2014, 49 Français figuraient parmi les 300 plus riches résidents suisses, représentant un patrimoine global évalué à 55 milliards d’euros (source)! Quand on refuse de prendre en compte le réel pour des raisons de symbolique, on se prend le mur! Seuls les RL prévoient de supprimer l’ISF en cas de victoire à la présidentielle de 2017, ce qu’ils auraient du avoir le courage de faire en 2007 dans la loi TEPA.

Si c’était le cas, les crédits d’impôts devraient porter sur un IR (impôt sur le revenu) qui aurait au passage augmenté sur les hautes tranches de revenu. Si l’on veut réellement favoriser l’investissement industriel, cela devrait être l’une des principales niches fiscales. En lieu et place des niches fiscales d’accession à la propriété qui ne font que contribuer à tendre le marché de l’immobilier en gonflant indirectement le prix des logements au m2. Les plafonds de ces exonérations devraient être élevés car les besoins de financement dans l’industrie sont encore plus importants que dans l’immatériel du numérique.

Le point clé générique de l’entrepreneuriat est de favoriser le recyclage des gains d’entrepreneurs et de business angels lors de la cession de leur société. C’est le rôle du Compte Epargne Entrepreneur annoncé en mars 2016 et qui pourrait faire son apparition dans une prochaine loi de finances. Ce genre de disposition, si elle est validée, sera sans doute utilisée en priorité pour financer des startups du numérique, celles qui attirent en premier les investisseurs. Les investissements dans les industries traditionnelles, même quand elles innovent, n’attirent pas encore assez les investisseurs du fait d’économies d’échelle apparentes souvent moins intéressantes et des cycles de développement beaucoup plus longs. Les éléments de timing intégrés dans le Compte Epargne Entrepreneur comme dans le reste de la fiscalité de l’investissement pourraient être optimisés pour tenir compte de ces retours sur investissements qui sont plus longs. Les initiatives en cours d’orientation des assurances vie vers les PME vont aussi dans le bon sens avec le lancement en juillet 2016 du premier contrat d’assurance-vie «capital-investissement», un dispositif qui permet d’investir en unités de comptes sur le long terme. Reste maintenant à commercialiser ces produits auprès des épargnants!

L’Etat pourrait aussi reprendre quelques dispositions intéressantes en place aux USA en continuant d’alléger la fiscalité des successions pour favoriser le financement de Fondations. L’objectif serait de provoquer un plus grand retour de manivelle des très grandes fortunes vers le bien commun et en particulier pour l’économie et pas seulement pour les bonnes œuvres sociales ou artistiques comme le font trop de milliardaires français. L’exemple de Xavier Niel avec 42 ou la Halle Freyssinet n’a, jusqu’à présent, pas encore été imité!

Cela nécessite cependant de préserver les minorités ou majorités de blocage dans ces grandes entreprises. Si, comme l’ISF y pousse certains dirigeants de PME, cette fiscalité obligeait les héritiers de grandes entreprises privées à vendre leurs parts, cela serait la porte ouverte sur une perte de contrôle française de grandes sociétés. C’est déjà assez le cas comme cela. Une des manières de procéder est de transférer les actions des successions vers ces fondations, celles-ci fonctionnant alors avec les dividendes de ces actions. De la sorte, ces fondations deviendraient des actionnaires en bonne et due forme des entreprises dont l’actionnariat ne deviendrait alors pas plus étranger qu’il ne l’est déjà.

Associé au «fiscal», les charges sociales pèsent lourdement sur le travail et sur la «compétitivité coût» des entreprises françaises qui exportent, plus dans l’industrie car dans les services, les emplois «export» sont en grande partie situés dans les pays cibles. Ces charges financent des prestations qui relèvent du fort niveau de mutualisation de la protection sociale en France. Quand l’Etat les allège pour certaines catégories entreprises ou d’emplois (SMIC, etc), quand il invente le CICE (Crédit Impôt Compétitivité Emploi lancé en 2013), ou avec les fameux régimes spéciaux de retraites, il ne fait que transférer ces charges sur d’autres catégories de salariés et d’entreprises.

Diminuer ces ces charges passe essentiellement par trois biais: redistribuer moins (allocations familiales, allocations chômage, protection santé, retraites), améliorer l’efficacité de la redistribution (par le numérique, par la simplification, certains évoquent même le revenu minimum d’insertion en oubliant qu’il transférerait au secteur privé la protection sociale de base comme la protection santé…) et enfin, transférer partiellement cette charge sur la TVA pour améliorer la compétitivité des entreprises.

Lancée à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, cette dernière fut annulée après l’élection de François Hollande en 2012. Son principe, mis en place dans certains pays comme l’Allemagne, consiste à transférer les charges sociales sur les consommateurs et les entreprises générant de la valeur ajoutée en France avec un effet nivelant pour l’ensemble des salariés. Dans l’économie locale, l’effet est relativement neutre. Alors, simple jeu à somme nulle? Pas vraiment. Lorsqu’elles exportent, ce qui est surtout le cas des entreprises industrielles, les entreprises sont alors plus compétitives car la TVA applicable est celle des pays d’exportation. Cela peut en théorie enclencher un cercle vertueux d’augmentation des exportations et de baisse du chômage, donc du coût de la protection sociale, dans un cercle vertueux. Cette TVA augmentée s’appliquerait aux produits importés et de la même manière que les produits locaux. Et elle n’améliore pas la compétitivité des entreprises françaises sur leur marché intérieur.

On peut arguer du fait que la compétitivité coût n’est que l’un des volets actionnable. Mais, même lorsque l’on est innovant, cette compétitivité coût est stratégique. Elle permet de capter plus rapidement des marchés, de les élargir, de générer plus d’économies d’échelle. Bref, de générer plus rapidement son leadership. Donc, la compétitivité coût et la compétitivité hors-coûts sont tout à fait complémentaires et pas opposables l’une à l’autre.

L’Etat numérique

Dans toute économie, le numérique est à la fois une industrie et un outillage. Les deux répondent à des objectifs stratégiques différents. Reste à articuler cela dans les stratégies industrielles.

Le fait d’avoir une industrie numérique forte et si possible exportatrice alimente la compétitivité d’un pays, permet d’y avoir un maximum d’emplois qualifiés, et dans une certaine mesure, de ne pas trop dépendre de l’étranger. L’industrie numérique comprend d’un côté les producteurs de technologies dans le matériel, les réseaux et les logiciels et de l’autre des entreprises fonctionnant exclusivement au travers d’Internet, comme dans le commerce en ligne ou l’intermédiation de services. Les positions françaises et européennes ne sont pas bonnes de ce point de vue-là. Les leaders mondiaux sont américains et asiatiques. L’Europe en a peu. Les étoiles de la mobilité et de la glorieuse ère  du GSM sont en déclin (Nokia + Alcatel-Lucent, Ericsson). A part l’allemand SAP, les leaders européens du logiciel sont de taille modeste par rapport aux leaders américains. Il en va de même des grands services de l’Internet. Nous avons fort à faire pour construire des leaders du numérique francais et/ou européens. Et rien ne sert de s’époumoner à concurrencer sur leur terrain les leaders d’aujourd’hui. Qwant n’a quasiment aucune chance face à Google. Par contre, nous avons nos chances face dans les nouveaux marchés: dans l’IOT, dans l’intelligence artificielle, dans la robotique, dans la santé, si toutefois nous nous donnons les moyens et au bon moment.

Bien exploité, l’outillage numérique permet aussi de moderniser l’Etat et de le rendre plus efficace. L’objectif de l’Etat devrait être double: d’une part, réduire son cout administratif interne et, de l’autre, réduire les couts induits qu’il génère dans les entreprises. L’informatisation d’une organisation trop complexe et trop rigide n’en faisant pas une organisation plus souple et rapide, l’accélération de la numérisation passe d’abord par la réforme des structures étatiques et par leur défragmentation. L’exemple le plus simple relève de la fiscalité. Il faut réduire le nombre d’impôts différents qui pèsent sur les entreprises. Sans même en modifier le montant total, la réduction du nombre d’impôts simplifierait l’organisation de l’Etat (Bercy), réduirait le paperasserie des entreprises et le besoin en fonctionnaires, donc les impôts et/ou la dette et, au final, rendrait les entreprises plus performantes. A contrario, les échecs à répétition du projet LOUVOIS témoignent de la trop grande complexité de l’existant au Ministère de la Défense. Une organisation trop complexe aboutit à un logiciel trop complexe et à un échec du projet de sa refonte.

La numérisation de l’Etat qui est toutefois en marche a un impact accélérateur de la mutation numérique des TPE/PME. Plus on numérise les relations entre l’Etat, surtout les SIE de Bercy, et les PME/TPE, plus on réduit la charge administrative correspondante. Les TPE/PME sont souvent assez lentes à se moderniser par le numérique. On se retrouve ainsi dans une situation contre-intuitive où l’Etat est plus moderne que certaines TPE/PME et peut donc contribuer à les moderniser, même si c’est pas des méthodes un peu coercitives. C’est le cas avec la mise en place ces dernières années des télé-procédures, notamment pour la déclaration de la TVA. La position de la France dans l’administration numérique est plutôt bonne, tout du moins selon certains benchmarks internationaux comme celui de 2014 de l’ONU qui nous plaçait numéro un en Europe.

Enfin, quel est le rôle du numérique dans les stratégies industrielles? Est-ce la solution à tous les problèmes? Faut-il uberiser toutes les industries? Faut-il inventer des intermédiations b2c nouvelles pour être les meilleurs? Peut-on réindustrialiser un pays par l’intermédiation et des applications mobiles? J’en doute.

Les sociétés qui réussissent dans le numérique bénéficient de la mécanique des rendements croissants. Elles sont souvent américaines et bénéficient d’économies d’échelle énormes et de capacités de financement permettant de capter les marchés émergents. N’oublions pas qu’Uber n’est pas qu’une simple application mobile sans capex!

C’est la startup la mieux financée de toutes l’histoire du capital risque de la Silicon Valley avec 10 milliards de dollars (dix milliards de dollars…) de récoltés via des investisseurs américains, russes et du Moyen-Orient. Mais ce n’est toujours qu’une application. Pour qu’Uber existe, il faut des chauffeurs, des voitures et des routes. Qui les fabrique? Les routes dépendent de la puissance publique et les voitures des constructeurs. Nous pouvons toujours essayer de créer des intermédiateurs numériques mondiaux. Pour l’instant, nous avons un candidat avec Blablacar. Très bien.

Il faut plutôt regarder du côté d’Elon Musk qui est un véritable industriel du numérique, associant la force du numérique dans ses Tesla et la puissance de la multitude pour les précommandes de son dernier modèle, et une véritable vision industrielle avec une intégration verticale poussée associant les voitures électriques, la production d’énergie solaire et les batteries qui vont avec, d’abord utilisées dans les Tesla, puis dans les logements. On peut encore innover dans l’industrie en associant le numérique et le matériel!

L’Etat des élites

Quand il s’agit d’expliquer ce qui va mal, tout ce qui va mal, il est de bon ton d’accuser en vrac «les élites» d’être dépassées ou de mener le pays à la catastrophe. Et de prôner leur remplacement par le peuple, le vrai, celui qui est proche du terrain, celui qui sait. On l’entend aussi bien en politique que dans la vulgate révolutionnaire du numérique. Et à force de dénoncer les X-ceci et les énarques-cela, on voue aux gémonies tous les ingénieurs, tous les anciens d’école de commerce et une bonne part des entrepreneurs de startups.

Qui sont ces élites vouées aux gémonies? Ce sont les groupes d’individus qui ont du pouvoir ou l’influencent. Ils sont très divers: les élites politiques qui nous gouvernent à l’échelle nationale ou locale et votent les lois, les élites administratives qui gèrent l’Etat et les collectivités locales, les élites patronales et financières qui contrôlent les grandes entreprises, les élites entrepreneuriales des startups et PME, les élites intellectuelles qui font la morale ou mieux, les sciences, et les élites syndicales représentant autant les patrons que les salariés.

On peut y intégrer ceux qui les mettent en valeur, à savoir les médias, petits et grands, chauds (TV, radio, vidéo-bloggeurs, Périscopeurs, youtubers) et froids (presse écrite, Internet, bloggeurs, Twitterers). Le pouvoir par l’influence étant devenu une valeur, le simple fait d’être visible dans les médias est une autre définition de l’appartenance aux élites. A tel point que ceux-là même qui dénoncent les élites de manière visible… en font dans la pratique déjà partie! Une grande partie des tares du système actuel des élites tient au fonctionnement des médias. Leur migration progressive vers le numérique s’est souvent accompagnée d’une paupérisation économique, d’un appauvrissement associé des contenus, d’une faveur donnée à l’information instantanée et aux contenus courts et marquants, et une certaine paresse à générer de la diversité dans les prises de parole.

Ces élites sont elles-mêmes souvent structurées en hiérarchies pyramidales. La TV supplante la presse écrite dans son influence. L’exécutif supplante les Assemblées, surtout dans le régime présidentiel français. Les grands patrons supplantent ceux des TPE/PME et même des startups, dans leur influence économique et politique. Les fondateurs de startups du numérique sont plus souvent mis en avant que les fondateurs de PME industrielles. Le MEDEF a plus d’influence que la CGPME. Un prix Nobel est plus écouté qu’un obscur chercheur de laboratoire d’université. Mais il le sera moins, comme pour Jean Tirole, qu’un patron de syndicat.

Au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain et de rêver d’un monde sans élites, rappelons-nous que toutes les sociétés et systèmes politiques ont leurs élites. La question qui se pose est celle de leur mécanisme de formation et de promotion, de la possibilité de voir émerger des élites «à la page» et de leur circulation. Comment émergent la crème des élites que l’on nomme les leaders?

Les élites sont plus facilement acceptables quand elles viennent du mérite et pas seulement de l’héritage et de l’argent. Mais la situation n’est pas bien glorieuse en la matière. On leur reproche l’entre-soi, la coupure du monde réel et l’auto-reproduction. Il y a cette symbolique de l’origine sociale des élèves des grandes écoles ou les fils et filles d’acteurs qui ont des entrées plus faciles pour démarrer dans la vie. Heureusement, tous les artistes qui réussissent à percer ne sont pas «des fils et filles de». Et dans le numérique, Xavier Niel n’est pas un «fils de», ni Frédéric Mazzella (Blablacar), ni Jacques-Antoine Granjon (Vente Privée) ni la grande majorité des entrepreneurs à succès. C’est ce qui fait leur force symbolique. Reste surtout à augmenter la diversité sociale des élites et l’équilibre hommes/femmes. C’est d’ailleurs aussi un sujet pour les créateurs de startups qui, tant aux USA qu’en France, proviennent plutôt de familles favorisées.

Maintenant, qu’en est-il des élites qui gouvernent l’industrie française? Celles qui prennent des décisions? Le système manque plus de diversité que l’ensemble des élites du pays: les patrons des grandes entreprises viennent souvent des mêmes grandes écoles et les membres de leurs conseils d’administration sont les mêmes avec des liens croisés multiples entre sociétés du CAC40. Certes, les erreurs industrielles viennent souvent d’élites technocratiques. On les dénonce donc en jetant le bébé avec l’eau du bain en oubliant que les réussites que nous avons ont aussi été générées par des personnes issues de ces mêmes sources.

Il est aussi facile de dénoncer l’enseignement des grandes écoles d’ingénieur. Oui, elles n’encouragent pas assez la prise de risque. Mais doit-on s’étonner qu’il n’y ait pas assez de compétences dans la création de produits quand, dans le numérique, l’essentiel de l’emploi pour les ingénieurs est dans les sociétés de services qui justement, n’ont pas cette culture? C’est la réalité de l’existant! La transformer prendra du temps. Et pas seulement via les startups qui, dans la pratique, emploient très peu de salariés en France, en gros, moins de 20 000 contre plus de 350 000 pour les entreprises de services numériques, les ESN et environ 60 000 chez les éditeurs de logiciels dont une bonne part sont des filiales d’éditeurs étrangers.

Que faire? Nous avons vu quelques pistes dans la quatrième partie sur la manière de mieux croiser les filières de l’enseignement supérieur. Sans abandonner ce qui fait leur force, notamment dans les sciences dites «dures», les méthodes d’enseignement devraient évoluer pour encourager la curiosité, la remise en cause, le fonctionnement en mode projet et le «hacking». L’entrepreneuriat doit continuer d’y être favorisé mais pas seulement pour créer des startups du numérique immatériel. La culture de l’innovation doit imprégner tous les pans de l’industrie.

On peut aussi dénoncer cette méritocratie prématurée dans le système des grandes écoles. Ce système est symbolisé par le fonctionnement des grands Corps de l’Etat avec l’emploi à vie qui va avec. D’un point de vue pratique comme pour la symbolique, il faudrait supprimer non pas ces Corps, mais cet emploi semble-t-il garanti à vie pour les jeunes issus de ces cursus hyper-sélectifs. L’enjeu est d’y réinjecter une culture du risque et de la responsabilité, ne serait-ce que pour l’exemple.

Le monde actuel est incertain pour tous les salariés et les entrepreneurs. Il n’existe plus de raison objective de faire une exception pour les membres des grands Corps de l’Etat. De plus, le parcours des grands haut-fonctionnaires de l’Etat qui ont un rôle à jouer dans les choix industriels devrait être plus varié, surtout lorsqu’ils arrivent en milieu de carrière. C’est en bougeant, en étant exposé à un grand nombre de situations et de talents que l’on s’améliore, pas en travaillant en circuit fermé et en attendant sagement la retraite.

Insolent

Vous croyez que le baratin est l’apanage des énarques ? Pas seulement. D’autres en sont capables à un niveau équivalent. Prenez par exemple cet ensemble de propositions de la FIEEC en 2007, la branche du MEDEF qui représente les industries électriques et électroniques, alors qu’elle était dirigée par Pierre Gattaz. De l’art de ne pas parler concret. Ces syndicats professionnels font du lobbying de branche, ils demandent de la visibilité, de l’ambition et des aides de l’Etat et ils en adoptent les pire codes de communication.

Voyons quelques exemples concrets et croustillants de propositions issues de ce rapport pour lequel il y a maintenant prescription:

  • Promouvoir les solutions d’efficacité énergétique globale des bâtiments (encore une vue centrée sur le marché intérieur, mais quelle forme de promotion ? Ils ont d’ailleurs obtenu gain de cause neuf ans après avec le décret du 30 mai 2016 qui oblige les propriétaires à isoler de l’extérieur leurs bâtiments en cas de travaux de rénovation ou de ravalement).
  • Mobiliser les énergies autour de la télémédecine et clarifier les conditions d’intervention (ça ne mange pas trop de pain).
  • Tirer partie de la convergence des technologies (oui, lesquelles, quoi donc? comment?).
  • Rattraper notre retard dans les énergies renouvelables en particulier dans le solaire (encore du rattrapage, pas du leadership!).
  • Développer notre excellence dans l’électronique et l’automobile autour des programmes sur la voiture et la route de demain (pas de mention des technologies en question! Quid de la conduite automatique? Nous ne sommes qu’en 2007 il faut dire. On ne va pas demander aux industriels d’être visionnaires!).
  • Faire de la Haute Définition un enjeu culturel et économique majeur en renforçant notre filière de production audiovisuelle (on a vu le résultat. Dans la 4K, l’histoire est en train de se répéter).
  • Renforcer la microélectronique (pourquoi pas, mais avec quel objectif et comment?).
  • Impulser une stratégie européenne sur notre secteur (c’est intéressant, mais encore?).
  • Créer un Conseil Stratégique Industriel de l’Energie, du Numérique et du Développement durable, en lien avec les Conseils existants et les  industries et services concernés (un nouveau comité Théodule, voilà une idée très créative… et mise en place avec le Conseil National de l’Industrie, créé en 2010).

On le voit très bien ici, les verbes «promouvoir», «encourager», «améliorer»,  «mobiliser», «tirer parti», «accélérer» et «renforcer» sonnent creux! Ils ne veulent rien dire. C’est de la rhétorique, de la méthode Coué, trop loin du concret et de l’actionnable!

Et les syndicats de salariés? Quand une entreprise ne va pas, comme STMicroelectronics, ils réclament plus de subventions sur la R&D, n’ayant pas plus compris que les élites dirigeantes que cela ne génère automatiquement ni leadership dans l’innovation ni réussite économique.

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, les grandes organisations sont pleines de gents intelligents, bien formés et ayant collectivement une bonne expérience. Ils prennent malgré tout trop souvent de mauvaises décisions. C’est vrai dans toutes les grandes organisations, y compris les plus brillantes comme chez Google, Apple ou Microsoft. L’ennemi? La fabrique du conformisme, le manque de courage, les luttes politiques internes, le déni de la réalité et la difficulté d’y être différent. Il leur faut éviter les décisions par comités et le consensus mou qui produit rarement des innovations radicales. Plus il y aura de gens et de gens conformistes dans un groupe de décisions, plus elles seront molles. Il faut aussi apprendre à ne pas décider en affirmant péremptoirement que «cela ne marchera pas» mais en se posant à chaque fois la question de ce qu’il faudrait faire pour que cela marche.

Comment les organisations supportent-elles les révoltés et les originaux quand ils n’en sont pas le patron comme Steve Jobs? Comment développent-elles le leadership de leurs dirigeants? Comment s’entourent-ils? Des tonnes de livres de management, surtout américains, ont été écrits sur la question. Cela pourrait changer avec l’évolution en cours du marché de l’emploi qui fait grandir l’auto-entrepreneuriat, les petites structures et l’innovation ouverte. Mais dans l’Etat, c’est un peu plus difficile même s’il peut parfois avoir quelques représentants légèrement hors norme.

Quelle est la position et la visibilité des anti-conformistes dans les élites? Le plus connu est sans doute Xavier Niel. Rares sont les grandes gueules non conformistes. Nous en avons un exemple marquant avec Nicolas Colin de TheFamily (anti-conformiste mais toutefois ingénieur télécom + science po + ENA + Inspection des Finances + entrepreneur) qui pousse parfois un peu loin le bouchon du «numérisme» et des «barbares». Nous avons aussi Jean-Michel Billaut, qui milite pour une modernisation de la société française par le numérique depuis des décennies, avec un focus sur le très haut débit et la santé, tout en développant une obsession contre les énarques, qui seraient à l’origine de tous nos problèmes.

L’un des points noirs de la France dans le fonctionnement des élites est son intégration avec le reste de la société. On le retrouve dans la faible qualité du dialogue social. On accuse volontiers les syndicats de cet état de fait mais les méthodes de management à la française ont encore des progrès à faire pour que l’exemplarité du haut soit plus visible! Une enquête sur la qualité du management en France et dans l’Union Européenne relayée dans l’étude de France Stratégie qui a déjà servi à alimenter cet article est édifiante : dans presque toutes les dimensions, le management à la française est en retard sur la mise en œuvre des bonnes pratiques: qu’il s’agisse du travail en équipe, du soutien des managers ou de la consultation des salariés.

Qualite management en France et UE

Du côté des politiques, nous avons évidemment intérêt à ce que la démocratie représentative et la haute administration soient de bon niveau. Et des élus qui viennent de tous horizons, dont des entrepreneurs. Ils sont rares aujourd’hui. Les politiques et l’administration consultent aussi bien la société civile avec à la fois les sociétés établies et les barbares / insatisfaits / insoumis / têtes brûlées des startups. Oui, mais les têtes brûlées sont moins nombreuses ou tout du moins visibles dans les industries traditionnelles.

Intel et RetD

Pour ce qui est de faire participer les quidams qui ne font pas partie d’une manière ou d’une autres des élites, cela ne peut qu’être anecdotique. La concurrence des amateurs ne se produit pas partout même s’il existe de faux amateurs très compétents dans de nombreux domaines, du fait de leur expérience existante ou passée. Amusez-vous à consulter les bios et les programmes des candidats finalistes de LaPrimaire.org. C’est à pleurer. Ces candidats n’ont pas d’expérience assez variée. Ils contribuent à la ploukisation de la politique comme les commentaires à la noix qui fleurissent dans les commentaires de l’actualité, celui du dessus sur les licenciements d’Intel valant son pesant de cacahuètes. On ne peut pas passer directement de l’Etat des élites à un Etat qui se délite. La pensée simpliste n’a pas lieu d’être dans un monde complexe.

Rappelons-nous aussi que les régimes politiques qui ont pris l’initiative de se débarrasser symboliquement ou physiquement de leurs élites n’ont pas fait des merveilles. C’était même plutôt des dictatures, ou ce que l’on appelle maintenant pompeusement des démocratures, pour décrire la situation en Turquie!

L’Etat d’esprit

Quel état d’esprit changer du point de la stratégie industrielle au niveau de l’Etat? Une stratégie industrielle répond à la fois à des impératifs économiques et sociétaux. Elle doit être compatible avec l’idée que la société se fait du progrès. C’est la raison pour laquelle toute stratégie construite autour de l’environnement obtient un bon soutien politique.

Plusieurs éléments associés à l’état d’esprit et aux méthodes doivent être injectés dans les plans industriels, quels qu’ils soient:

Une plus forte culture de l’ambition. Dans la formulation des objectifs de ces plans, il faut impérieusement passer du sempiternel rattrapage ou au mieux à un inventaire de l’existant à une ambition précise d’être les meilleurs, avec un bon time to market. L’objectif doit être tangible: obtenir ceci ou cela. Un moonshot est simple et précis: «envoyer un homme sur la lune à la fin de la décennie» en était un. «Inventer une batterie de stockage de l’énergie solaire de densité énergétique quatruple des batteries actuelles» en est un autre mais un peu trop complexe. «Guérir 90% des cancers grâce à la génomique en 10 ans» est compréhensible.

Développer la culture de l’évaluation et du benchmark. Elle est très faible dans les rapports produits pour l’Etat. On en trouve autour des Pôles de Compétitivité, mais elles n’utilisent pas forcément le bon indicateur. Ainsi, on mesure encore trop souvent l’impact des pôles sur la dépense de R&D et pas assez son aval, les innovations et la création d’entreprises leaders. Certes, l’analyse quantitative et qualitative de ces différents plans industriels est difficile. Mais le point clé reste de savoir ce que l’on veut mesurer. Si l’indicateur n’est pas bon, on ne risque pas d’aller dans la bonne direction. On contrôle aussi les finances publiques avec la Cour des Comptes mais la vision purement financière et macro masque souvent une réalité plus complexe. On a ainsi vu la Cour des Comptes remettre en cause l’intérêt des déductions fiscales poussant les particuliers à investir dans les FCPI. Alors qu’il s’agit d’une des rares dispositions qui alimente l’investissement privé dans les entreprises innovantes, le reste provenant en grande partie de l’Etat via Bpifrance et ses divers véhicules d’investissements directs et indirects.

Le développement de l’innovation ouverte, notamment via l’Open data. Cela avance lentement dans ce domaine. La mission ETALAB qui fait partie de la DINSIC (Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat) pilotée par Henri Verdier dans le SGMAP (Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique) veille au grain en secouant les puces des services publics et de l’Etat pour qu’ils ouvrent leurs données. Ceci étant, il ne faut pas en fait tout un foin. En effet, les données ouvertes en France ne permettent pas de créer un service numérique d’ampleur mondiale car les données ne sont pas ouvertes de manière homogène d’un pays à l’autre.

L’intégration de l’anticipation sociale dans les plans. Comment doit évoluer le droit du travail à la lumière  des grandes transformations en cours, impulsées notamment par le numérique? Est-ce la fin du salariat? Ou plutôt, comment celui-ci va-t-il évoluer concomitamment à d’autres formes d’activité? Comment devront être gérées les carrières, la flexisécurité, la formation professionnelle et continue? Vaste programme!

Continuer d’encourager et de fédérer les initiatives locales et les approches collaboratives. C’est un peu l’état d’esprit de la French Tech lorsqu’elle investit dans les accélérateurs privés dans les régions labellisées. C’est aussi le rôle des Fablabs et des Makers que de redonner gout à l’inventivité dans le matériel? Peuvent-ils jouer un rôle dans toutes les industries concernées? Ce n’est pas évident mais les efforts vont dans le bon sens.

C’est un peu le cas de la Fabrique de la Mobilité, lancée en 2015, qui se positionne comme un accélérateur public aidant les innovateurs avec l’habituel mixte de ressources d’accompagnement en gérant le lien avec les industriels et les territoires. Elle apporte formations, accompagnement, et accès à de nombreux outils de prototypage physiques et numériques exploitant les infrastructures et équipements des industriels et de pôles de compétitivité. Elle est focalisée sur la transition énergétique et numérique des transports. C’est bien, mais il faut se poser la question du dimensionnement des ambitions associées. En s’appuyant sur les financements traditionnels et des liens avec les grandes entreprises existantes qui sont lentes et peu ambitieuses, cela risque de perpétuer le statu quo. A côté de cela, Elon Musk fait la fois du collaboratif mais aussi du massif, même s’il s’appuie sur la foule pour financer ses projets, eu égard au lancement de la Tesla 3S.

Attention cependant à bien intégrer le fait que ces initiatives sont très amont dans les processus d’innovations. Elles sont très loin de pouvoir  accompagner la phase d’industrialisation qui nécessite des moyens financiers et matériels bien plus importants.

 

Olivier-EzrattyOlivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.

 

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