Il ne paye pas de mine, le portail du 96 bis boulevard Raspail, à Paris. Disons plutôt qu’il ne laisse rien transparaître. Pourtant, derrière, c’est un bâtiment entièrement retapé à neuf de 2 300 mètres carrés, jonché de bandes colorés sur le sol pour indiquer les visiteurs, que l’on retrouve. C’est ici qu’officie depuis 2012 l’incubateur Agoranov et 37 de ses 45 start-ups incubées. « Avant, nous étions répartis sur trois sites parisiens différents, c’était vraiment compliqué. Puis on a récupéré cet ancien laboratoire scientifique pour lequel la Mairie de Paris a en partie financé la réhabilitation » explique-t-on. D’ailleurs, les locaux appartiennent toujours à l’université Pierre et Marie Curie, qui fait partie des membres fondateurs du projet aux côtés de l’université Paris-Dauphine, l’Ecole Normale Supérieure, Paris Tech et de l’INRIA.
C’est cependant en 2000 que l’incubateur a vu le jour. Depuis, 263 projets ont été intégrés pour plus de 2 400 emplois créés selon les chiffres renvendiqués. Financé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, la Mairie de Paris, la région Ile de France et le Fonds social européen, sa mission est de « favoriser la création d’entreprises innovantes à partir des résultats de la recherche publique ».
Un jeune pousse nommée Criteo…
« Tous les organismes de recherche ont des structures de valorisation de la recherche en interne. Une fois développée, une technologie peut être soit licenciée à un industriel, soit revendue, soit déboucher sur une création d’entreprise. Dans ce dernier cas, nous prenons le relais. A nous de faire monter les chercheurs en compétence entrepreneuriale » explique David Argellies, chargé d’affaires chez Agoranov.
« Les chercheurs sont très différents des entrepreneurs : ils n’ont pas le même langage ni la même culture… Nous les aidons à convertir leurs technologies, sorties d’un laboratoire de recherche, pour les booster et en faire quelque chose de commercialisable. Les chercheurs-entrepreneurs représentent au moins la moitié des projets pour une moyenne d’âge de 30-35 ans, car ils ont plus de background avant de se lancer ». Et l’autre moitié alors ? « Nous acceptons toutes sortes de projets et tout type de profil. Nous ne sommes pas cantonnés à la recherche publique ou à un secteur particulier » tempère-t-on cependant. En tout, 250 personnes travaillent dans le bâtiment où se mêlent open space, bureaux privés, salle de réunion, salon aux canapés fluorescents et une salle de conférence où le mobilier moderne et design se croise au vintage d’une ancienne bibliothèque.
Pas de prise de participation au capital
Chercheurs d’un côté, start-upers de l’autre… Cette tectonique des plaques a donné naissance à une montagne : Criteo. Le Français du retargeting publicitaire, qui a levé 250 millions de dollars au Nasdaq en octobre 2013, est né de la rencontre de Franck Le Ouay et Romain Niccoli, tous deux ingénieurs, et de Jean-Baptiste Rudelle, qui s’était déjà lancé dans l’entrepreneuriat. « Les fondateurs se sont rencontrés chez Agoranov. A l’origine, ils n’étaient pas partis pour faire du RTB, mais un moteur de recommandation cinématographique ». La pépite française a racheté en avril AdQuantic, une autre société issue d’Agoranov fondée par des chercheurs en physique quantique.
L’incubateur a aussi vu passer Multiposting, RunMyProcess, ce dernier racheté en novembre par Fujitsu, ou encore Anevia, une société fondée par deux anciens de VLC qui édite des logiciels d’optimisation des flux vidéos et qui a levé 6,8 millions d’euros sur l’Alternext d’Euronext en mai dernier. Il héberge également Phonotonic, qui développe des jeux musicaux interactifs, co-incubé au CentQuatre avec qui un partenariat a été noué. En ce moment aussi, Dataiku, spécialisé dans le Big data. Selon un projet de délibération de la ville de Paris, l’ensemble des sociétés incubées en 2013 auraient levé 5,7 millions d’euros.
« La force d’un incubateur public, c’est l’indépendance vis-à-vis des projets, car notre modèle repose sur une séparation de nos financements de notre sélection des projets. Nous ne prenons pas de participation dans les sociétés ».
Mais la structure manque encore de visibilité. « Ce qui est intéressant dans un incubateur, c’est d’obtenir une taille critique en regroupant beaucoup d’entreprises pour mieux communiquer. Potentiellement, Agoranov aurait tout à gagner à s’agrandir et à fusionner, tout en conservant le même modèle qui est le bon » nous explique un entrepreneur. « Pour une start-up, il y a une pléthore d’offres à Paris. Il faudrait moins d’acteurs, mais plus d’incubateurs avec une taille critique » ajoute-t-il.
Un produit commercialisable en 24 mois
Les start-ups doivent acquitter un loyer, bien en deçà du marché nous assure-t-on, pour un programme de 24 mois comprenant un service tout compris d’hébergement avec les infrastructures requises (Internet, téléphone…), un accompagnement individualisé par un chargé d’affaires spécialiste du secteur, et une accélération avec, à la clé, des formations, des conférences, et des cycles de formation plutôt académiques sur les bases de l’entrepreneuriat (business plan, levée de fonds…).
« Les entrepreneurs montent en compétences et doivent sortir avec un produit commercialisable en 24 mois ». Pour cela, le réseau des anciens joue aussi pour trouver des relais et partager leurs connaissances. « Nous avons une appétence pour des projets plus technologiques, mais comme nous sommes ouverts à tous les secteurs, cela créé des synergies entre les start-ups web et celles qui sont plus tech » explique M. Argellies. « Agoranov est aussi un bon endroit pour trouver ses premiers clients, parmi les autres projets incubés » selon un entrepreneur. Et les complémentarités se rencontrent souvent à la cafète, tout simplement. « Le café est gratuit. Ça joue beaucoup ».
Olivier HARMANT
Crédit photo : Olivier Harmant pour Frenchweb
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