Transformation numérique d’Accor: vraie stratégie ou sauve-qui-peut ?
Entre anciens et nouveaux acteurs de l’hébergement, la bataille est engagée. Pour éviter de connaître la situation des taxis face aux services de VTC, les groupes historiques s’empressent de mettre sur pieds leur fameux « plan de transformation digitale» pour éviter de se faire « uberiser ».
« Définir le coût du service rendu » par les centrales
Accor, lui aussi, opère une stratégie offensive pour contrer la montée en puissance des centrales de réservation – Expedia, Trivago, Booking.com (racheté en 2005 par l’américain Priceline) et Hotels.com en tête – mais aussi des sites d’hébergement collaboratif du type d’Airbnb, HomeAway ou – dans une moindre mesure – Bedycasa.
Le groupe hôtelierinvestisseurs/184874″ target= »_blank »> a porté plainte lundi 23 février contre le site Booking.com auprès de l’Autorité de la concurrence pour abus de position dominante, au moment où le site lance une application de réservation sur mobile. Le consultant en marketing digital Olivier Ezratty estime d’ailleurs: «Ils se font bousculer par ce que d’autres acteurs ont fait leur marketing à leur place !».
Recruté à la tête du groupe en 2013, Sébastien Bazin a fait une priorité du renforcement d’Accor face à ces sites. Ces centrales lui amènent des millions de clients, mais il entend rééquilibrer le rapport de force: « (…) ils sont devenus extrêmement puissants. Cinquante millions de clients et 300 000 destinations rien que pour Booking ! Aucun des grands hôteliers mondiaux ne peut rivaliser dans la distribution digitale. Mais ils ne veulent pas non plus tuer les hôteliers. La question est de définir le coût du service rendu » déclarait M. Bazin début décembre dans une interview accordée au Monde. Accor annonçait d’ailleurs début février qu’il allait intégrer l’outil de réservation instantané lancé par TripAdvisor.
Sur le plan de sa transformation en interne: le groupe a lancé le 30 octobre 2014 un plan numérique baptisé « Leading Digital Hospitality ». Le directeur e-commerce du groupe, Romain Roulleau, était d’ailleurs venu l’évoquer sur FrenchWeb.
Une application mobile commune à tous ses hôtels
Accor réalise aujourd’hui 35% de ses ventes par Internet (soit environ 2 milliards d’euros) et 12% des réservations sont faite via mobile. Le groupe se donne pour objectif de passer de 12 à 35%. Aussi, son plan de transformation comprend le lancement d’une nouvelle application, commune à tous les hôtels Accor. Via celle-ci, le client pourra se tenir informé des services disponibles dans les hôtels, les réserver, etc. Accor a d’ailleurs racheté au mois d’octobre la start-up française Wipolo qui édite une application de carnet de route (réservations d’hôtels ou de voiture, itinéraires, prévisions de trafic…).
Autre contenu du plan: le groupe se décide aussi à mettre des moyens pour exploiter les données recueillies au sujet des clients ! Il s’apprête à exploiter une bases de données (pompeusement baptisée « Voice of the guests») pour adresser des offres personnalisées, et mettre en commun les retours clients.
Troisième point: la dématérialisation des moyens de paiement. Il va créer un mode de réservation accéléré avec un enregistrement en ligne, comme les passagers d’un vol le font souvent déjà. Pour toucher les professionnels, Accor se targue de « solutions digitales innovantes pour les entreprises »: il s’agit simplement de leur donner la possibilité d’une réservation en ligne d’espaces de séminaires et d’intégrer les services qui leurs sont réservés sur le site accorhotels.com.
Un réseau social d’entreprise !
Pour ce qui est des changements en interne, le groupe annonce qu’il va mettre des tablettes et smartphones à destination des hôtes d’accueil, développer la formation en ligne et favoriser l’échange grâce à un réseau social d’entreprise (« AccorLive »). Il compte aussi un portail d’information afin d’accompagner ses franchisés dans leur politique tarifaire et de facturation.
Enfin, l’axe « Infrastructure Transformation » de ce plan à cinq ans prévoit une amélioration des outils techniques pour favoriser le « déploiement de nouveaux services et accompagner la montée en puissance du volume de transactions ».
Pour mettre en place ce plan, Accor s’appuie sur une gouvernance dédiée. Le groupe a recruté deux Polytechniciens passés par Orange: Christophe Nowak et Vivek Badrinath.
Budget total de l’opération sur la période 2014/2018: 225 millions d’euros dont 55% en investissements (Capex) et 45% en dépenses d’exploitation (Opex).
Alors au final, ce plan a-t-il convaincu ?
Pour Gilles Babinet, multi-entrepreneur et aujourd’hui Digital Champion représentant la France à la Commission européenne, « le monde du tourisme est celui qui a eu le plus de mal à réagir. Ces acteurs considéraient leur métier par nature comme très éloigné du numérique et pensaient que leurs actifs (immobiliers, ndlr) très importants étaient une barrière à l’entrée. Ils ont subi un choc avec l’arrivée des Booking et consorts, puis un deuxième avec les sites du type Airbnb. On est peut-être au début d’un troisième choc quand on voit ce qui commence à être proposé en Asie avec des offres globales vendues par Internet ».
Alors: « depuis quelque temps, le CAC 40 a accéléré sa mutation digitale, c’est une bonne nouvelle mais on est encore en deçà du benchmark. Ils déploient aujourd’hui des moyens sans commune mesure avec ceux qu’ils auraient pu mettre (s’ils avaient anticipé, ndlr)» estime-t-il.
Il a conçu un premier classement sur la maturité digitale des entreprises du CAC 40 en collaboration avec Enjeux Les Echos paru au mois de septembre 2014 et travaille actuellement sur une deuxième édition de ce classement, prévue pour septembre prochain.
Quant à Olivier Ezratty, consultant-expert du marketing digital, l’erreur qu’ont tendance à faire les grands comptes de ce type est de rajouter une couche « digitale » à leurs activités, sans forcément repenser de fond en comble leur stratégie marketing.
« Il faut d’abord se poser des questions de marketing, de fidélisation, de qualité de service, et après mettre en place une stratégie digitale qui traduit cette réflexion. Le numérique est un outillage d’adaptation » fait-il remarquer. Dans le cas d’Accor, il constate: « c’est une marque qui n’a pas une image très définie, son offre est très fragmentée entre les différentes gammes (Sofitel, Pullman, Ibis, Mercure, ndlr)».
En ce sens, la mise en place d’une application de réservation commune semble aller dans le sens de l’unification, mais l’on peut s’interroger sur la désintermédiation réellement mise en place en interne, entre les différentes marques. « On va sur une jambe de bois » craint cet expert.
Pour lui, il faut aller plus loin: « Comment vont-ils segmenter leur offre B to B et B to C ? Où en est leur stratégie d’écosystème ? Vont-ils se mettre à la e-conciergerie ? Comment vont-ils faire pour changer le modèle de réservation dans l’esprit des consommateurs?
Enfin, Leila Turner, directrice de l’agence d’innovation Fabernovel Paris, est, elle, davantage enthousiaste sur ce plan numérique d’Accor.
« Ce qui est notable dans ce plan c’est son ambition et les ressources pour y parvenir (225 millions d’euros sur 5 ans c’est considérable.) (…). D’après le plan présenté, Accor a bien cerné tous les enjeux. En revanche, je crois a l’alliance du cerveau et de la main et que tout va se jouer sur l’exécution, j’ai donc hâte de voir tout ce qui va sortir » confie-t-elle.
Elle attend de voir, donc : « Je regarderai particulièrement le « mobile first » car si toutes les entreprises en parlent, elles sont encore peu nombreuses à avoir bougé a la hauteur de ce nouvel usage ».
Ce plan arrive-t-il assez tôt ? « Ils ont des atouts, à commencer par leur base de 40 millions de contacts et la flotte de collaborateurs dans leurs 3 600 hôtels qui peuvent devenir de vrais ambassadeurs de marque au delà du rituel administratif du check-in / check out. Mais en plus des centrales qui sont bien implantées aujourd’hui dans les usages, il faudra aussi compter sur leurs concurrents historiques dont certains ont pris un peu d’avance par rapport à Accor notamment sur les programmes de fidélisation. Ce sera difficile mais la messe n’est pas dite ».
Secteur d’activité: Tourisme
Chiffre d’affaires : 5,45 milliards d’euros (+0,5% sur un an)
Résultat net : 223 millions d’euros (+77% sur un an) en partie expliqué par la restructuration d’HotelInvest, sa branche immobilière
Résultat d’exploitation : 602 millions d’euros
Marge d’exploitation : 11%, contre 9,6% en 2013
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