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“Engagement” des collaborateurs par les réseaux sociaux : un mirage ? par Bertrand Duperrin

Résumé : la mode est à l’”engagement” du collaborateur et les dynamiques de réseau social sont, une fois de plus, vues comme la solution du moment. Le problème est en fait plus profond : entre l’aspect cosmétique (le réseau pour éviter de se pencher sur les vrais problèmes), les réflexes culturels de défiance face à l’entreprise et des personnalités qui peuvent être plus ou moins extraverties, le réseau social n’est pas une baguette magique. Il importe de se focaliser sur les attentes des collaborateurs (notamment en termes de RH), trouver une manière de s’adresser à une population qui a une vision rationnelle de ses rapports professionnels et ne pas croire que l’activité d’un réseau social est le seul baromètre de l’engagement des salariés, ni une manière de tous les toucher.

Le concept d’”engagement” du collaborateur est central dans nombre de réflexions et d’argumentaires sur l’entreprise 2.0 ou l’arrivée des réseaux sociaux en entreprise. La raison est simple à comprendre : des collaborateurs plus engagés sont plus impliqués (mais d’ailleurs n’est-ce pas la bonne traduction française du terme anglais ?), moins enclins à quitter l’entreprise, on plus envie de se dépasser et donner pour la réussite de l’entreprise et de leurs collègues, Forcément, tout ce qui rapproche l’entreprise du collaborateur et crée du lien entre les collaborateurs est bon à prendre…d’où l’irruption des médias et réseaux sociaux dans le discours.

Vraiment ?

Je sens encore venir le coup de la baguette magique. “Engagez [impliquez ? Fidélisez ?] vos collaborateurs en leur donnant un réseau social”. Bien sur. Ils n’ont aucune visibilité sur leur carrière, ont été embauchés à bac+5 avec un salaire bac+3, s’ennuient dans ce qu’ils font, savent qu’ils seront peut être augmentés de 0,01% quant tout ira mieux (pour qui ? parce que pour l’actionnaire ça va pas si mal), on leur demande d’en faire toujours car c’est la crise…et qu’il y a des gens qui attendent pour prendre leur place, on leur coupe les accès à une grande partie de l’internet sur leur lieu de travail, on les a recruté pour leur capacité à proposer, à innover, à être moteurs pour leur expliquer que la première chose à faire était de rentrer dans le moule sans faire de vagues, ils ont peur que l’entreprise ne les aide pas pas à maintenir leur employabilité dans un monde qui change vite…..et un Facebook-like va faire leur bonheur. Qu’en les laissant se souder entre eux ils vont oublier le reste ? Que ça va les empêcher de mal dormir en rentrant chez eux parce qu’ils ont peur pour demain…et se demandent même comment joindre les deux bouts à la fin du mois. Que la mise en réseau va leur apporter un sucroit de motivation ?

Franchement, vous y croyez ? Est ce que vous pensez une seule seconde qu’un réseau social va changer quoi que ce soit ?

L’utilisation d’un réseau social ne changera absolument rien sauf s’il est un outil, parmi d’autres, dans un dispositif visant à changer toutes les choses énumérées dans le paragraphe précédent. Malheureusement derrière la promesse du “les réseaux sociaux pour”, on oublie souvent que le plus difficile c’est le projet qu’il y a derrière. Une illusion de la facilité qui n’aide, au final, personne. Alors bien sur, si on monte un vrai plan d’action pour former, discuter, expliquer, écouter, permettre l’autoformation par l’échange entre pairs etc etc…le réseau sera un outil du dispositif. En attendant, et heureusement, certaines entreprises n’ont pas (encore) de politique réseau social forte mais ont depuis des lustres une vraie politique RH. L’un de dispense pas de l’autre.

Et puis il y a un autre élément à prendre en compte. On n’”engage” pas ses collaborateurs unilatéralement mais on leur donne des raisons de le faire. Là encore, faire croire à l’entreprise qu’elle détient tous les leviers permettant ce fameux engament est une erreur. Elle ne peut créer les condition et, in fine, c’est le collaborateur qui décide (ou non) de son engagement. C’est un peu comme un mariage : on peut être un beau parti, avoir de l’humour, être intelligent, cultivé etc… faire une demande et essuyer un “non” retentissant. L’engagement c’est donner, c’est se découvrir, c’est laisser les autres nous découvrir. Peu compatible avec des choses telles que la défiance ou la méfiance. Appelons un chat un chat, pour des raisons personnelles, culturelles, il y a des personnes qui par principe seront hermétiques à tous les efforts déployés. Ils ne croient pas en l’entreprise, veulent que les collègues ne restent que les collègues et refusent d’entrer dans une relation où ils s’exposeraient trop et, finalement, pensent que le fait de tous travailler ensemble pour une même entreprise n’est en aucun cas une raison pour se rapprocher et aller plus loin.

Comme me le disait quelqu’un récemment, “un employé US qui crie sur tous les toits “j’adore ma boite, mes collègues sont super, on fait des trucs géniaux” est un employé engagé qu’on applaudit, le même en France est un lèche botte dont on se méfie, voire dont on se moque”.

Ce qui nous amène au dernier point : la manifestation de l’engagement ? Est-ce parce que tout le monde se connecte, émet des messages positifs, complimente et félicite les autres publiquement qu’on peut dire qu’ils sont “engagés”. Peut être. Ca n’est pas non plus parce qu’ils ne le font pas qu’ils n’en n’ont rien à faire. Nombreux sont les personnes dévouées à leur entreprise, consciencieuses dans leur travail dont la personnalité les empêche de s’étaler ainsi. Leur engagement est plus discret, pas visible, repose peut être sur des choses différentes. Une vertue prêtée au réseau social est qu’il permet d’exprimer les choses, les rendre visibles et (idéalement) contagieuses. Oui…mais cela ne s’applique pas à tout le monde non plus et représente donc à la fois un indicateur biaisé et un levier incomplet.

Conclusion ? Pensez à votre politique RH d’abord, dites vous que selon les situations il faudra avoir des objectifs plus modestes, et qu’il faut aller plus loin que la parie émergée de l’iceberg. Et au final, respectez la culture des uns et des autres. Au final vous ouvrez la porte…mais c’est eux qui décident de passer le pas.

Et, pourquoi pas, se demander comment amener dans le changement organisationnel des personnes motivées par leur travail mais peu enclines aux épanchements d’affection et rechignent à se diluer dans leur environnement professionnel.

Le réseau social, créateur de lien et facteur d’engagement est tout sauf un mirage. Reste à lui donner du sens pour que la promesse soit tenue. En tout cas il ne sera jamais un substitut à une politique RH volontariste mais, éventuellement, un de ses leviers.

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