8 tendances 2018 qui vont marquer le secteur des technologies, médias et télécommunications
Par Jean-Luc Raymond, expert Transformation numérique des TPE/PME et social media
Il y a de drôles de métiers dans le secteur du numérique. Celui des analystes intrigue forcément. Ils ne sont ni journalistes, ni blogueurs, ni influenceurs (quoi que) mais tout à la fois chercheurs, consultants, experts-spécialistes et souvent prescripteurs. On les écoute avec passion (ou circonspection) pour leurs prédictions annuelles.
Ainsi, le rendez-vous était donné, il y a quelques jours à Paris dans un grand hôtel parisien, à une dizaine de journalistes triés sur le volet pour s’abreuver des tendances 2018 sur les évolutions d’usage, de consommation et de marché du secteur des technologies, médias et télécommunications (dite étude TMT) par son grand manitou, Duncan Stewart, Directeur du Centre de recherches TMT de Deloitte Canada, qui, pour le célèbre cabinet développe chaque année depuis 2001 un roadshow planétaire bien huilé, passant en revue ce que le numérique sera-serait demain.
Paris se veut une étape incontournable de la tournée des prédictions TMT. Il faut dire que l’accueil dans la capitale est plutôt chaleureux et que notre cher Duncan ne manque pas d’humour en distillant dans sa présentation, des instants de vie familiale comme des scènes du quotidien avec son épouse, des images de sa ville adorée (Toronto) sans oublier des photos avec son imposant chien ; figures dignes de clichés Instagram afin de détendre l’atmosphère.
L’homme est avenant et interrompt volontiers le défilé de ses « slides » pour expliquer longuement au journaliste néophyte que l’intelligence artificielle n’est pas le graal du numérique ou que ceux qui font des assistants vocaux la tendance majeure de 2018 n’ont pas tout à fait compris ce que recouvre la réalité de ce marché.
Première partie de l’exercice de style des prédictions TMT : dire humblement qu’on a pu se tromper concernant la précédente étude annuelle. Pas sur tout, bien évidemment. Après tout, ce ne sont que des tendances que le marché saisit plus ou moins avec opportunité(s) et quelques espoirs sont déceptifs pour des technologies ou des adoptions par les usages pas mâtures auprès des cibles. Les indicateurs et les fameux signaux faibles ne sont pas tous au rendez-vous pour un alignement des planètes qui fait vibrer la machine à sous en US Dollars ou autres devises sonnantes et trébuchantes.
2017-2020 : Une pause de 3 ans avant un prochain « gap » technologique ?
Parmi les effets de bord et déceptions 2017, il semble que les équipements grand public n’évoluent guère et qu’ils marquent même une pause. « Ne pas s’attendre à une rupture technologique de ce côté-là avant 2020 » dixit sir Stewart.
Le triptyque magique des outils numériques de 2020 pour le grand public risque fortement de ressembler à 2017 : les smartphones sur la première place du podium, les ordinateurs en 2e position et les TV fermant le ban… car les technologies évoluent peu. Rien de nouveau si ce n’est la poussée des enceintes connectées ou assistants vocaux, grands gagnants des cadeaux de prédilection pour les foyers nord-américains et européens en 2017. Mais est-ce un effet de mode « gadget » ou une tendance de fond ? Les journalistes autour de la table s’interrogent et Duncan aussi.
On se doit d’être plus optimistes sur la côte en devenir de quelques annonces bien senties de l’étude TMT en 2017 : l’apprentissage machine devient (avant tout) mobile ; la 5G se déploie doucement mais sûrement ; la navigation intérieure (à domicile, au travail, dans les magasins et pour les temps de loisir) demeure la dernière frontière de la navigation numérique. Duncan ne nous dira pas si la domotique se fondra dans un internet ambiant. A suivre peut-être pour 2019…
Revenons à ce qui nous intéresse présentement pour 2018 ; voilà ce que notre analyste du pays du sirop d’érable révèle à son audience attentive :
1. La réalité augmentée qui gagne par l’image et le ludique
2018, année charnière pour la réalité virtuelle ; qu’on se le dise! La réalité augmentée concerne d’abord les smartphones de plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde majoritairement à travers des jeux et des fonctionnalités de stickers « intelligents » et effets photographiques dont s’est fait par exemple la spécialité Snapchat puis Instagram ou encore les très populaires applis de beauté. Ouf! Après des mois à se chercher, la réalité augmentée est pratiquement une réalité avec 300 millions de créateurs chaque mois et des revenus fois 10 pour ce marché en 2020 en comparaison de 2018. La cash machine est en route!
2. Smartphones et innovations invisibles
D’ici 2023, attendez-vous à ce que les smartphones (on dira alors « téléphones intelligents ») se ressemblent de plus en plus les uns les autres. Connectivité, processeurs, appareil photo, couche logiciels, intelligence artificielle, mémoire et capteurs se lanceront dans une danse endiablée pour une introduction d’innovations invisibles pour ses utilisateurs. Ainsi d’ici à 2020, la mémoire qui équipera les smartphones augmentera fortement, passant de 32 Go à 128 Go. En 2023, 75% des possesseurs de smartphone l’utiliseront pour s’authentifier dans de nombreuses situations de la vie quotidienne. Toc toc, Big Brother es-tu là ?
Quant au smartphone aujourd’hui, c’est déjà et ce sera encore plus dans l’avenir, un utilitaire professionnel quasi-indispensable avec un effet couteau suisse. Duncan va jusqu’à nous montrer une photo du fameux couteau pour mieux insister sur cette tendance de fond.
3. Le machine learning : un pas de géant pour les entreprises
Définition : « Le machine learning est une intelligence artificielle qui permet aux systèmes d’apprendre et de s’améliorer eux-mêmes, en tirant les leçons de leurs propres expériences. » Attention : les grandes et moyennes entreprises vont davantage mettre à profit le machine learning : l’utilisation de cette technologie devrait doubler d’ici à fin 2018 pour des projets pilotes, et doubler à nouveau d’ici à 2020. Les entreprises se cherchent sur le sujet, modélisent et pérennisent ? Attendez-vous à des sauts de cabri dans des business avec l’automatisation du traitement des données, la réduction du volume de données nécessaires à l’apprentissage, l’accélération de la formation ou l’interprétation des modèles. Tout ceci devrait faciliter et accélérer l’élaboration de solutions de machine learning.
Le machine learning va avoir des effets directs dans les modes d’organisation des entreprises et sans aucun doute sur la manière de travailler « plus rapidement et de façon plus souple » ajoute Ariane Bucaille, représentante de Deloitte France. Derrière ce vocable, on ressent les questions en suspens de la Presse : moins de travail ? Plus de chômage ? Quid de l' »adaptation » des ressources humaines ?
Pourquoi faut-il croire si fort au machine learning ? Parce que d’ici à la fin 2018, les puces vont être prêtes, celles intégrant les technologies FPGA « Field Programmable Gate Array » ou ASIC « Application Specific Integrated Circuit Solutions » ; autrement dit celles qui permettront une utilisation intensifiée du machine learning dans les smartphones, pour des applications mobiles qui consommeront moins d’énergie, d’être plus responsives et performantes.
En effet, le processeur est essentiel pour le machine learning. Duncan en fait d’ailleurs un adage version 2018 : « If you change the chip, you change the technology » (Si vous changez la puce, vous changez la technologie).
4. La connexion mobile devient le mode de connexion internet de référence
Après ce passage technique, petit sondage à la volée par Mister Stewart pour les participants à ce repas de Presse : « Qui utilise uniquement une connexion mobile ? » comprendre « Qui a laissé tomber sa connexion fixe téléphonie et internet ? » Petite déception de l’orateur avec un seul doigt qui se lève.
Pourtant, cet unique journaliste porte à lui seul une tendance marquante : de plus en plus d’habitations sont connectées à Internet uniquement via un réseau mobile cellulaire. En effet, 20% des 18-24 ans utilisent uniquement leur connexion mobile pour accéder à Internet depuis chez eux. Et ce n’est pas qui on croit de prime abord : il s’agit principalement de personnes issues de milieux ruraux, aux revenus moyens faibles. Ceci est permis par la performance des réseaux mobiles, une plus large couverture géographique de la 4G et des forfaits mobiles offrant plus de data. Cependant, si, en 2018, 1 foyer sur 5 aux Etats-Unis et 3 foyers sur 10 au Brésil se connectent à Internet via un réseau mobile cellulaire, c’est seulement le cas pour 1 foyer sur 10 en Europe.
5. Médias digitaux : le boum de l’économie de l’abonnement
Il aura fallu attendre la montée en puissance de Netflix pour la vidéo, le succès de Spotify et Deezer pour la musique, l’accélération de l’offre en ligne des quotidiens américains comme le New York Times et le Washington Post, le succès des abonnements internet pour le Financial Times pour que les médias croient de nouveau qu’Internet ne soit pas synonyme de fossoyeur définitif de la Presse. L’équation numérique et médias est plutôt gagnante précise l’optimiste Duncan Stewart.
Les consommateurs sont de plus en plus disposés à payer pour du contenu : fin 2018, un adulte sur deux possédera au moins deux abonnements digitaux payants, et en 2020, 50% des adultes en auront au moins quatre. Plus de 680 millions de souscriptions à des abonnements numériques sont attendues d’ici à 2020, principalement portées par la vidéo à la demande et la musique ; les plus gros consommateurs dépenseront jusqu’à 1 200 dollars US par an en abonnements en ligne.
6. Les bloqueurs de publicité plus que jamais en vogue
Duncan nous en avait déjà parlé en 2017, nous avons droit à une nouvelle couche pour ce début d’année… De quoi donner de la sueur froide aux publicitaires… Les adblockers sont de plus en plus utilisés sur ordinateur, smartphone, sur les téléviseurs intelligents (pour sauter les publicités), pour l’écoute de la radio ou de la musique en continu.
Les réactions dites « d’allergie aux publicités » sont d’autant plus fortes que le niveau d’éducation et la catégorie socio-professionnelle sont élevés, par ailleurs cibles prioritaires des annonceurs. Bon courage donc aux annonceurs pour innover autrement que par le refuge facile vers le contenu de marque (brand content). Créez, innovez!
7. La seconde vie du « live » avec le numérique
Le marketing de l’expérience ; ça vous connaît ? Les diffusions et événements « en direct » prennent de l’ampleur dans les habitudes de consommation grâce et malgré l’impact du digital. Ils généreront plus de 545 milliards de Dollars US de chiffres d’affaires en 2018, dont 72% proviendront de la télévision et de la radio. Les concerts, spectacles, conférences, événements sportifs, cinéma devraient quant à eux générer 146 milliards de Dollars US en 2018.
Pouvoir se divertir, voir, échanger, vivre un événement en « live » devient indispensable et les offres se multiplient.
8. Consommation TV chez les 18-24 ans : le point de bascule n’est pas atteint
Une baisse comprise entre 4 et 11% de la consommation de la TV chez les 18-24 ans est à prévoir en 2018 et 2019 ; cela même sur la télévision de rattrapage. Cette diminution est semblable à celle qui a été observée au cours des 7 années précédentes et n’empire pas… mais la pente est régulière et glissante.
Les sources qui détournaient l’attention des jeunes de la TV, telles que les smartphones, les médias sociaux et le téléchargement illégal de vidéos, sont sur le point d’atteindre un palier de saturation. Toutefois, le smartphone se substitue de plus en plus au téléviseur classique… pour regarder la TV.
Fin de partie et bon appétit
Après une présentation de 68 diapositives, Duncan répond aux questions à tout va : que penser de la 5G ? Les enceintes intelligentes vont-elles révolutionner notre vie quotidienne ? Et autres joyeux sujets en vrac.
Le repas s’achève avec un délicieux gâteau Saint-Honoré sous la forme d’une petite maison façon chalet. Message subliminal en ce temps hivernal : les tendances numériques annoncées entreront-elles rapidement chez nous ou resteront-elles bloquées devant la porte par de la neige version crème fraîche onctueuse ?
Le contributeur :
Jean-Luc Raymond est Social Media Manager Senior. Il conseille des grandes entreprises, institutions et organisations non gouvernementales sur leur stratégie de présence en ligne. Il traite des tendances numériques professionnelles et d’usages sur son blog.
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