9 ans après…Le triste bilan de l’industrie du crowdfunding
Tout démarre en France en 2007 avec les pionniers du secteur du financement participatif : My Major Company !
L’Histoire ne pouvait pas être plus belle. Un projet ambitieux emmené par un entrepreneur hors-pair, Michael Goldman, fils de… mais surtout vrai visionnaire puisqu’il se lance deux ans avant la célèbre plateforme Kickstarter et se retrouve en avance de phase d’une vague qui emportera sa startup MMC jusqu’aux sommets de ce secteur totalement naissant et à l’époque prometteur. Qu’est-ce que le crowdfunding ? La possibilité de permettre à tout un chacun de pouvoir lancer un projet et de se le faire financer par une foule de fans en délire.
Grégoire fut tout à la fois la première explosion du phénomène auprès du grand public et à la fois une sorte d’exemple qui aura bien du mal à trouver d’autres descendants… Car force est toutefois de constater que neuf ans plus tard, le site de My Major Company a été mis à l’arrêt en mars, mais qu’à côté de cela, les autres plateformes n’ont pas particulièrement vu leurs volumes suivre les exemples américains et anglais. Que s’est-il passé ? Voici un décryptage tant entrepreneurial qu’économique.
Le dilemme des porteurs de projet
Faut-il remettre son destin dans les mains d’un éditeur ou bien est-il vraiment possible de faire émerger un projet de ses propres mains et qu’il devienne un véritable succès sans en passer par la case des sempiternels refus décourageants ? L’ère du crowdfunding a permis de mettre en lien des créatifs avec un public large d’internautes qu’ils n’auraient jamais pu adresser auparavant.
De ce point de vue, ce fut bien l’avènement du web 2.0 où l’impossible devenait possible grâce à la magie de la toile. Mais neuf ans plus tard, ces bonnes ficelles n’ont pas permis l’essor d’un nouveau marché. Le crowdfunding reste une activité confidentielle et de niche. Les porteurs de projets restent tributaires des distributeurs, quelle que soit la nature de leurs projets et il faut bien constater de véritables freins imposés par les acteurs économiques en place pour restreindre l’accès à leurs marchés ou à leurs étals. Neuf ans plus tard, au sein des plus grands distributeurs français, y-a-t-il un rayonnage connu du grand public et sur lequel on retrouverait des produits financés par la foule ? Á part des produits made in china, le «made in french crowdfunding» a bien du mal à être visible.
Certes, il faut reconnaître de micro initiatives de-ci de-là. C’est toujours bon pour l’image. Mais rien de bien sérieux et de bien scalé pour produire de véritables ventes à grande échelle. Pourquoi cet état de fait ? Les distributeurs vivent de leurs marges arrières et préfèrent en rester à leurs bonnes vieilles habitudes de copinage : «Tu me prends telle tête de gondole et tu m’assures tel % de marge arrière et je t’assure en contrepartie X% des ventes de mon rayon». Les grosses ficelles… Sans parler du racket des catalogues en tout genre, censés booster les ventes et uniquement là pour justifier des marges arrières encore plus importantes.
Ce petit monde reste inaccessible à des porteurs de projet qui pourtant auraient passé avec succès l’étape du financement participatif et disposeraient des stocks de départ pour envisager une commercialisation à plus large échelle. De ce point de vue, les plateformes en place n’ont toujours pas réussi à résoudre cette équation économique pourtant vitale pour assurer un noyau de créatifs dont les bases de fans deviendraient suffisamment larges au fil du temps pour pérenniser leurs activités.
Car de quoi vivent les plateformes de crowdfunding ?
Voilà bien la question. Avec une commission très généralement comprise entre 5% et 8%, le modèle économique actuel de ces acteurs est tout bonnement intenable dans la durée au vu de la taille actuelle du marché français. Il faut mobiliser des forces vives en interne pour maintenir les sites et régler les différents problèmes inhérents au Crowdfunding (retards des projets, disparition plus ou moins voulue des porteurs de projets, remboursements…). L’effet de nouveauté («hype») est clairement passé pour cette industrie qui doit aujourd’hui se réinventer pour ne pas fêter ses 10 ans avec un méchant mal de tête. D’ailleurs, la plupart des plateformes françaises ont dû opérer des pivots stratégiques afin d’assurer a minima leur survie : se lancer dans le crowdequity ou le crowdlending, développer des activités annexes (labels ou plateformes de pourboires pour MMC)… C’est cela ou la disparition pure et simple.
De la difficulté de trouver les meilleurs porteurs de projet
Là où le bât blesse peut-être, c’est que finalement les porteurs de projets les plus ambitieux privilégient aujourd’hui l’acteur numéro 1 du secteur, à savoir Kickstarter, qui dispose de la communauté de membres la plus large et ouvre un marché mondial. Difficile de rivaliser pour les acteurs français. Mais au-delà de ce constat assez sommaire et tristement réel, et pour s’extraire de la seule alternative du crowdfunding, les acteurs établis gardent les reins bien plus solides pour assurer le lancement d’un produit qu’une plateforme de crowdfunding.
Á quoi bon lancer une micro édition d’un projet, s’il s’agit de n’agréger que ses 40 potes proches ? C’est une question à laquelle les plateformes n’ont pas réellement réussi à répondre en neuf ans, My Major Company ayant peut-être été la seule de ces plateformes à réussir à appuyer ses artistes, grâce aux moyens financiers qu’elle mettait en place pour en assurer la promotion.
Si aujourd’hui, la seule perspective des plateformes restantes est de n’être qu’une cagnotte facilitée, l’atterrissage est un peu rude par rapport à tous les espoirs mis entre les mains de ces outils digitaux qui étaient censés uberiser la distribution et offrir un accès au plus grand nombre à des œuvres culturelles nouvelles et non bridées par des intérêts économiques de distributeurs uniquement là pour maintenir le statu quo axé autour de leur place privilégiée et malheureusement encore aujourd’hui incontournable.
De l’échec naîtra le renouveau
Je ne fais pas partie de ceux qui croient que le crowdfunding disparaîtra du paysage économique. Bien au contraire. Pour moi, et j’ai été entrepreneur dans le secteur ce qui m’a permis de me forger mon opinion, je reste persuadé que de nouvelles pistes peuvent être explorées. Je considère personnellement que oui, l’état actuel du crowdfunding en France est décevant par rapport à tout ce qu’il était possible de faire, mais qu’à l’inverse la France est le bon endroit pour réinventer le crowdfunding. Le monopole des banques sera mis à mal pour les acteurs émergents du crowdlending, mais je reste persuadé qu’un jour le crowdfunding réussira lui aussi à uberiser les grands distributeurs en place.
Pour cela, peut-être faudra-t-il la fusion des plateformes en place pour réussir à faire émerger un acteur européen capable de faire contrepoids à Kickstarter. Peut-être faudra-t-il en complément réinventer certaines règles de la grande distribution. Que nous apporte-t-elle à part des produits cancérigènes bourrés d’additifs ou des produits conçus dans des conditions peu soutenables ? Que leurs futurs rayons regorgent des mêmes produits innovants qui se diffusent tous les jours sur nos murs Facebook ou Linkedin et le monde ne s’en portera pas plus mal ! Le crowdfunding permet la transition vers une économie plus solidaire et plus responsable, ne l’oublions pas !
Yannick Robert est un serial entrepreneur français. Après un début de carrière orienté vers la banque et la finance (il a été trader pour Dresdner Kleinwort Wasserstein à Londres), Yannick Robert créé sa première entreprise, Parisdamis.com, en 2008. Dès 2010, il créé Mywittygames, une plateforme de crowdfunding. Il alterne expériences entrepreneuriales et salariées au sein de diverses sociétés financières.
Il est aujourd'hui à la tête de 2Pi Capital, sa propre société de trading, ainsi que de Boursif.com, société spécialisée dans l'analyse des performances sur le marché Eurostoxx50. Il est également consultant.
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« il faut bien constater de véritables freins imposés par les acteurs
économiques en place pour restreindre l’accès à leurs marchés ou à leurs
étals » – Je ne suis qu’à moitié d’accord avec cette phrase car 1 il
existe en France des sites internet spécialisés dans les produits de
crowdfunding (certes pas aussi connus que Cdiscount, carrefour ou
autres) 2: à l’inverse certains porteurs de projet refusent d’être
distribués par des petites sociétés (expérience) car ils ont levés pas
mal de fonds et pensent être les rois du monde. Enfin le crowdfunding ne
survivra pas s’il ne va pas jusqu’au bout c’est à dire que tant que les
sociétés n’auront pas une obligation de résultat face aux investisseurs
(par exemple avec un représentant des investisseurs désigné ayant une place
d’administrateur avec un droit de regard sur la stratégie économique de la
société ou devenir actionnaire en fonction de son investissement) car
certaines entreprises font les mielleuses et se disent dans l’esprit de
la communauté pour obtenir l’argent puis les fonds récoltés, elles ne
font plus attention aux personnes qui leur ont fait confiance.