[Expert] Les 7 règles du service Design, par Jean-François Marti
Ecrans, lieux et objets, tout devient connecté. Mais si nous avons déjà adapté nos vies à l’hyperconnexion, les organisations, elles, ne sont pas encore passées à l’heure de la multiplication des points de contacts quasi infinie entre nos usages et leurs services. La transversalité de l’expérience utilisateur se heurte à la verticalité de la hiérarchie et au silotage par département. Résultat : l’expérience proposée est davantage le reflet d’une logique d’organisation interne plutôt que celle de l’utilisateur. Pourtant, sans révolutionner les organisations en place, des équipes peuvent permettre rapidement à leurs entreprises de sortir de cette impasse, en appliquant une nouvelle approche : le Service Design. Cette nouvelle discipline part d’un constat simple : les services représentant plus de 70% du PIB, l’idée que le design ne s’appliquerait qu’à des objets ou des images est devenue obsolète. Comme la prose de Monsieur Jourdain, tout le monde a plus ou moins pratiqué du Service Design. Mais toute prose n’est pas littérature. Il en va de même pour les services : certains se banalisent, alors que d’autres sont mémorables et créent une expérience unique. La différence ? Un service pensé de bout en bout et bien designé devient une expérience mémorable et non plus une offre banale. Maîtriser le Service Design est donc devenu un enjeu crucial et un avantage compétitif majeur, car il touche au coeur même de la stratégie d’entreprise et à ses enjeux économiques. A la différence des pays anglo-saxons et surtout scandinaves, la France commence juste à découvrir cette discipline qui, avec ses propres outils et sa démarche spécifique, se professionnalise fortement. Pourtant le Service Design n’est pas si complexe à pratiquer. Plutôt que d’attendre le grand soir du changement des méthodes de travail, il peut s’appliquer sur votre prochain projet, mis en place par une équipe réduite. A condition de bien respecter sept règles majeures :
1. Se comporter en ethnographe
Les entreprises ont tendance à privilégier les études quantitatives, les questionnaires. Or ces études ont une limite, celle d’être l’émanation de la vision de l’entreprise qui aura la réponse à ce qu’elle veut savoir uniquement. Ces approches « classiques » ne créent pas d’empathie avec les utilisateurs qui peuvent avoir des attentes ou des frustrations qui ne figurent pas dans le prisme de l’entreprise « questionneuse ».
Le Service Design, c’est donc d’abord un premier réflexe : aller ou retourner sur le terrain pour recueillir des retours de première main et les considérer comme ayant le plus de valeur car ils sont issus de la « vraie vie », sans a priori. L’approche ethnographique doit être privilégiée, l’observateur devant même idéalement se faire oublier pour ne pas influencer son sujet. Aujourd’hui, en équipant une personne d’un simple smartphone, on peut pratiquer le « Shadowing » : photographier, écouter, filmer et ainsi faire oublier l’observateur en se connectant directement à la vie réelle des utilisateurs.
2. Savoir être authentique
Une fois les données terrain recueillies, il est ensuite important de les regrouper par besoins et désirs. Le Service Design oblige les organisations à oublier leur réflexe classique de segmentation socio-démographique (par âge, sexe, CSP, etc.). Héritée du marketing, celle-ci peut se révéler efficace pour un ciblage mass media, mais elle apportera peu d’informations pertinentes sur les attentes et les usages. Le nouveau réflexe consiste donc à regrouper et segmenter par comportement. Il est ensuite important que l’ensemble de l’organisation partage une vision commune des utilisateurs, de leurs besoins et de leurs comportements. Le recours aux personas est alors extrêmement efficace car il permet de « voir » ses utilisateurs. Cette technique consiste à créer un personnage fictif, à partir de données terrain réelles et d’une reconstitution authentique des situations des utilisateurs, avec leurs frustrations et leurs désirs. Savoir être authentique, et ne pas succomber aux « clichés » de la représentation des utilisateurs est crucial. Manier les techniques de la fiction pour créer un lien émotionnel fort entre l’entreprise et ses utilisateurs, c’est l’enjeu auquel doivent faire face aujourd’hui les entreprises pour être en réelle empathie avec les « vrais » besoins de leurs clients.
3. Favoriser la co-propriété des projets
Imaginer ou renouveler un service concerne quasiment toute l’entreprise. Dans ces conditions, comment mener un projet en évitant les deux écueils que sont le passage en force d’un département ou l’inertie due à un trop grand nombre de parties impliquées ? Adopter la philosophie Service Design c’est opter pour un modèle de co-propriété du projet où chaque département concerné se sent partie prenante. Mais co-propriété ne veut pas dire auto-gestion. Mettre en place un Service Design nécessite la présence d’un leader clairement identifié qui aura bien pris en compte les enjeux internes. Idéalement, il bénéficiera également d’un sponsor au plus haut niveau (sans nécessairement un lien hiérarchique officiel). Le Service Design impose un nouveau type de leadership qui implique de lister tous les participants au projet, de bien comprendre leurs motivations, leurs objectifs et les conflits d’intérêt inévitables. La représentation d’une cartographie des enjeux et des décisionnaires est indispensable au démarrage de tout projet de Service Design. Il doit donc être confié à des responsables dont l’intelligence saura favoriser une gouvernance de « co-propriétaires ».
4. Penser holistique
Dans un environnement complexe, où désormais les points de contacts utilisateurs peuvent être infinis, le Service Design oblige à penser éco-système et à maîtriser l’approche holistique. Cela commence par être en mesure de recréer l’environnement réel, tel qu’il est vécu par l’utilisateur, de tous ses points d’interaction avec votre service ou votre produit. A la fois ceux qui sont visibles (les écrans, les lieux, les interactions humaines…) mais surtout ceux qui sont invisibles ! Cette capacité à se représenter l’invisible est une compétence cruciale à maîtriser pour les entreprises qui veulent designer une expérience utilisateur forte et engageante. En récréant cet éco-système utilisateur, souvent symbolisé par un « customer journey« , le designer de service peut reconstituer les séquences principales de services et proposer en réponse une largeur et une profondeur d’offres pertinentes. Et pour créer une expérience utilisateur forte et engageante. Il se concentre sur les moments de services essentiels en proposant des preuves de services simples, innovantes et conformes aux attentes des utilisateurs.
5. Pratiquer l’idéation
La réussite d’un Design de Service nécessite le déploiement d’une puissance intellectuelle et créative forte. Pour qu’elle s’exprime, il est nécessaire de créer un environnement qui favorisera l’énergie créative. Et comme toute énergie, elle doit être canalisée. En l’insérant dans une unité de lieu d’abord : cela commence par la création d’une « war room » où tous les éléments (les personas, les customer journeys, etc.) seront visibles de tous et à tout moment pour conserver l’approche 360° et l’esprit de co-propriété du projet. C’est ensuite une unité d’action : un service se designe autour de 5 à 10 ateliers. A moins de 5 ateliers, difficile d’imaginer une expérience systémique et innovante. Au-delà de 10, le réservoir d’énergie se sera vidé et les équipes s’épuiseront. Ce sont donc des rendez-vous clefs qu’il ne faut pas « gaspiller ». Un atelier n’est pas une réunion de travail passive. Il est crucial de bien maîtriser l’art de l’idéation au cours de ces échanges. Là encore, il s’agit de transformer sa méthode de travail en alternant les phases d’ouverture du projet ou le champ des possibles s’exprime. Puis ensuite « refermer » la réflexion en ne retenant que les idées les plus pertinentes. Comme de nombreux départements seront présents au cours de ces ateliers, il est nécessaire que chacun puisse s’exprimer, multiplier les options, générer un maximum d’idées et de prototypes. Bref, favoriser une culture sans point de blocage où plusieurs visions peuvent émerger, en considérant ces différences comme une richesse.
6. Savoir convaincre sa hiérarchie
Une fois les différents services imaginés, il s’agit ensuite d’obtenir le feu vert de sa direction. L’exercice est souvent considéré comme périlleux, surtout quand le projet est porteur d’une vraie innovation et non pas uniquement d’une amélioration « quick fix« . Résultat, les décisionnaires finaux, les directions générales, les COMEX ne voient que très rarement les projets les plus audacieux car l’innovation est « tuée » par les couches organisationnelles intermédiaires, trop frileuses ou tout simplement gardiennes du statu quo. Or, de par notre expérience, nous avons pu constater que la demande d’innovation est très forte chez les décisionnaires finaux, lorsque par miracle ou par courage des porteurs de projets, ils sont en mesure de « voir » les alternatives les plus disruptives. Mais comment se prête-t-on à cet exercice délicat ? En respectant les règles du jeu. Les porteurs de projets, experts dans leur domaine ont pour vocation d’imaginer le champ des possibles, de proposer des alternatives mais surtout de ne pas prendre la place des décisionnaires finaux en censurant une piste jugée trop audacieuse. Ils respectent la fonction régalienne d’une direction générale : celle de décider. En l’occurrence, choisir le degré d’innovation souhaité : simplement incrémental par rapport à un existant, suiveur par rapport à une meilleure pratique identifiée ou réellement disruptive. Encore faut-il que ces différentes pistes alternatives parviennent jusqu’au sommet des organisations, ce qui constitue une des missions fondamentales du Designer de Services.
7. Essaimer le changement culturel
En pratiquant cette approche, on voit bien que le Design de Service peut aller plus loin que la gestion d’un simple projet. Il peut accélérer la transformation des méthodes de travail, voire celle de la culture de l’entreprise. Et c’est bien une vertu d’essaimage que chaque projet de Service Design va apporter à l’organisation qui pratique cette approche. Le Designer de Service doit donc avant tout se penser comme un acteur du changement au sein de son entreprise. En maîtrisant son approche, il aidera son organisation à faire du Design une fonction centrale, au même titre que le marketing ou la technique, au service de l’innovation et pour le bien-être de ses utilisateurs.
Jean-François Marti est fondateur et dirigeant de Nealite, agence conseil en stratégie, ergonomie et design web & mobile. Pionnier de l’internet français, il possède une expérience de plus de 15 années dans les nouvelles technologies et le conseil digital.
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