Les péchés capitaux dans le marketing et la vente par Olivier Ezratty
En observant la manière dont fonctionnent les processus de vente, le marketing et la publicité, je me suis rendu compte qu’ils exploitaient tous abondamment les péchés capitaux. Et que par contre, les vertus cardinales étaient bien plus rarement mises en pratique.
Le marketing et la vente ne font que s’adapter à la nature humaine faite d’un équilibre délicat entre les péchés et les vertus ! Equilibre assez… déséquilibré vous allez le voir ! Un déséquilibre qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la place des “marchands du temple” dans le nouveau Testament !
Qu’est-ce que ce genre de propos vient faire dans ce blog ? Je me suis dit que cette perspective pouvait être intéressante pour aider les startups à concevoir en connaissance de cause leurs messages et jouer habilement des péchés et des vertus dans leurs processus de vente.
Je vais évoquer les péchés et vertus et fournir divers exemples de leur utilisation dans le marketing et les méthodes de vente. Le tout avec le point de vue du vendeur et celui du consommateur ou du client, et illustré avec quelques publicités parlantes. Le référent reste la culture occidentale et il est probable que cette déclinaison serait un peu différente dans des cultures autres, et notamment en Asie. La relation aux péchés est plus nuancée dans l’Islam et le judaïsme, avec une notion de gradation des péchés pour les uns et au non-respect des 10 commandements pour les autres avec la notion de pardon, moins présentes chez les chrétiens. Mais nos habitudes occidentales sont un pot-pourri de tout cela.
En tout cas, prenez bien tout cela avec un peu de recul ! Je ne prétends pas créer un tableau de Mendeleïev des facteurs humains utilisés dans le marketing et la vente ! Mon approche n’a rien de scientifique et je ne suis pas un grand littéraire, ni un spécialiste du neuro-marketing et encore moins un théologue !
Les péchés
La liste des sept péchés de la chrétienté a été définie par le quatrième concile du Latran en 1215 (au regard duquel l’action de l’actuel pape Benoit XVI relève d’un progressisme forcené !) et précisée par (Saint) Thomas d’Aquin plus tard dans ce même siècle, ce dernier s’étant un peu plus attardé sur les vertus. Elle n’a pas changé depuis même si le sens usuel de chacun des péchés a pu évoluer par glissements sémantiques progressifs. Nous avons donc : l’avarice, l’envie, la paresse, la gourmandise, l’orgueil, la luxure et la colère, les définitions en bleu ci-dessous étant issues de Wikipedia.
L’avarice : accumulation des richesses recherchées pour elles-mêmes. Par abus de langage, on peut y associer la pingrerie. Même dans la société de consommation, les deux vont de pair. Ou souhaite accumuler le maximum de choses, mais au meilleur prix.
Demande : le prix comme premier critère de sélection d’une offre chez de nombreux consommateurs et dans de nombreux services achats d’entreprises. Et aussi le redevable de l’impôt ou de l’ISF qui cherche à les réduire sans parfois prêter suffisamment gare à la nature des investissements associés.
Offre : tout ce qui relève de la communication sur les prix (dont les prix en 99,99…), les promotions, les réductions et qui occupe une grande partie de l’espace publicitaire, surtout dans le grand public, et dans les produits de consommation courante où les consommateurs ont des repères. On retrouve aussi cela dans les coupons de réduction (Groupon), dans les ventes privées (qui au passage flattent l’égo, donc relèvent aussi de l’orgueil), dans les comparateurs de prix (Kelkoo) et dans les modèles freemium. Il y a même un petit portail des sites de ventes en ligne dont les frais de ports sont gratuits ! Ce petit péché se retrouve aussi dans toutes les offres de défiscalisation avec en particulier les investissements “TEPA” qui attirent plus les personnes intéressées par les réductions fiscales que par l’investissement proprement dit dans les startups.
L’envie : la tristesse ressentie face à la possession par autrui d’un bien, et la volonté de se l’approprier par tout moyen et à tout prix (à ne pas confondre avec la jalousie). On peut y associer la notion de jalousie.
Demande : très courant dans le comportement consommateur, avec les effets de tribu, l’intérêt pour les objets « à statut », ou le comportement en btob des clients qui commencent à vouloir acheter un produit ou un service lorsqu’ils sentent que le marché et leurs concurrents s’y lancent.
Offre : les publicités qui insistent sur le statut conféré par la possession d’un objet vanté. L’habillement et les chaussures de marques, l’automobile haut de gamme, les produits de luxe en général. Il y a aussi bien évidemment Apple, le roi dans le domaine avec ses objets “statuts” stylés et son processus d’annonce bien orchestré destiné à générer l’envie, le tout agrémenté des temples de l’envie, les Apple Store. On peut ranger dans cette catégorie les publicités qui ridiculisent le consommateur qui n’a pas (encore) le produit vanté. Ce petit péché s’applique aussi à l’usage des références clients dans le marketing destiné aux entreprises (tous les sites en ont, cf celui d’IBM ci-dessous à droite). Dans les pratiques commerciales, on peut citer le recrutement de partenaires ou de sponsors en indiquant aux uns que les autres participent. La bonne vieille ruse… qui marche souvent !
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La paresse, anciennement l’acédie, un une forme de dépression due au relâchement de l’ascèse. Il s’agit en effet de paresse morale, un mal de l’âme qui s’exprime par l’ennui, l’éloignement de la prière, de la pénitence, de la lecture spirituelle. Nous en retiendrons aussi l’usage courant moderne qui induit l’éloignement de l’effort.
Demande : quelques exemples dans l’Internet : le comportement consommateur consistant à ne regarder que les 2 ou 3 premiers résultats d’une recherche sur Google, la validation des invitations dans les réseaux sociaux et aussi l’évolution du web 2.0 des blogs vers les réseaux sociaux et Twitter. Si les gens passent leur temps à retwitter le contenu des autres, qui va en créer ?
Offre : tout ce qui peut faire gagner du temps relève de ce péché qui n’en est pas forcément un d’ailleurs. Par certains côtés, les loisirs en général relèvent du relâchement moral liés à la définition de ce péché. Le plus emblématique étant ce fameux symbole du « temps de cerveau disponible pour la publicité » popularisé par Patrick Le Lay, l’ancien patron de TF1. Il y a aussi la publicité de Free “Il a tout compris”, les offres triple et quadruple play où on ne se pose pas de question puisque tout est dedans (cela rentre aussi dans l’avarice dans le couple accumulation/bas prix et dans la gourmandise). On peut citer la publicité et la communication qui positionne l’annonceur comme leader de son secteur, histoire de déclencher un suivisme moutonnier qui évite de trop réfléchir. En étant un peu vache, on peut aussi associer le statut de première chaine à TF1 au fait qu’elle soit sur le bouton “1” de la télécommande ! Et puis, il y a le summum du modèle économique s’appuyant sur la paresse : les coffrets cadeaux type SmartBox (voyages, …), qui non seulement ne requièrent pas beaucoup d’efforts de créativité pour ceux qui les offrent mais dont seulement 65% en moyenne sont réellement consommés par ceux à qui ils ont été offerts ! D’où un modèle économique avec un BFR négatif et une profitabilité à toute épreuve pour les sociétés qui réussissent dans ce secteur.
La gourmandise : ce n’est pas tant la gourmandise au sens moderne qui est blâmable que la gloutonnerie, cette dernière impliquant davantage l’idée de démesure et d’aveuglement que le mot gourmandise.
Demande : pas que chez les enfants ! On la retrouve chez l’Internaute qui accumule par téléchargement plus ou moins licite plus de contenus dans son ordinateur que de temps disponible dans la vie pour en profiter !
Offre : les boissons gazeuses en illimité dans les fast-foods américains, les buffets « à volonté » chez Flunch, l’obésité de fonctionnalités de certains produits relèvent toutes de ce péché. On trouve aussi les plus de 300000 applications de l’AppStore d’Apple. Cela peut couvrir aussi les capacités de stockage numériques gargantuesques dont nous disposons, les millions d’heures de TV et de vidéo maintenant disponibles sur Internet ou la VOD. Il y a aussi les forfaits illimités (mobiles, ADSL, musique) tout comme le nombre de vos “amis” dans les réseaux sociaux. On peut y caser le concept même de l’hypermarché tout comme celui de la longue traine et des inventaires infinis des sites de vente en ligne comme Amazon.
L’orgueil : attribution à ses propres mérites de qualités vues comme des dons de Dieu (intelligence, etc.).
Demande : suis-je la plus belle, suis-je le plus malin dans mon achat, ai-je obtenu le meilleur prix (qui relève autant de l’orgueil que de l’avarice) ? Suis-je un client à part et traité aux petits oignons ?
Offre : la communication publicitaire qui valorise à outrance le consommateur malin. Tout ce qui permet d’améliorer son look. Ce qui relève du sur-mesure… dans une certaine mesure, car “je suis différent des autres”. Les points et cartes de fidélité (qui jouent simultanément avec l’avarice). Les voitures de fonction (pour les salariés). Tout ce qui relève des concours, des jeux et des classements : les concours de startups, les prix d’entrepreneur de l’année ou encore le classement des bloggeurs de Wikio ! Bref, ce qui permet de se penser au-dessus de la mêlée. Beaucoup de mécanismes liés aux réseaux sociaux et à l’émulation que l’on y trouve : nombre d’amis, de retweets, les mayors dans Foursquare, etc. Il y a aussi ce qui traite certains clients avec des égards particuliers : les avantages des vols en business ou première classe, le traitement “VIP” dans les événements, les coupe-file dans les musées et autres lieux de visite, le traitement spécial réservé aux journalistes voire à certains bloggeurs ou les bêtas dites “privées” ! Bref, tout ce qui flatte l’égo rentre dans cette catégorie, et il y a de quoi faire !
L’impureté ou la luxure : plaisir sexuel recherché pour lui-même.
Demande : par extension, le gout du luxe et la volonté de séduire ceux ou celles que l’on désire.
Offre : l’usage qui est fait des femmes dans la publicité ou dans le marketing opérationnel (notamment dans les salons automobiles). Les créatifs des agences de publicité raffolent d’analogies sexuelles ou relevant de la séduction homme/femme dans leurs annonces. Cela s’applique surtout au marketing destiné aux hommes, et plus rarement aux femmes. Les exemples ci-dessous sont extrêmes : la Mini qui sert surtout à ramasser des autostoppeuses, les dessous d’Aubade qui servent à piéger les hommes et puis cette série de publicités pour valoriser l’attractivité… économique du département des Yvelines en 2007 qui a été stoppée en cours de route suite à une plainte d’associations féministes. La luxure est peu utilisée dans la vente classique, notamment chez les startups, sauf pour ce qui relève des sites de rencontre. Et que ce soit clair : je ne vous recommande pas d’utiliser ce péché, enfin… dans votre business !
La colère : courte folie entrainant parfois des actes regrettables.
Demande : on peut changer de fournisseur car on est en colère contre le fournisseur existant, un élément exploité par les concurrents. S’exprime aussi couramment en politique : “les jeunes en colère”, “les marins en colère”, “les agriculteurs en colère”, “colère contre la vie chère”, “colère des syndicats”.
Offre : peu utilisée dans le marketing, sauf peut-être pour l’achat d’armes à feu aux USA ! Elle est surtout gérée dans le cycle de vente, et plus ou moins adroitement, dans les centres d’appels qui sont le réceptacle naturel de la colère des consommateurs. En politique, l’offre se trouve surtout chez les partis extrémistes. Exemples du moment : Jean-Luc Mélenchon ou le FN, mais aussi les révolutions qui se produisent lorsque l’eau de la colère fait déborder le vase de la tranquillité apparente d’une dictature.
Voilà pour les péchés capitaux !
On notera que les mensonges n’en font pas partie. Ce qui n’empêche pas qu’ils soient abondamment utilisés dans le marketing, la vente, tout comme en politique. Pourquoi le mensonge n’est-il pas un péché ? Peut-être parce que c’est un comportement bi-face, qui a parfois des vertus ou peut se justifier. Faire croire au père Noël ne fait-il pas rêver les enfants ? On y trouve aussi l’entrepreneur qui enjolive son pipe commercial dans son pitch. Un procédé à éviter tant les chances (ou la malchance) sont grandes de tomber sur quelqu’un qui connait les clients en question !
Dans l’article suivant, nous couvrirons les aspects plus positifs du marketing et de la vente en parcourant l’usage qui peut être fait des vertus cardinales. Nous verrons aussi que certaines pratiques peuvent associer étroitement péchés et vertus.
url de l’article original: http://www.oezratty.net/wordpress/2011/peches-capitaux-dans-marketing-et-vente/
Retrouvez Olivier Ezratty
- sur son blog: http://www.oezratty.net
- sur twitter: http://twitter.com/olivez
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