Dans le Social Business, le bisounours c’est peut-être l’entreprise ! par Bertrand Duperrin
Résumé : Que ce soit en interne avec ses collaborateurs ou en externe avec ses clients, un des piliers des projets “sociaux” ou “2.0″ de l’entreprise est le besoin des collaborateurs et clients pour davantage de proximité voire d’intimité avec elle et entre eux. Ce qu’on traduit en termes d’engagement et, bien sur de communautés.
Mais ce ressort est il si pertinent ? Il semble que, si communauté il doit y avoir, entreprises et clients ne se comprennent pas sur le rôle que chacun doit y tenir, voire sur la légitimité de la présence des premières dans le dispositif. Idem chez les collaborateurs qui semblent manifester davantage de désir pour des outils de travail efficaces que pour ces dispositifs de rapprochement voire de fraternisation.
Au final, les plus pragmatiques et réalistes semblent être non pas les organisations mais les individus. Un signal pour l’entreprise qui gagnerait à adopter des logiques plus opérationnelles et pragmatiques ?
Parmi les postulats qui sous-tendent nombre de logiques “sociales” ou “2.0″ dans l’entreprise, il en est un que l’on retrouve de manière quasi-systématique et que tout le monde semble tenir pour acquis. Les individus que ce soit dans leurs activités hors entreprise (lorsqu’ils sont clients) ou en entreprise (lorsqu’ils sont au travail) on une envie irrépressible de renforcer leur lien avec l’entreprise, de lui dire des choses, de se sentir considérés, de faire partie de “quelque chose” qui les rassemble autours de cette envie. L’entreprise, nécessairement distante, malveillante et peu humaine, doit écouter ce cri du cœur, changer ses comportements et faciliter et rejoindre ces communautés où, dans un climat d’attention, de passion, voire d’amour entre les uns et les autres, des choses incroyables vont se réaliser.
On aurait pu croire que l’entreprise, rationnelle et froide, aller camper sur ses positions…mais il n’en est rien. Elle a plongé dans le “communautaire”, souvent de manière un peu gauche et maladroite, rêvant de communautés internes et externes, de faire corps avec des gens passionnés et engagés pour le plus grand bénéfice de tous. Avec des résultats pour le moins aléatoires.
Il y a quelques temps une enquête réalisée par IBM a jeté un beau pavé dans la marre. Elle montre de manière indiscutable que si l’entreprise doit se rapprocher du client, elle se méprend totalement sur ce qu’attend ce dernier.
Si tout le monde a bien compris qu’un client ça recherche avant tout des bonnes affaires et à acheter en étant le mieux informé possible les choses s’arrêtent là. Etre connecté à l’entreprise ? Faire partie d’une communauté ? Pas le moins du monde. Confirmation argumentée de ce que j’avais pu constater de manière plus empirique lorsque je disais que “vos clients n’ont que faire de vous ils veulent juste que vous teniez vos promesses“, qu’on essayait d’appliquer le concept idéaliste de communautés à des groupes, des segments de populations qui n’en sont pas, ce qui au final ne rendait pas services aux vraies communautés et que le risque de dévoiement du concept était plus réel. Au final si l’entreprise peut essayer de se mêler à des communautés existantes, bien peu peuvent prétendre avoir “leur” communauté.
Alors bien sur, une présence en ligne plus qualitative risque de rendre l’entreprise plus humaine, “aimable”, attirante et faire évoluer les choses. Mais soyons réalistes : à part pour quelques unes qui ont un capital “rêve” ou affectif important, Madame Michu n’a simplement pas envie d’être “amie” avec une entreprise et de passer ses journées à converser avec elle et d’autres clients. Ca ne veut pas dire que certains ne veulent pas rejoindre des communautés d’intérêt mais les chiffres montrent qu’ils n’ont pas l’air de considérer que la place de l’entreprise est dans ces communautés et encore moins que le sujet de la communauté doit être l’entreprise. Pas surprenant lorsqu’on voit que si le web pullule de communautés actives, peu d’entre elles sont managées par l’entreprise. Finalement le problème n’est pas tant le community management que la légitimité de l’entreprise dans le communautaire.
Bref le client est beaucoup plus pragmatique qu’on ne le croit et s’il y a des réveurs dans cette affaire c’est davantage, et de manière fort surprenante du coté de l’entreprise qu’il faut les chercher.
Je serais intéressé de voir la même étude appliqué aux collaborateurs. Bien sur dans l’entreprise la quête de sens et la recherche du sentiment d’appartenance sont des choses bien réelles qui impacteront nécessairement les chiffres. Mais là encore attention au miroir aux alouettes : ça n’est pas l’outil communautaire qui remplacera une politique RH volontariste et permettra d’éviter de se poser les bonnes questions. Au mieux il la servira à condition qu’elle existe. Là encore, vouloir voir des communautés partout c’est prendre le risque de mal s’occuper de celles qui existent vraiment. Je ne peux que constater cet écart au quotidien : d’un coté des entreprises qui veulent à tout prix tout transformer en communautés (là ou parfois c’est la notion de groupe de travail/projet qui devrait être revisitée) et de l’autre des collaborateurs qui, lorsqu’on les interrogent, disent “moi je veux juste des outils simples pour faire mon boulot efficacement, trouver des réponses à mes problèmes et ne pas disperser mon attention”. Et lorsqu’on leur parle d’engagement et de choses de cet ordre disent “c’est certain que si on était comme ça ce serait super que ça se prolonge en ligne…mais c’est pas un outil qui va donner du sens à mon implication dans l’entreprise…”. Et ça ne fait que peu de temps qu’au niveau des dirigeants on comprend que le “social” ou “2.0″ ça n’a pas vocation qu’à créer des espaces de conversation mais c’est toute une logique qui doit amener, aussi, à plus d’efficacité opérationnelle. Il m’arrive encore souvent de voir la mine surprise et réjouie (voire rassurée) d’une personne me répondant “ah…ça peut apporter quelque chose dans le boulot quotidien de mes équipes et les rendre plus performantes ?”
On a souvent tendance à opposer le caractère passionné et “humain” de l’individu au rationalisme pragmatique de l’organisation. Mais dans cette affaire, les plus idéalistes de tous ont peut être été les entreprises et les plus pragmatiques les individus. Et je vous laisse en deviner les raisons…
En attendant c’est certainement le moment de prendre enfin conscience qu’il y a, dans ce processus d’évolution des organisations, besoin d’aller bien au delà de la simple volonté de plaire et de fédérer et qu’il y a une logique d’exécution opérationnelle sur laquelle on ne peut faire l’impasse. Bien sur, celle ci pose des questions qu’on aurait préféré laisser de coté car il y est moins question pour l’entreprise de se montrer sous un jour engageant que de regarder en face la manière dont elle travaille.
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