Cela est censé n’être encore qu’une expérimentation, mais l’annonce a fait du bruit. En juin, Jon Slade, le directeur commercial de la publicité numérique du Financial Times annonçait que le quotidien allait lancer un nouveau format de facturation. Plutôt que de prendre en compte le nombre d’impressions d’une publicité – dont l’indicateur phare est le CPM, le coût pour mille vues -, le quotidien va tester la durée d’impression. Après tout, à la télévision, les annonceurs payent autant pour le volume d’audience que la durée du spot : 15 secondes, 30 secondes…
Cette annonce aurait pu faire sourire les apparatchiks du CPM. Mais venant du FT, elle sonne tout autrement. Le quotidien créé en 1888 est considéré comme un exemple en matière de transformation digitale. Ses revenus issus du numérique dépassent d’ores et déjà ceux du papier. En 2013, les deux tiers des 652 000 abonnés provenaient du Web, et un quart des souscriptions en ligne ont été effectuées sur mobile qui, par ailleurs, génère 45% du trafic total. Sans perdre de temps, le journal a même lancé une application de lecture pour montres connectées. Dans ce contexte, le monsieur publicité digitale du FT précise dans l’interview : «Nous travaillons à partir d’une hypothèse selon laquelle une heure (d’impression, ndlr) serait la monnaie d’échange, avec un minimum de cinq secondes d’exposition. De sorte que nous puissions vous vendre 720 impressions à cinq secondes ou d’autres durées d’exposition, selon le temps total que vous souhaitez».
En réalité, d’autres titres de presse y songent. 80% des grands éditeurs américains seraient même intéressés par l’idée de se baser sur le temps d’impression pour fixer les prix et vendre la publicité, selon un sondage de Digital Content Next réalisé auprès de 25 décideurs de grands groupes médias (dont CNBC Digital, Condé Nast, Forbes Media, Gannett, New York Times, Wall Street Journal…).
« Du point de vue des marques média, il y a bien sûr un intérêt fort à intégrer le temps passé comme variable de construction de la valorisation, notamment pour les formats longs, multimédias, et les nouveaux modes de narration… » estime Corinne Mrejen, présidente de Regie Obs (L’Obs) et de M Publicité (Le Monde). « Nous devons encore échanger avec les acteurs du marché sur la valeur même de l’indicateur. Le temps est déjà un indicateur de mesure, nous travaillons à des modèles de reporting partagés pour objectiver nos performances » poursuit-elle.
« Il faut sortir du clic comme KPI », Philipp Schmidt, directeur exécutif de Prisma Pub
Chez Prisma Pub (régie de plusieurs médias dont Capital, National Geographic, Neon, Harvard Business Review France…), on va dans le même sens. « Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut sortir du clic comme KPI (indicateur clé de performance, ndlr) et même challenger le CPM en mettant en avant la qualité des contenus journalistiques, le lien fort entre les marques et les internautes », affirme Philipp Schmidt, directeur exécutif de Prisma Pub. Toutefois, « les alternatives au CPM sont déjà nombreuses : il y a aussi le CPC (le coût par clic), le CPL (cost per lead, coût au contact), le CPA (coût à l’acquisition), des modèles à l’affiliation… Sur certains sites, certaines opérations et certains formats, le temps passé peut être une mesure alternative, notamment pour réduire le nombre d’emplacements, et valoriser ceux qui sont conservés » ajoute Stéphane Hauser, délégué général de l’IAB France. Sans parler, plus marginalement, du CPS ( coût par saisie), qui s’appuie sur des captchas publicitaires, ces publicités adossées à du déchiffrage de texte.
Le brand content n’est pas tout à fait un hasard selon les spécialistes, les contenus de marque étant aussi considérés par certains comme une alternative au CPM et à l’affichage traditionnel de bannières que les internautes sont habitués à voir et… à contourner de l’oeil. « Si un annonceur souhaite créer un lien fort avec l’internaute, le brand content me semble la meilleure solution, car il permet l’association avec une marque dont les valeurs sont proches des siennes. Cela crée et produit un rendez-vous, un fil rouge » assure Stéphane Hauser.
« Nous parlons déjà de temps passé lors des partenariats et des opérations sur nos sites afin de suivre des indicateurs d’engagements souvent plus forts. Ainsi nous mesurons les temps passés sur des espaces dédiés. L’idée est de mettre en avant le contrat de lecture fort de la marque et la qualité des contenus produits (par exemple, une web série pour Bonduelle). Nous sommes dans une optique de brand content autour d’un partenariat fort, l’annonceur s’associant à une marque média pour un dispositif ad’hoc » explique Philipp Schmidt.
Le programmatique a déjà fait évoluer le CPM classique
« Côté marché publicitaire, il nous semble important de dissocier les opérations spéciales qui intègrent du contenu de marque aux dispositifs publicitaires classiques. En effet, sur ces derniers, nous devons délivrer des performances correspondantes aux standards du marché (CPM, reach…). Pour autant, la défense de la valeur constitue une priorité parce que cela est cohérent avec la nature même de notre offre éditoriale. Et le temps passé apparait alors comme un indicateur naturel de l’engagement » estime M. Mrejen.
Aussi, l’essor de la vente programmatique d’espaces a fait évoluer le CPM par rapport à sa forme traditionnelle. Alors que les impressions publicitaires étaient commercialisées à la louche (pour mille impressions par exemple), et pour un prix fixé à l’avance, le real-time bidding consiste à acheter, de façon automatisée, chaque impression de façon ciblée et à un prix qui variera selon les enchères à un moment donné. Autrement dit, on obtient toujours mille impressions, mais plutôt que d’être facturé à un prix fixé en amont, le coût pour mille fluctue selon les enchères réalisées pour chaque impression. Résultat: un CPM non plus fixe, mais dynamique.
« Le RTB a instauré un CPM dynamique puisque chaque impression a un prix différent, même si les budgets décidés restent fixes » explique Charles Gros, cofondateur de Tradelab, une plate-forme programmatique. « Par exemple, si l’on négocie en amont un CPM maximum de 1 euro pour un budget de 10 000 euros, on obtient 10 millions d’impressions. Mais si, au gré des enchères, le CPM effectif se révèle à 80 centimes, on obtient 12 millions d’impressions », poursuit-il.
Nouvelle variable de mesure pour la vidéo
Or, les inventaires publicitaires sous forme programmatique devraient atteindre les 21 milliards de dollars cette année, en hausse de 52% par rapport à 2013, dont 9,3 milliards de dollars en RTB selon Magna Global. « Les annonceurs veulent travailler leur couverture sur cible avec une data fraiche, pour travailler un contexte ou un site particulier spécifique » souligne Philipp Schmidt.
La question de la pertinence du CPM comme variable de mesure se pose aussi pour la vidéo. Selon Forrester, alors que les dépenses en publicité en ligne display devraient croître à un taux annuel moyen de 10,3% de 2014 à 2019 en Europe, les seules dépenses en publicité vidéo devraient connaître une croissance annuelle moyenne de 20%, soit un rythme de croisière presque double. « Médiamétrie travaille déjà au GRP vidéo (gross rating point, le point de couverture brute, qui représente, selon la définition de Kantar Media, « au nombre moyen de contacts publicitaires obtenus sur 100 individus de la cible visée », ndlr) qui pourra inciter certains acteurs de la vidéo à ne plus vendre au CPC ou au CPV, mais au coût au GRP » souligne M. Hauser.
Malgré tout, « le CPM a encore de beaux jours devant lui » estime Stéphane Hauser. « Le temps d’exposition est une option à laquelle réfléchissent certains sites premium anglo-saxons. Mais le Financial Times est un site très particulier, sur une verticale très particulière, on ne peut pas généraliser. Je ne pense pas qu’il y ait de raz le bol à propos du CPM » poursuit-il.
« Je ne pense pas que le CPM disparaitra, du moins à court terme » estime M. Gros. Selon lui, «plusieurs études démontrent que l’achat classique perdurera, même s’il est dur d’envisager l’avenir du Web à trente ans, car tout change rapidement. Mais aux Etats-Unis, 65% des achats sont déjà en programmatique, le reste étant du CPM normal».
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Allons plus loin, c’est même à chaque entreprise de définir son GRP ou e-GRP ou mètre-étalon pour sa communication. Et en effet mesurer la pression réelle en seconde-nombre. Comme on peut le faire à la TV d’ailleurs. Pour plus d’info, un post : https://www.linkedin.com/pulse/article/20140908065545-11968090-communication-globale-à-chaque-entreprise-son-grp
Ce virage a été pris par Canal Plus il y a plus de 5 ans (début 2009) ! Une stratégie gagnante qui avait permis à la chaine de booster ces revenus digitaux. http://www.lefigaro.fr/medias/2008/11/24/04002-20081124ARTFIG00312-canalva-vendre-la-pub-web-et-tele-au-meme-prix-.php
Merci a geeyom de se souvenir que depuis 2009 Canal+régie commercialise l’intégralité de ses inventaires en Garantie d’Exposition Publicitaire (GEP), Alenty assurant la mesure de la durée de visibilité de tous les formats exposés sur nos sites et le pilotage de l’adserver. L’indicateur d’exposition retenu est très précisément celui que le marché français a retenu dans le cadre des discussions des GT réunis par Médiamétrie dans le cadre de la définition du GRP vidéo (potentiellement plus largement internet) : durée x % surface visible. Cette définition du contact, intégrant son intensité dans sa définition via la mesure de sa durée, rend ce GRP (et seulement celui là) directement compatible et comparable avec le GRP TV.