Médias sociaux : y être, faire comme avant et faire du neuf
De part et d’autres de l’Atlantique je vois sans cesse arriver des chiffres qui montrent que de plus en plus de personnes sont désormais “sur” un nombre croissant de réseaux sociaux, que tel pourcentage d’une classe d’age y est présent, quel tel pays y est beaucoup plus représenté ou comble son retard sur les autres etc…
D’où la conclusion qui s’impose à nous : tout le monde ou presque, est à l’aise avec cette logique et ces outils et, de fil en aiguille, tout le monde va être à l’aise pour les utiliser dans l’entreprise, voire les réclamer.
Une première réflexion sur le nombre d’utilisateurs. Quand on différencie le nombre d’utilisateurs inscrits du nombre d’utilisateurs actifs les chiffres font une chute abyssable, on l’a bien vu dernièrement avec twitter. Si je devais faire le compte du nombre de services où j’ai un compte que j’ai ouvert pour essayer ou où mon profil ne sert qu’à me trouver si on m’y cherche, et le nombre de services que j’utilise vraiment et qui tend à se réduire comme une peau de chagrin je pense que j’en aurai moi même le vertige. Si je me mets à la place de l’utilisateur “lambda” qui a fini par craquer à force d’être invité des dizaines ou centaines de fois par ses amis, contacts etc..à rejoindre la dernière plateforme à la mode et qui oublie au bout d’un mois qu’il y possède un compte…
Ce qui importe pour évaluer la santé des médias sociaux n’est pas tant le nombre d’utilisateurs que ce qu’ils y font (lorsqu’ils y font quelque chose). Oublions donc ceux qui y sont sans rien y faire et regardons ceux qui y sont actifs.
Prenons Facebook, par exemple. Regardez l’utilisation la plus courante qui en est faite. Dire ce qu’on fait, ce qu’on pense. Partager un trait d’humour le plus souvent. Partager quelque chose qu’on a vu ailleurs sur le net, image, vidéo, texte. Cela ne vous rappelle rien ? C’est ni plus ni moins ce qu’on faisait avec des emails en 2000. Aujourd’hui au lieu d’envoyer une vidéo à tout son carnet d’adresse par email, on la partage dans Facebook. On joue aussi sur Facebook…en 2000 les jeux étaient des petits services indépendants, on y jouait et on donnait l’adresse de nos amis pour les inviter à jouer. Aujourd’hui tout cela se passe au sein d’un environnement unique. Quand aux usages vraiment nouveaux, ils arrivent peu à peu, certains sont plus qu’intéressants, mais ils ne concernent qu’une infime minorité.
Prenons l’exemple de réseaux plus professionnels maintenant, LinkedIn ou Viadeo. Beaucoup y “sont”, s’en servent pour “pousser” leurs candidatures lorsqu’ils recherchent un emploi (d’une manière dont la conventionnalité la rend parfois maladroite) ou leur produit lorsqu’ils cherchent à vendre. Certains participent dans des groupes, mais là cela représente déjà moins de monde. Certains utilisent les possibilités de qualification et de filtrage tant pour connaitre que se faire connaitre (utiliser le réseau et ses maillons plus que l’approche directe) mais c’est encore plus rare.
Première conclusion : il y a une différence énorme entre “être” sur un réseau social et l’utiliser. Il y a ensuite une différence tout aussi importante entre “s’en servir pour faire comme avant” et “s’en servir pour faire des choses nouvelles”.
Passons donc maintenant au monde de l’entreprise…Il est acquis pour tout le monde que le passage de ces pratiques grand public à des pratiques d’entreprise est loin d’être aisé. Certaines difficultés sont éminemment culturelles et s’expliquent pays par pays.
Une autre partie du problème vient de la difficulté à passer le “mur de l’entreprise”, autrement à traduire des pratiques personnelles en termes professionnels. Cela peut également revêtir une dimension culturelle, locale, mais il m’est avis que c’est davantage une problématique plus globale. Il s’agit d’une frontière entre un monde de divertissement et le monde du travail.
Il s’agit enfin, à mon avis, de la fréquente non prise en compte de la situation individuelle du collaborateur, de ses besoins, et de sa capacité de changement (ce qui n’est pas le moindre des combles pour des concepts supposés être centrés sur l’individu).
Si l’entreprise et le monde du web 2.0 sont différents, il est des logiques individuelles qui demeurent communes. Sur le web la plupart des individus utilisent les nouveaux outils pour faire ce qu’ils faisaient auparavant avec d’autres outils. Une faible majorité développe naturellement des pratiques nouvelles. Et ce qui fait passer la majorité à la nouveauté est une période d’apprentissage qui les aide à devenir à l’aise avec la transposition de pratiques connues dans un univers nouveau, puis la transformation de ces pratiques au fil de la maitrise d’outils nouveaux, puis l’invention de pratiques nouvelles à la fois parce qu’une certaine maturité a été acquise, que les craintes disparaissent et parce qu’on a pu observer ceux qui allaient plus loin et qu’on se décide à leur emboiter le pas.
Ce cheminement a été peu voire pas pris en compte au niveau de l’entreprise. Les pratiques nouvelles et anciennes y ont été souvent opposées au lieu d’être présentées comme complémentaires. Ce qui a également empêché de penser le cheminement qui amènerait le collaborateur à “grandir” comme il le fait sur le web. Ainsi ont été opposés les groupes structurés aux réseaux, les documents aux échanges, ce qui est imposé à ce qui est choisi, etc… Les premiers étant has been, les seconds étant l’avenir. Et l’avenir n’apparaissait pas comme permettant de faire facilement tout ce qu’on fait aujourd’hui. Or le collaborateur, pour utiliser les outils d’avenir, demande à pouvoir commencer par y transposer son présent.
Le travail ne s’inscrit pas pleinement dans l’une ou l’autre de ces alternatives mais dans les deux. Et on ira vers la nouveauté que lorsqu’elle lui apparaitra comme la suite logique de l’actuel, une évolution vers un “mieux” vers laquelle il se dirigera pas à pas.
Comment sortir de ce cul-de-sac ? En installant le collaborateur dans une logique de cheminement plus de que rupture. Lui permettre de démarrer de ce qu’il connait et progresser pas à pas vers l’inconnu. Enrichir son présent plutôt que le forcer à sauter vers un avenir qu’il ne maitrise pas. Et faire en sorte, techniquement parlant, qu’il n’ait pas l’impression que chaque pas l’amène dans un nouvel “outil bulle” déconnecté des autres mais le fasse avancer au travers d’une suite d’outils qui suivent ses propres pas.
Bref construire à la fois un “monde d’outils” et un processus d’adoption et de compréhension où chaque étape est compris comme un enrichissement de l’étape précédente, une extension de ce qu’ils connaissent. Et où chacun pourra dans un environnement unifié adopter les pratiques adaptées à chaque situation sans se poser en permanence la question manichéenne du “social ou pas social”. Car cette question qu’on peut se poser au niveau macro ne concerne pas l’utilisateur final et lui a été imposée par le caractère binaire de nombreuses approches. Que l’utilisateur final se contente de se demander “comment aller un pas plus loin pour surmonter une difficulté” au lieu de “vais-je trouver la réponse dans ce paradigme inconnu et quelle est la nature du risque auquel je m’expose en allant voir”.
N’oublions pas que nous avons en vue le futur. Mais que lorsque le futur est proposé au collaborateur il regarde d’abord son présent et ses contraintes actuelles. Et si le chemin ne lui semble pas clair il ne fera pas un pas de plus. Et que par conséquent on n’amènera davantage qu’une minorité de convaincus à se lancer dans le grand bain social qu’en leur montrant comment le outils nouveaux peuvent déjà faciliter leur présent à moindre risque.
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Crédit Photo: Benjamin Boccas
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Tres bon article, qui releve bien les vérités des médias sociaux aujourd’hui, par rapport a L’image idealiste qu’en ont la plupart des entreprises notamment. Merci.