Dans les médias, au-delà des contenus, il faut cibler et contextualiser davantage!
Face à une concurrence toujours plus grande, l’enjeu des producteurs de contenus est de maximiser l’attention et l’engagement des lecteurs. Cela passe par des sujets et des formats plus impactants, mais aussi par un meilleur ciblage et une prise en compte du contexte de réception.
La conquête du fameux «temps de cerveau disponible» de Patrick Le Lay est plus que jamais d’actualité, à l’heure de la surabondance des contenus et messages communicationnels (il ne faut pas oublier les chats, SMS et autres discussions sociales). Comme le souligne Clara Schmelck, en 2014, le temps de lecture accordé à un article de presse était cinq fois moins important qu’il y a dix ans.
Pour conquérir cette attention, les médias, et de plus en plus les marques, via le «brand-content», multiplient les formats attractifs, ludiques, «plaisir». En témoigne la profusion des infographies, quiz, cartoon et autres vidéos «fun» sur les réseaux sociaux. On a assisté en ligne à une forme de contamination des contenus légers, LOL et buzz. Une sorte de «Buzzfeedisation» de la presse en ligne, pour reprendre l’image de Nicolas Becquet. Mais le seuil de qualité et d’originalité requis, pour avoir une chance d’émerger de la masse, s’élève.
L’autre solution consiste à booster l’impact de ses contenus en optimisant la contextualisation et la personnalisation des contenus créés.
La personnalisation est une vieille chimère de geek des années 2000. A l’époque, on proposait aux lecteurs sur certains portails de personnaliser leur page d’accueil, et on leur demandait de cocher des listes de contenus susceptibles de les intéresser. Ces usines à gaz n’ont jamais pris auprès du grand public, pas plus que les lecteurs de flux RSS ou Twitter. C’était exiger des non-experts trop d’effort, trop de temps, pour un bénéfice pas immédiatement clair.
Et puis de toute façon, quoi de plus efficace que le mot-clé pour aller chercher l’information qui nous intéresse ? Google a non seulement tué le cyber-flâneur, mais aussi cette utopie des portails personnalisés.
Le concept a fait un retour fracassant ces dernières années, grâce à l’évolution des technologies et notamment les algorithmes. Désormais, la personnalisation des contenus se fait de manière automatique, selon la consultation effective des contenus par les utilisateurs. C’est le cas de l’algorithme Facebook qui promeut les contenus les plus «likés», partagés par chaque individu.
C’est aussi le cas des alertes et newsletters qui peuvent cibler les abonnés les plus intéressés, ceux qui ont cliqué précédemment sur des sujets similaires. Des plateformes logicielles comme Capptain permettent désormais de le faire
L’info contextualisée par la grâce du mobile
L’irruption du mobile qui est aujourd’hui le support le plus consulté chaque jour, devant l’ordinateur, ajoute des possibilités de géolocalisation.
Le GPS intégré des smartphones nous permet de trouver notre chemin sur Google Maps, mais il permet aussi aux applications d’envoyer potentiellement des news correspondant au lieu où nous nous trouvons.
En vacances au bord de la mer ? L’éditeur de l’application mobile sera avisé d’envoyer une news sur les plages les plus propres de France (les fameux «pavillons bleus»). Ou mieux encore, un article concernant votre plage précise : Hygiène, sécurité, équipement… votre plage est-elle bien notée ?
La géolocalisation du mobile doublée des données clients, récupérées via les cartes de fidélité permettra aussi aux distributeurs et aux marques de faire des promotions ciblées.
En magasin, dans le rayon céréales, vous recevez une alerte mobile qui vous offre une remise sur l’achat groupé de votre marque habituelle. Le taux de transformation de ce genre de promotions ciblées et contextualisées ne fait pas beaucoup de doutes. Pour rappel, 95% du business model de Google repose là dessus : les liens Adwords et Adsense en rapport avec les mots tapés ou les mots présents dans les e-mails.
Seule inconnue : les consommateurs-citoyens accepteront-ils ce mode de promotion intrusif qui leur révélera la profondeur de la surveillance dont ils sont déjà l’objet depuis longtemps, via les cartes de fidélité ? Je parie que la majorité sacrifiera sans état d’âme leurs données personnelles pour quelques réductions.
Un ciblage chronologique
Reste un point d’optimisation : l’adaptation des contenus aux temporalités. Nous n’avons pas les mêmes besoins en information, selon les différents moments de la journée.
D’abord notre disponibilité mentale n’est pas la même, selon que nous nous préparons à aller au bureau, que nous sommes en train de regarder la télé (et oui, la consommation simultanée des médias a aussi explosé ces dernières années), ou que nous sommes au lit avec notre tablette.
Chaque moment de la journée a aussi son support de prédilection comme l’avait fort bien résumé Frédéric Fillioux sur son blog. Ce qui implique idéalement des formats différents, selon les heures de la journée, pour profiter au mieux des caractéristiques de chaque canal de réception. Ainsi le matin, on peut supposer qu’un article illustré est plus adapté qu’une application interactive, car il sera surtout consulté sur smartphone.
Plusieurs médias se sont succédés récemment pour proposer des contenus chronologiques :
Le New York Times a initié le mouvement il y a un an avec son application «Now» dont l’objectif était de conquérir un nouveau public, plus jeune. L’originalité de l’application tenait au briefing matinal, un résumé des principales infos à retenir de la journée. Autre originalité : le recours aux articles des autres par la curation. Le «meilleur du web», en somme, livré «clé en mains».
Le Monde a récemment emboîté le pas du quotidien américain en lançant à son tour son application «matinale». Là aussi l’application propose une sélection d’une vingtaine d’articles qui correspondent aux sujets les plus importants de la journée plus des petits articles de curiosité ou de divertissement. L’idée est d’avoir un condensé rapide et limité de l’actu de la journée, par opposition au flux ininterrompu qui consomme du temps et génère une forme de stress : celui de rater une information importante.
Brief.me, la newsletter payante créée notamment par Laurent Mauriac, ex-Rue89, répond à ce même besoin de sélection de l’information importante, avec une dimension pédagogique forte : décrypter l’info importante de manière rapide et accessible. Publiée le soir, elle a vocation à être plus une info de «rattrapage» : vous n’avez rien suivi, on vous la fait courte.
La newsletter procure aussi quelques infos de découverte, de plaisir ou à vocation pratique («ça peut servir», comme cette façon de lutter contre la procrastination en deux minutes).
S’informer pour soi ou pour les autres ?
Mais, hormis les contraintes de formats, de disponibilité ou d’accessibilité (par exemple, dans les transports publics, la connexion peut être mauvaise : pas bon pour les formats vidéo), comment choisir globalement les sujets en fonction de l’heure de la journée ?
Un des éléments clés de réponse tient, selon moi, au degré de socialisation plus ou moins fort de la période considérée. Le matin est moment de socialisation ritualisée très forte, à la machine à café, où il faut alimenter la conversation par le combustible social de l’information chaude. Le soir après 22 heures, et la fin de la période de socialisation autorisée, c’est plus un moment à soi, où savoir ce qui s’est passé compte moins que se faire plaisir ou se construire, comprendre, découvrir…
J’ai résumé par le graphique ci-dessous les différents degrés de socialisation de la journée et donc de disponibilité mentale par rapport à tel ou tel sujet permettant de se connecter aux autres et de maintenir son rang symbolique. Il faut être non seulement au courant de ce qui se passe pour pouvoir être relié à autrui, mais aussi être capable de porter un avis argumenté, voire éclairé, sur ces sujets pour être en haut de la pyramide sociale symbolique.
Naturellement, même l’information «pour soi» est aussi un excellent carburant social, car elle constitue précisément une information plus rare, plus profonde et plus personnelle. Mais, il ne s’agit que de la cerise sur le gâteau. Le préalable rituel est déjà de parler des mêmes choses que les autres, de vivre et ressentir les mêmes émotions et se sentir ainsi lié par cette inter-subjectivité (temporaire).
Cyrille Frank est journaliste. Co-fondateur de Askmedia (quoi.info, Le Parisien Magazine, Pôle dataviz), il est aussi formateur aux techniques rédactionnelles plurimédia, au marketing éditorial et au data-journalisme ainsi que consultant en stratégie éditoriale (augmentation de trafic, fidélisation, monétisation d’audience) et en usages des réseaux sociaux (acquisition de trafic, engagement…).
Retrouvez Cyrille Frank sur Twitter, @cyceron, et sur son site Internet : Mediaculture.fr.
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