Ces nouveaux opérateurs télécoms qui veulent gagner la bataille des objets connectés
Les réseaux de télécommunications «machine to machine» (M2M) sont des réseaux dédiés à la communication entre objets connectés (IoT pour «Internet of Things») et les infrastructures Internet (smartphones, serveurs, data-centers, cloud, etc) qui exploitent les données qu’ils génèrent voire les pilotent quand ils sont actifs.
On entend souvent parler de la star française qu’est Sigfox, notamment du fait de ses importantes levées de fonds et de son déploiement international de réseau M2M. Sigfox fait face à LoRA, une alliance supportant une technologie propriétaire issue de l’américain Semtech. Les opérateurs Bouygues Télécom et Orange ont annoncé en 2015 le lancement de leur propre réseau M2M à base de technologie LoRA.
Mais il existe d’autres standards et solutions de réseaux M2M dont le standard ouvert Weightless-N. Et les schémas industriels sont différents à chaque fois mélangeant allègrement de l’intégration plutôt verticale (à la Sigfox) ou plutôt horizontale (Weightless-N et LoRA). Il y a bien de quoi y perdre son latin ! Et ceci ne tient pas compte des nombreux réseaux M2M déjà déployés ou en cours de déploiement pour les compteurs d’eau, de gaz et d’électricité !
En cherchant une cartographie du secteur, je suis tombé sur ce poster de FirstPartner qui fait un tour d’horizon des acteurs du marché de l’IOT et du M2M. On y voit Sigfox tout en bas à droite dans les opérateurs de réseaux «unlicensed» tandis que les opérateurs télécom plus traditionnels sont à gauche dans les réseaux «licensed». On voit surtout apparaître tout un tas de spécialités autour du M2M, dans le matériel, les logiciels et les services.
Cet article a pour objectif de répondre à plusieurs questions clés : quels sont les grands usages des réseaux M2M et leur typologie ? Comment se positionnent ces différents acteurs les uns par rapport aux autres ? Comment se structure la concurrence internationale ? Quelle est la place des sociétés françaises dans ce marché ?
Typologie et usages des réseaux M2M
Dans les réseaux reliant les objets connectés, on peut commencer par séparer les réseaux sans fils faible distance et les réseaux sans fils longue distance.
Les réseaux à courte portée sont très utilisés par les objets connectés du grand public. Ils s’appuient le plus souvent sur les protocoles réseaux Wi-Fi et le Bluetooth voire parfois du Zigbee, du Z-Wave et même du DECT pour les solutions de “smart home”, l’appellation moins vieux jeu de la domotique. Il existe aussi des réseaux sans fils spécifiques aux applications industrielles, comme ceux qui s’appuient sur la norme ISA 100. Au sein des entreprises et des foyers, ces réseaux ne sont habituellement pas gérés par des opérateurs.
Suivent les réseaux longue distance qui peuvent se segmenter de manière bigsimpliste entre réseaux télécoms traditionnels 2G/3G/4G et les réseaux M2M bas débit sur lequel nous serons ici focalisés. Ces derniers réseaux sont généralement dénommés LPWANs pour Low-Power, Wide-Area Networks.
L’appellation d’objet connecté couvre surtout les objets dotés de capteurs qui génèrent des volumes de données modestes. Ce sont souvent des capteurs qui mesurent quelques grandeurs : une température, un niveau d’humidité, un niveau d’éclairage, un niveau sonore, etc. Donc, quelques nombres flottants dans le pire des cas. Ces données n’ont pas forcément à être transmises en temps réel. On peut se contenter de les transmettre toutes les minutes voire à une plus faible fréquence. C’est un choix opérationnel lié au besoin de rafraîchissement de la donnée vu des logiciels de supervision des objets. C’est aussi lié au besoin de minimiser la consommation énergétique des objets connectés ainsi reliés.
La promesse des objets connectés consiste souvent en la capacité à capter des données pour pas cher ! Donc, des capteurs pas chers, si possible auto-alimentés, ou quand ils sont sur batterie, avec une autonomie de plusieurs années. Les objets connectés peuvent être en route à période régulière pour transmettre leurs données et en veille sinon. Les réseaux les connectant doivent suivre la promesse du “pas cher” pour que l’ensemble soit cohérent.
Un objet qui transmet trois nombres flottants et les éléments d’identification toutes les cinq minutes va consommer un débit fort modeste : au grand maximum 100 octets x 12 par heure, donc un peu plus d’un Kilo-octets. Par comparaison, dans le même temps, un consommateur de vidéo HD en ADSL, fibre ou câble aura consommé la bagatelle de 6 Mbits/s x 3600 secondes = 2,7 Go ! S’il est en 4G, avec un débit moindre, cela sera environ le quart. La consommation d’une vidéo HD représente donc plus de 2 millions de fois celle d’un objet connecté ! Et encore, j’ai pris comme exemple l’envoi de données toutes les 5 minutes. Dans de nombreux cas, l’envoi est journalier ! Autant dire que les opérateurs télécoms traditionnels ont plus de cheveux à se faire avec la TV de rattrapage, avec Netflix, CanalPlay, la 4K/UHD et consorts qu’avec les objets connectés, même en intégrant les prédictions mirobolantes de leur déploiement genre “n milliards d’objets connectés déployés en 2020”, n étant compris entre 20 et 200 selon les versions !
Les opérateurs télécoms et certains industriels de l’IoT ont un temps rêvé de caser des abonnements 2G/3G pour certains objets connectés. Mais c’est le plus souvent “un marteau pour écraser une mouche”. Et cela coûte plutôt cher : le prix de l’abonnement et surtout le prix de l’émetteur et sa consommation d’énergie. Vendre un objet connecté intégrant une carte SIM était courant jusqu’à aujourd’hui pour les applications professionnelles.
Tout cela explique l’émergence des réseaux sans fils M2M à longue portée, basse latence et très bas débit. Ces réseaux s’appuient souvent sur des bandes de fréquences “ISM” (industrie/science/médical) non licenciées, principalement autour de 433 MHz, 900 MHz et 2,4 GHz, dépendant des régions. Voir la carte ci-dessous des principales fréquences ISM par continent.
Les réseaux M2M peuvent aussi exploiter des bandes de fréquence sous licence comme c’est le cas pour le GSM, la 3G et la 4G ou dans les bandes de fréquence UHF libérées par la fin de la TV analogique (entre 760 et 862 MHz pour l’Europe). L’Union Européenne planche en ce moment sur l’harmonisation des bandes de fréquence ouvertes, notamment dans les 870–876 MHz et 915–921 MHz. Les réseaux M2M courants s’appuient sur les bandes de fréquence ISM. Les objets ainsi connectés peuvent fonctionner sans changement de piles pendant plusieurs années, jusqu’à 10 ans dans le meilleur des cas.
Seule la bande des 2,4 GHz est commune à tous les continents. Elle est notamment utilisée par le Wi-Fi a/b/c/g/n ainsi que par le Bluetooth. D’où son choix par des opérateurs de réseaux M2M comme Ingenu, que nous verrons plus loin.
Les antennes des émetteurs de réseaux M2M courants utilisant la bande des 800-900 MHz ont une portée plus grande que celles des réseaux 2G/3G/4G : elle atteint une cinquantaine de kilomètres en zones rurales et descend à quelques kilomètres en ville. Cela permet en pratique de mailler un pays avec environ un cinquième à un dixième des antennes relais nécessaires pour la 3G/4G. Ainsi, Orange a installé 10 000 antennes 4G en France et Sigfox couvre le même territoire avec seulement 1500 antennes. Qui plus est, les antennes des réseaux M2M coutent moins cher que les antennes 3G/4G : moins de 5K€ quand les stations de base 4G peuvent atteindre des sommets et dépasser les 50K€. Sigfox aurait ainsi couvert la métropole avec à peine 2 m€ d’investissements. Dans le détail, la comparaison ne peut être si simple voire simpliste car la portée en intérieur de ces réseaux M2M n’est pas excellente alors que celle des réseaux 3G/4G est plutôt bonne.
La comparaison sur le papier des différentes offres de réseaux M2M est loin d’être évidente. Ils proposent tous des compromis différents au niveau de la portée, du fonctionnement ou pas en intérieur, du débit, du canal retour (vers l’objet), de la sécurité, de la gestion des interférences, et du coût. On manque aussi de recul pour évaluer le bon fonctionnement de ces réseaux une fois qu’ils seront utilisés à pleine charge.
Il faut noter au passage que tout ce qui est situé entre les objets connectés et les réseaux M2M ne fait pas partie d’Internet. Seuls les serveurs de gestion des réseaux M2M sont ensuite reliés à Internet. Et pour cause puisqu’Internet n’est pas dimensionné pour gérer l’adressage de milliards d’objets connectés et que TCP IP/V6 est un protocole trop lourd pour être exploité dans les réseaux M2M, notamment ceux qui sont unidirectionnels. TCP IP V6 est utilisé via le protocole 6LowPAN qui est exploité au-dessus du protocole réseau 802.15.4 que l’on trouve notamment dans le nouveau protocole M2M ouvert Weightless-N.
La chaîne de valeur des réseaux M2M comprend plusieurs couches techniques :
- Les composants “radio” permettant d’ajouter un modem d’émission et de réception de données aux objets connectés. Ils complètent le micro-contrôleur qui pilote les capteurs et proviennent de divers fournisseurs de composants tels que STMicroelectronics, Freescale, Atmel, Qualcomm/Atheros, Marvel, Nordic Semiconductors ou Broadcom. Les composants associés sont très bon marché : moins de $2, capteurs compris !
- Les logiciels embarqués dans ces micro-contrôleurs et qui pilotent les objets et leurs capteurs. Ils tournent souvent sous Linux.
- Les antennes relais d’émission et de réception qui sont gérées par les opérateurs de réseaux M2M. Ces antennes relais sont reliées ensuite à Internet et à des systèmes de supervision.
- Les data-centers qui hébergent les applications de supervision des réseaux M2M. Ils jouent également un rôle important dans la sécurité et l’authentification des objets connectés via les réseaux M2M. On trouve des systèmes de supervision de réseaux M2M chez de nombreux éditeurs de logiciels dont Raco Wireless, Jasper et Aeris. Les équipementiers télécoms en fournissent également.
- Les data-centers qui gèrent les applications métier et le middleware associé, applications accessibles ensuite via des interfaces web ou mobiles.
Je me focalise dans cet article sur la composante radio et réseau M2M de cet écosystème. En apparence, le marché est en train de se polariser avec d’un côté l’alliance LoRA qui est une spécification de réseau supportée par divers acteurs de l’industrie de manière “horizontale” et de l’autre l’offre de Sigfox, plus intégrée verticalement. Il existe cependant d’autres offres qui ne sont ni dans l’une ni dans l’autre telles que Weightless-N ou encore Ingenu. Voir le tableau ci-dessous et ici pour en savoir plus sur la comparaison entre ces différentes offres.
Je ne traiterai pas en détail d’un point clé de ces réseaux : la sécurité. Toutes les solutions évoquées permettent de mettre en place des protections diverses, notamment avec des clés uniques par device. D’autres proposent simplement d’ajouter du chiffrement des messages pour renforcer la sécurité.
Au passage, je précise qu’avant de me lancer dans la rédaction de ce dossier, je n’y connaissais quasiment rien sur le sujet ! Je l’ai découvert au fil de l’eau et principalement via des recherches en ligne, complétées par quelques informations glanées dans diverses conférences généralistes sur le numérique.
LoRA
Bouygues Telecom et Orange ont annoncé l’adoption de LoRA en 2015 dans le cadre du lancement de leur propre réseau M2M. Alors que Sigfox battait les feux de la rampe après avoir notamment réalisé une très belle levée de fonds de 100 m€ début 2015 ! Pour comprendre cela, il faut explorer le détail de chacune des offres.
L’alliance LoRA spécifie le protocole de communication radio “ouvert” M2M, le LoraWAN, protégé principalement par deux brevets de Semtech : “Fractional-N synthesized chirp generator”, publié en 2010 et “Low power long range transmitter”, publié en 2014. La spécification a été finalisée en janvier 2015. Sa technologie sous-jacente est d’origine française ! Elle provient de la startup fabless Cycleo issue du CEA-LETI de Grenoble, acquise par l’américain Semtech en 2012, une société spécialisée dans la conception de composants radio divers. Semtech faisait $558m de CA dans sa dernière année fiscale complète (FY2015).
Ce protocole expliqué dans ce livre blanc de Semtech est conçu pour être multi-sources à tous niveaux, notamment les composants radio et les réseaux. Dans la pratique, les composants sont d’origine Semtech ou de sociétés comme MicroSemi qui les fabriquent sous licence de Semtech. C’est ouvert mais pas gratuit ! “Ouvert” indique juste que c’est publié et pas protégé par le secret industriel !
La spécification LoRAWAN permet de couvrir des besoins assez variés : des débits allant de 300 bits/s à 100 Kbits/s, une diffusion en unicast ou multicast, une communication bidirectionnelle avec les objets connectés, le support de différentes fréquences radio, la définition de trois classes d’objets connectés au réseau (classes A, B et C) permettant d’adapter l’équilibre entre consommation électrique et fréquence de réception et d’envoi de données. La frange haute des débits disponibles permet de transférer de la voix via des talkie-walkies dédiés !
Côté liaison radio, LoRA s’appuie sur les bandes 868 MHz (EU) ou 915 MHz (USA), ou la moitié (433 MHz en Europe) et avec un spectre de 200 KHz de large. La modulation est réalisée en DSSS CDMA, ce qui vous fait une belle jambe. En gros, la solution LoRA est très flexible et s’adapte à de nombreux usages et besoins en volumes de données à transmettre. Cela fournit une bonne justification technique de son choix par les opérateurs télécoms.
A ce jour, l’écosystème qui supporte LoRA est assez dense et comporte notamment :
- Dans les composants : Semtech (première source de la modulation radio), MicroSemi (composants fabriqués sous licence de Semtech), Freescale (composants aussi sous licence), Adeunis (un français qui supporte aussi le réseau de Sigfox) et Microchip (composants, microcontrôleurs, US).
- Dans les modules réseaux et le matériel, un très grand nombre de solutions disponibles dont : Flashnet Wireless (modules de communication industriels, Allemagne), Linklabs (modems et aussi un réseau M2M déployé, USA), Multitech (modems M2M, USA), Orbiwise (modules IoT complets, Suisse), Augtek (équipementier de réseaux M2M, fournit des stations de base, supporte IPV6, Chine), le français Sagemcom (modems et set-top-boxes), le français Eolane (modules radio à base de composants Semtech), le français Kerlink, basé à Rennes, qui propose des calculateurs embarqués et des logiciels de supervision d’IoT, ainsi qu’une borne d’émetteur LoRA, et un autre français, Nemeus, qui propose des modules radio compatibles LoRA et Sigfox miniaturisés qui sont notamment exploités par Actility. Un autre français, HomeRider, est spécialisé dans la création de solutions M2M pour compteurs divers (eau, gaz, …) et il supporte LoRA depuis 2014.
- Dans les services et les logiciels : Loriot, une startup suisse créée en 2015 qui propose des composants logiciels de gestion d’objets connectés supportant LoRA, le français Actility (opérateur de services et de solutions de pilotage d’infrastructure, sous traitant d’opérateurs de réseaux M2M dans lequel Orange, KPN et Swisscom ont investi, en plus d’IDInvest et Bpifrance, et qui a levé en tout 25m€ en juin 2015), les grands fournisseurs d’informatique d’entreprise comme IBM, Cisco, Microsoft et Oracle qui ont tous peinturluré à la sauce IoT leurs offres de middleware, bases de données et cloud. IBM propose notamment sa solution LRSC (Long-Range Signaling and Control) pour gérer un réseau M2M.
- Des opérateurs dédiés au M2M comme Strataggem en France (à Strasbourg), The Things Network aux Pays-Bas, FastNet en Afrique du Sud une filiale de l’opérateur Telkom South Africa, l’américain SeNET (créé en 2009, $25.2m de levés dont $18m en juin2015 qui gère notamment le niveau de remplissage de réservoirs de fuel), et le canadien Endetec qui fait du monitoring environnemental (c’est une filiale de Veolia), et l’anglais Stream Technologies (opérateur de service M2M, propose sa plateforme logicielle IoT-X de gestion des services et des abonnés).
- Des opérateurs télécoms traditionnels de plusieurs pays comme Bouygues Telecom (qui prévoit de déployer en tout 8000 antennes en France, cf cet article de Silicon.fr qui fait un point sur le sujet) et Orange en France, le hollandais KPN, le belge Proximus, le suisse Swisscom (déployé avec le concours du français Actility), et le coréen SK Telecom. Bouygues Telecom et Orange ont choisi LoRA contre Sigfox pour des raisons avant tout techniques. Les tests réalisés à partir de 2013 ont montré que LoRA semblait mieux tenir la charge, avait une meilleure portée réelle et une plus grande flexibilité (débits, etc). Orange a de son côté réalisé des tests grandeur nature à Grenoble.
Par certains côtés, LoRA fait un peu penser à Z-Wave, ce protocole de réseau sans fil pour la domotique, créé à l’origine par Zensys, acquis ensuite par Sigma Design. Un protocole qui fait face à Zigbee, qui est lui ouvert et multi-sources. L’homologue de Zigbee dans les réseaux M2M serait plutôt Weightless-N que nous évoquerons plus loin.
Certains acteurs supportant LoRA ont des offres multi-facettes. Ainsi l’américain Link Labs qui supporte LoRA dans son propre réseau M2M aux USA et dans le matériel associé qu’il fournit opère également le réseau Symphony Link !
Quid des usages direz-vous ? LoRA est surtout positionné dans des applications professionnelles, notamment dans celles de la “Smart City” comme la gestion de l’éclairage public ainsi que dans le “Smart metering” (pour le relevé de compteurs, même si Linky s’appuie sur des liaisons terrestres en France et pas sur un LPWAN).
Sigfox
Créé en 2009, le toulousain Sigfox se positionne comme le seul opérateur mondial de réseau M2M. Le claim n’est pas faux car c’est à ce jour la seule société présente dans un grand nombre de pays (France, UK, Espagne, Italie, Allemagne, Pays-Bas, UK, Luxembourg, Russie) avec un ambitieux plan de déploiement dans 60 pays d’ici 2020. D’autres comme Qowisio revendiquent ce positionnement international mais n’ont pas encore déployé de réseau M2M en bandes ISM à ce jour.
La société créée par Ludovic Le Moan a levé plus de $150m. Elle s’est aussi fait remarquer en embarquant Anne Lauvergeon comme chairman en 2014. Elle aurait été rencontrée par Ludovic Le Moan à l’occasion de leur participation au voyage aux USA de François Hollande début 2014.
Sigfox a fait entrer dans son capital des grandes entreprises aussi variées que Engie (ex GDF-Suez) qui prévoit de déployer un réseau Sigfox en Belgique, des opérateurs télécoms (l’espagnol Telefónica, le coréen SK Telecom et NTT Docomo Ventures), ainsi que Samsung. Ce qui montre au passage que Sigfox peut-être aussi bien concurrent que partenaire des opérateurs télécoms même s’il est en situation de concurrence avec Orange et Bouygues Telecom pour la France.
Sigfox est un opérateur de réseau qui a spécifié son propre protocole et s‘appuie sur des partenaires dans le hardware pour le supporter. Son protocole réseau “Ultra Narrow Band” ainsi que la méthode de déploiement du réseau M2M basé dessus sont protégés par divers brevets, dont : “Procédé et module d’estimation de bias fréquentiel dans un système télécommunications numériques” (PCT), “Procédé d’authentification de paquets de données reçus par une station d’un système de télécommunications numérique” (PCT) et “Method for using a shared frequency resource, method for manufacturing terminals, terminals and telecommunication system” (USPTO).
Sigfox utilise la bande non licenciée des 868 MHz en Europe et 915 MHz aux USA. L’offre commerciale permet d’envoyer jusqu’à 140 messages de 12 octets par objets et par jour, et à un débit ne dépassant pas 100 bits par seconde. C’est donc une offre de plus bas débit que celle de LoRA. Qui plus est, dans ses premiers déploiements, elle était unidirectionnelle, des objets vers le réseau.
Les clients potentiels n’en étant pas satisfaits, Sigfox a adapté son réseau pour supporter la transmission de donnée dans les deux sens pour s’aligner de ce point de vue-là sur LoRA. Concrètement, cela fonctionne en permettant aux objets connectés d’écouter le réseau après l’émission d’informations, ce pendant quelques minutes avant de se remettre en veille, histoire de récupérer par exemple un accusé de réception des données précédemment envoyées.
Est-ce que ces limitations de débit sont préjudiciables aux déploiements de Sigfox ? L’avenir le dira. En tout cas, cela correspond aux besoins de “metering” d’une grande majorité d’objets connectés btob.
A ce jour, l’offre matérielle supportant le réseau et le protocole de Sigfox comprend :
Dans les composants : le protocole Sigfox est assez facilement supportable par des composants radio existants du marché. D’où un écosystème assez développé avec des composants radio issus de Atmel (exemple ci-dessous), Silicon Labs, STMicroelectronics et Texas Instruments. Il faut aussi ajouter les composants de Samsung Artik. A noter que contrairement à Semtech, le protocole Sigfox peut être supporté par ces concepteurs de circuits radio sans verser de royalties. Sigfox fait tout pour attirer à lui l’écosystème des fabricants. C’est son intérêt puisque son modèle économique est celui d’un opérateur télécom.
Dans les modules réseaux et le matériel : des modules radio comme ceux d’Adeunis, un français basé à Crolles près de l’usine de STMicroelectronics, qui propose des modems compatibles avec la fois avec Sigfox et LoRA qui s’appuient sur des composants d’origine Texas Instruments (exemple ci-dessus), les modems du français ATIM, le suisse Axsem propose aussi des modules de communication Sigfox. On trouve aussi des modems Sigfox chez Radiocrafts et chez Telit Wireless Solutions (qui a notamment fait l’acquisition de l’activité M2M de Motorola en 2011 et propose aussi un portail de gestion d’objets connectés en plus de ses modules de connectivité). Arrow Electronics fournit quant à lui sa carte SmartEverything de développement d’IoT supportant Sigfox. Le français Webdyn propose de son côté des capteurs radio industriels compatibles Sigfox (et LoRA) pour la mesure de température, d’hygrométrie et de consommation électrique.
Dans les services et les logiciels : le lillois Intent Technologies propose IntentOS, un système d’exploitation de bâtiment connecté. Sigfox est partenaire de SalesForce pour relier ses systèmes de supervision à la solution de CRM de ce dernier. Dans un autre marché, une prochaine génération de décodeurs satellite de Canal+ (Cube G7) pourrait bien être reliée au support technique de l’opérateur via le réseau Sigfox. L’intérêt est de remonter les informations de diagnostic des box qui ne sont pas toujours connectées à Internet via le fixe (ADSL, fibre ou câble), en particulier dans les zones blanches. La solution est en tout cas proposée par l’éditeur de logiciels de box WyPlay qui a développé la solution logicielle open source Frog qui est en cours de déploiement sur l’ensemble de la base installée des décodeurs de Canal+.
Côté cloud, OVH a annoncé un partenariat avec Sigfox lors de la conférence OVHSummit aux Docks de Paris à Aubervilliers le 25 septembre 2015. Il s’agit du lancement de la plateforme iot.ovh.com qui permet de collecter les données issues d’objets connectés au réseau Sigfox et de les traiter avec les serveurs OVH. C’est une extension naturelle du métier d’hébergeur d’OVH. OVH distribuait sur place aux participants à la conférence un petit boîtier intégrant un hardware Intel de nature non précisée intégrant un capteur de température et de mouvements complétés d’un bouton. Les boitier a été créé par la société Axible basée à Labège, près de Toulouse. C’est en fait le Sens’it annoncé au MWC en mars 2015. Les données sont transmises aux serveurs d’OVH et sont accessibles à partir du nouveau service PaaS TimeSeries qui est en bêta. L’idée consiste à utiliser un compte gratuit pour faire des tests, le capteur pouvant envoyer des données toutes les cinq minutes (détails). Cela permet au passage de tester la portée réelle du réseau Sigfox chez vous ou en déplacements. Entre 50 et 100 startups testant le service pourront être par ailleurs accompagnées dans le programme OVH Digital Launch Pad, basé à Euratechnologies (Lilles), le tout financé avec un investissement de 1 m€.
Le boitier connecté Sens’It créé par Axible (Toulouse) et distribué aux participants de la conférence OVHSummit, doté d’un capteur de température et de mouvements et relié aux data-centers d’OVH via le réseau M2M de Sigfox.
Dans la pratique, le petit test proposé par OVH permet donc de récupérer une courbe d’évolution de la température dans une pièce. Celle-ci est captée toutes les demi-heures. Les températures sont “bufferisés” et envoyées selon une périodicité configurable, de quelques minutes à la journée. Ca prouve au moins que Sigfox fonctionne en intérieur ! Et même en sous-sol où j’ai placé le capteur après l’avoir mis en étage.
Côté commercialisation, Sigfox peut s’appuyer sur des tiers et notamment des opérateurs télécoms. C’est le cas avec l’espagnol Abertis Telecom qui non seulement déploie les antennes de Sigfox en Espagne mais y commercialise aussi l’offre de Sigfox. Il en va de même avec l’opérateur hollandais Aerea pour la couverture de Moscou et avec le russe Micronet pour gérer 15 000 places de parking à Saint-Petersbourg avec la solution espagnole Fastprk de Worldsensing. Sigfox communique aussi depuis deux ans déjà sur MAAF Assurances qui prévoit d’installer ses détecteurs de fumée connectés chez ses clients assurés et sur Clear Channel qui a lancé dès 2013 un projet de connexion de ses panneaux publicitaires via le réseau Sigfox.
Sigfox s’appuie aussi sur TDF pour déployer son réseau d’antennes en France en profitant des centaines de “points hauts” où l’opérateur français a déjà en place des antennes TNT, GSM et radio. TDF a d’ailleurs bien plus de points hauts disponibles qu’il n’en faut pour déployer un réseau M2M en France du type de celui de Sigfox : 9500 en tout ! Mais ce nombre de points hauts peut être nécessaire pour créer un réseau fonctionnant bien en intérieur.
A terme, Sigfox ambitionne de ne pas être le seul à utiliser sa technologie. Il fait son lobbying auprès du 3GPP pour qu’ils intègrent la spécification Sigfox dans celles de la 5G qui doivent être publiées d’ici 2020.
Quid des tarifs ? Ils ne sont pas faciles à comparer avec les informations publiques rares des uns et des autres. On sait cependant qu’un abonnement au réseau Sigfox est inférieur à 10€ par an et par objet et que ce tarif est évidemment dégressif en fonction de volume des objets connectés d’un client.
Bref, Sigfox a fait le choix de la course de vitesse pour le déploiement international couplé à une technologie “good enough” pour couvrir une bonne partie des besoins des objets connectés surtout dans la smart city, et avec une approche économique avantageuse. Son écosystème a l’air bien développé dans les couches basses des composants. Il est aussi bien concurrent que partenaire des opérateurs télécoms auprès de qui il peut commercialiser son réseau M2M en marque blanche.
On peut d’ailleurs se poser la question des synergies apportées par ce déploiement international. Comme l’offre est avant tout “btob”, cela intéressera les grandes entreprises internationales qui veulent suivre le fonctionnement d’infrastructures fixes ou mobiles à l’échelle de la planète. Quelle part du marché représentent-t-elles par rapport aux “utilities” locaux et aux villes (pour les applications de “smart city” qui scalent rarement au-delà d’une ville) ?
Prochainement, la seconde partie de cet article :
Vous pourriez croire que le sujet des réseaux M2M a été épongé après avoir décrit dans le détail LoRA et Sigfox ? Loin s’en faut ! Dans la seconde partie, nous faisons le tour des nombreuses alternatives, qu’il s’agisse de standards ouverts comme Weightless-N, d’offres propriétaires comme chez le français Qowision ou l’américain Ingenu, des réseaux M2M mesh, des initiatives des opérateurs télécoms au sein de 3GPP ainsi que des déploiements déjà en cours de compteurs intelligents en France.
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Article vraiment éclairant. Par contre quid du tableau comparatif mentionné? :)
Vivement la seconde partie!