«Une protection nationale du droit d’auteur n’a plus aucun sens»
La Commission européenne cherche-t-elle à détruire le droit d’auteur ? C’est en tout cas la conviction d’un certain nombre de professionnels du secteur de l’édition et d’ayants droit. Ces craintes se sont exprimées dans un livre : «La gratuité c’est le vol 2015 : la fin du droit d’auteur?», publié fin septembre 2015 par l’avocat Richard Malka.
C’est le rapport de l’eurodéptuée Julia Reda (du parti Pirate) qui a déclenché la polémique. Celui-ci doit venir nourrir le projet de directive européenne actuellement en discussion et prévu à l’horizon 2016. Une consultation publique et une série d’études seront lancées d’ici fin 2015 pour aboutir à un vote devant le Parlement en juillet 2016. Objectifs de cette réforme du droit d’auteur: la levée des barrières et des réglementations au niveau national afin de «libérer la création» et de «favoriser le partage du savoir», comme le résument les défenseurs de la directive européenne. De fait, l’harmonisation du droit d’auteur au niveau européen doit faciliter la diffusion des œuvres.
Si le point de vue juridique de Richard Malka a été abondamment relayé par la presse en France, qu’en est-il d’un point de vue de l’économie numérique? Les réponses de Baptiste Robelin, avocat au barreau de Paris, et co-fondateur d’Adopte un CTO.
FrenchWeb: Que pensez-vous de la campagne fin septembre en faveur du droit d’auteur intitulée «la gratuité c’est le vol»?
Baptiste Robelin, avocat au barreau de Paris: Dans le livre au titre provocateur de Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo pointe du doigt la multiplication des exceptions au droit d’auteur conduisant selon lui, à plus ou moins brèves échéances, à une dérégulation du marché, à un appauvrissement des auteurs et à la disparition des éditeurs traditionnels au profit des géants du web (Google, Amazon…).
Il est essentiel de rappeler que Richard Malka a été mandaté par le Syndicat National de l’Edition (SNE) pour écrire ce livre. Il a agi comme un avocat au service des intérêts de ses clients. Il ne s’agit donc pas d’une réflexion sur les enjeux de la protection du droit d’auteur face au bouleversement généré par l’ère du numérique, mais d’un plaidoyer en faveur d’une thèse, celle du Syndicat National de l’Edition. Thèse selon laquelle toute atteinte et exception au principe du droit d’auteur serait nécessairement négative, puisqu’elle conduirait à une paupérisation des auteurs, et à un affaiblissement de la diversité culturelle.
Soyons lucides, les propos de l’avocat ne sont pas objectifs. C’est d’ailleurs le cœur de son art que de faire preuve de partialité, voire de provocation.
Sur le fond, la polémique engendrée par la réforme du droit d’auteur doit être nuancée. Les réactions face au projet européen sont en grande majorité positives. Politiques et spécialistes s’accordent pour un alignement des durées de protection des œuvres à 50 ans. De même, la suppression du principe de territorialité ne fait pas débat.
A l’ère du numérique, une protection nationale du droit d’auteur n’a plus aucun sens. Une législation pertinente ne peut s’envisager qu’à l’échelle européenne, voire internationale. Le principe d’une réforme et d’une uniformisation des législations européennes devrait donc être accueillie favorablement par les acteurs du monde de la culture, les maisons d’éditions, et par les juristes chargés de leur protection.
Face à Amazon, les librairies traditionnelles sont-elles condamnées à disparaître?
Baptiste Robelin: D’une manière incontestable, Internet a métamorphosé la relation à la culture et la notion de consommation culturelle. Son impact est loin d’être négatif puisqu’Internet offre de multiples opportunités pour démocratiser la culture. L’offre numérique de contenus culturels doit être encouragée tout en assurant la rémunération de ceux qui concourent à la création de ces œuvres. N’oublions pas que depuis 1981, la loi Lang a instauré le prix du livre unique en France visant à protéger le monde de l’édition. Tous les acteurs de la culture s’accordent pour considérer que cette loi a jusqu’à aujourd’hui pleinement atteint ses objectifs.
Je ne pense pas en revanche que l’essor d’une culture numérique conduise à la disparition des libraires traditionnelles. Le fétichisme de l’objet et le plaisir des sens sont les meilleures armes contre la dématérialisation de la culture. Chiner un bel ouvrage dans une librairie de quartier, se rendre dans une salle de concert, feuilleter une édition originale, ne peuvent être remplacés par Internet.
La FNAC par exemple a pleinement compris l’intérêt de conserver son format traditionnel en centre-ville et au cœur des quartiers commerçants des grandes villes, tout en développant l’offre sur Internet pour diversifier sa clientèle. Pour ce groupe, l’offre qui combine le virtuel et les canaux de distribution traditionnels s’avère un véritable succès aujourd’hui.
La vraie réponse à l’économie du Web n’est sans doute pas dans un arsenal législatif trop répressif. Offre qui ne parviendra de toute façon pas à lutter contre la puissance technique d’Internet et la liberté décomplexée des internautes qui se jouent des règles ou qui les connaissent peu, mais dans un renouvellement constant des supports traditionnels de la culture. Là encore, il faut voir Internet comme un facteur de contribution à la culture davantage que comme un monstre voué à la faire disparaître.
Quelle serait la bonne législation qui respecterait à la fois les attentes des lecteurs, des auteurs, et des professionnels de l’édition?
Baptiste Robelin: Actuellement, le droit d’auteur, à l’instar des autres droits de propriété intellectuelle, est régi par le principe de « territorialité », n’ayant vocation à s’appliquer qu’à l’échelle nationale. La perte de territorialité qu’a entraînée Internet, ainsi que le format numérique de produits tels que les fichiers musicaux, sont difficiles à concilier avec les réglementations nationales. Il est illusoire de penser, surtout dans nos sociétés interconnectées, qu’une loi nationale puisse encadrer efficacement l’utilisation d’Internet.
Sans pouvoir prédire qu’elle serait la législation idéale, il est clair qu’une législation efficace ne peut être pensée qu’à l’échelle européenne, voire internationale. L’harmonisation me paraît la seule solution pour un modèle de régulation efficace. Sans doute Richard Malka passe-t-il à côté d’une réflexion plus générale sur l’influence des normes internationales et européennes au détriment du droit d’auteur français. Des accords internationaux tentent progressivement d’adapter les cadres nationaux au monde en ligne. Ces traités visent à actualiser la protection internationale du droit d’auteur et des droits connexes à l’ère de l’Internet en complétant les dispositions de la Convention de Berne de 1886 afin de les adapter à l’environnement numérique. L’objectif est d’instaurer un « guichet unique » pour l’octroi des licences permettant de fournir, en toute légalité, des services tels que le téléchargement ou la diffusion de musique en continu.
Y’a-t-il un risque d’une toute puissance des GAFA comme le redoute Richard Malka?
Baptiste Robelin: Google, Apple, Facebook et Amazon sont déjà, chacun de leur domaine, en situation de position dominante. L’hégémonie des GAFA empêche l’éclosion d’acteurs européens majeurs du numérique. Les sociétés américaines utilisent les failles juridiques de l’Union européenne pour éviter certaines contraintes, notamment fiscales lorsqu’elles s’installent par exemple au Luxembourg ou au Pays-Bas. Il faut donc mettre en place une réglementation uniforme de manière à favoriser une concurrence saine.
A cet égard, les grands principes européens en matière de concurrence me paraissent suffisants, à condition d’être respectés.
Les premières contre-attaques semblent arriver avec l’assaut lancé par la Commission européenne contre Google, pour abus de position dominante. Le géant américain s’est vu adresser une «communication de griefs» et pourrait être sanctionné d’une amende record de 6 milliards d’euros. Google est soupçonné d’avoir favorisé son propre comparateur de prix, Google Shopping, au détriment de ses concurrents, et de lui donner une place prépondérante dans les résultats de son moteur de recherche. « Cela peut artificiellement faire dévier les internautes de comparateurs de prix rivaux et entraver leur capacité à concurrencer Google Shopping sur le marché », peut-on lire dans le communiqué de la Commission. Il faut continuer en ce sens afin de faire respecter les principes européens de la concurrence.
L’optimisation fiscale des grandes firmes américaines est également un sujet explosif. Sous la menace de la Commission européenne, Amazon s’est finalement décidée à changer son comportement opportuniste. Le géant américain de la distribution a annoncé qu’il déclarerait à l’avenir ses revenus dans chacun des pays européens. Jusqu’à présent ce n’était pas le cas. Amazon comptabilisait ses ventes à partir du Luxembourg, ce qui lui permettait d’optimiser sa facture fiscale.
Si le combat est loin d’être gagné, on doit encourager et féliciter les premières réactions européennes. Ce n’est qu’à cette échelle qu’un encadrement efficace des débordements d’Internet et de l’économie du numérique peut exister.
Baptiste Robelin est avocat au Barreau de Paris depuis 2012. Il est également co-fondateur de Adopte un CTO dont le service est de «proposer aux start-up de pitcher leur idée comme elles le feraient avec des investisseurs, mais devant un parterre de développeurs et d’ingénieurs, avec l’espoir que leur idée séduise et leur amène un partenaire aussi intrigué que compétent».
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