La digitalisation des RH a commencé mais ça n’a pas l’air sexy
Comme annoncé j’étais au HRTech World Congress il y a quelques temps, et ce billet est le premier d’une petite série dédiée à ce que j’ai vu et appris à l’événement.
La digitalisation des RH est en marche
Près de 5 000 personnes de toutes les nationalités sont présentes dans l’amphi du Palais des Congrès de Paris. Un hall d’exposition qui ne désemplit pas, des «breakout sessions» où l’on s’agglutine pour écouter des cas sur le learning, le «social» (comprenez collaboratif et réseaux), les données et analytiques, une scène start-up très active: le monde des RH a pris le virage de la digitalisation il n’y a aucun doute. Par contre la manière de procédé a été l’occasion de nombreuses discussions.
Je vantais dans mon billet annonçant la conférence la qualité des keynote sessions des précédentes années, capables de donner de l’énergie et de la vision et d’aller au delà de la technologie, ladite technologie n’ayant de sens que lorsqu’on sait quoi en faire. C’était toute la beauté des précédentes éditions de HRTech. Cette année fut celle du retour sur terre.
La bonne nouvelle est donc que le train est en marche. La nouvelle la moins réjouissante est qu’il circule en souterrain, visite les tunnels et la plomberie et ne semble pas éclairer loin devant lui.
Comme en 2014, j’ai été emballé par la keynote de Yves Morieux. Simplicité et complexité sont un vrai sujet pour le futur de nos organisations et tout ce que cela implique pour la fonction RH en tant que partie prenante du «design organisationnel» de l’entreprise. Puis les grandes entreprises se succèdent sur la grande scène prouvant que le monde est en marche. Il ne sera pas difficile de synthétiser ce qui a été dit session après session puisque le message a été systématiquement le même : «On a mis notre SIRH dans le Cloud». Trop de technologies, trop d’éditeurs, pas assez de vision et des praticiens RH qui parlent plus d’infrastructure que de la manière dont leur métier se transforme.
Les fonctions régaliennes des RH l’emportent sur le futur du travail
D’où l’interrogation légitime de beaucoup: «oui et pourquoi?». Et surtout «Oui et après?». Ce qui nous rappelle que la fonction RH a des contraintes et des contingences qu’on a souvent tendance à oublier lorsqu’on la voudrait plus innovante, leader et proactive.
1°) La mission première d’un département RH réside dans la paie et le recrutement. Il peut faire ce qu’il veut ensuite mais il n’a aucune marge d’erreur sur ces deux sujets (et surtout le premier). Dans la pyramide de Maslow de la fonction RH le premier niveau s’appelle paie, le second recrutement.
2°) Avoir une vision des RH de demain c’est bien mais encore faut-il le SI qui permette de faire tourner tout cela. En commençant par… la paie.
Donc logiquement le premier stade de la digitalisation des RH débute par les fondations à commencer par les fonctions vitales et l’infrastructure. Le reste viendra après mais rien n’est possible tant que cette phase n’est pas accomplie. Et migrer un SIRH hétérogène, hautement customisé vers le Cloud est un exercice de dépoussiérage et de rationalisation salutaire mais qui est tout sauf trivial.
Vers la recentralisation des RH
Un état des lieux pas aussi «vendeur» qu’on l’aimerait mais un mal nécessaire. En espérant que cette étape soit rapidement franchie afin de passer à la phase suivante.
En attendant, et second point de surprise, cette rationalisation s’accompagne d’une recentralisation là où on avait tendance ces dernières années à donner de plus en plus de marge de manœuvre au local. A contre-courant de ce qu’on a vu ces dernières années mais logique : à quoi sert de passer dans le Cloud si c’est pour ne pas profiter d’effet d’échelle? J’ajouterai également que la centralisation des outils est un faux problème qui ne permet en rien de présumer d’une perte d’agilité et d’autonomie en locale. Si la solution le permet et avec une gouvernance adéquate, centralisation des outils ne veut pas dire uniformisation des pratiques. Si on en arrive là c’est que la gouvernance a été pensée pour des outils d’aujourd’hui avec un état d’esprit d’hier…ou que le choix de la solution est mauvais.
Et puis cette recentralisation correspond également à un moment spécial où l’on pose une nouvelle infrastructure, donc le meilleur moment pour faire les choses de manière propre et rationnelle, sachant qu’avec le temps le pragmatisme et les choix d’opportunités reprendront le dessus. Comme le confiait un intervenant après sa présentation : «on a tout remis d’équerre et recentralisé mais la logique des choses est que le mouvement de décentralisation reprenne une fois la nouvelle architecture en place».
Les sujets RH émergents en panne
Si finalement tout cela n’est que logique je suis un peu déçu que la «vision» ait quitté la scène principale de HR Tech. Bien sûr les différentes «breakout sessions» regorgeaient de cas d’usage très concrets et moins orientés SI. Mais au final je pense que le tryptique vision / cas métier / technologie ne reposait plus que sur deux jambes cette année et qu’il manquait vraiment quelque chose, de quoi aider à se projeter, partager une vision, mettre la profession en mouvement.
Alors que les dernière éditions faisaient clairement état de la transformation du monde et de l’entreprise, du phénomène digital en tant que phénomène managérial, sociétal et organisationnel, rien de tel cette année. Erreur de programmation ou panne de vision Cela doit tenir un peu des deux. Mais souvenez vous de ce que j’écrivais plus haut : blâmer la programmation de la conférence est chose aisée mais lorsque vous écoutiez une grande partie des participants leur souci concret du moment était vraiment les «couches basses» de la fonction RH…même s’ils auraient aimé pouvoir se projeter un peu plus.
Des sujets pourtant plus qu’émergents comme le futur du travail ou l’expérience employé / candidat n’ont donc que rarement été mentionnées (si ce n’est pas du tout).
Serait-ce que parce que la cause est entendue et qu’il n’est plus besoin de sensibiliser sur ce point? Je pense qu’il serait présomptieux de croire que le message est entendu et compris de tous, surtout dans les directions RH.
Bref les intervenants nous expliquaient qu’ils avaient commencé quelque chose sans qu’on ait très bien compris s’ils savaient où ils allaient et s’ils savaient à quoi cela allait servir. La «Big Picture» avait oublié de monter sur la scène principale.
La vision du futur des RH serait elle chez le éditeurs?
On a assez brocardé les éditeurs RH pour leur coté old school et leur absence de vision pour reconnaitre qu’ils ont pris le virage, souvent poussés par des start-up qui venaient marcher sur leurs plates-bandes mais que chez eux aussi le train est lancé et j’ai trouvé qu’il allait vite et dans la bonne direction. Car en grattant un peu, si vous vouliez des concepts porteurs de sens, disruptifs mais incarnant ce que les RH seront dans 3 à 5 ans c’est chez eux qu’il fallait aller.
Il y a encore quelques années les technologies ne semblaient pas aptes à supporter la vision des RH les plus digitalement matures. Aujourd’hui, je pense que la grande majorité n’est pas culturellement prête à tirer 100% de ce qui existe.
C’est donc chez IBM, ADP ou encore Talentsoft que j’ai été valider certaines de mes convictions et j’ai trouvé avec plaisir des réflexions qui ont une vraie consistance.
Dans de prochains billets on parlera donc de la consumérisation de la fonction RH, de marketing et du futur du travail, d’expérience employé et candidat. En espérant que ces sujets remplacent la tuyauterie dans les keynotes en 2016 (25 et 26 octobres 2016 pour être plus précis).
Les technologies changent, c’est un fait, mais les cultures et pratiques RH sont révolutionnées encore davantage. Il aurait peut être été bon de donner davantage de points de repères sur ce point.
J’ai déjà une bonne nouvelle…avant même de parler de Paris en 2016, j’ai eu une très bonne discussion avec l’organisation qui m’annonçait que dès l’édition de Londres en mars prochain, les sujets liés au futur du travail et à la transformation des HR allaient retrouver une place de choix et que les keynote allaient retrouver le niveau et l’orientation qu’on leur a connu à Amsterdam. J’applaudis le retour à l' «ancien» format et vous donne rendez-vous en mars…
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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Très bon article Bertrand. Je peux vous donner un aperçu des coulisses de ce HR Tech. Parmi les 300 startups RH françaises, quasiment aucune n’était exposante ou speaker cette année.
Ayant fondé récemment Le Lab RH, qui rassemble ces acteurs, j’ai pris contact avec HR Tech pour que les startup françaises puissent avoir de la visibilité lors de l’événement. La réponse a été très simple : un mange-debout et 2 chaises pour 5 000 Euros. Sinon une entrée visiteur simple pour plusieurs centaines d’Euros. Sinon tant pis, et je cite » l’événement n’a pas besoin des startup françaises si celles-ci n’ont pas les moyens d’exposer ».
Le problème de fond ne vient pas de l’innovation RH, qui est réellement en mouvement, et sait s’approprier de nombreuses technologies ouvertes, en plus de développer des technologies spécifiques. Le problème ici vient de ces intermédiaires que sont les acteurs de l’événementiel, et dont le modèle économique devient incompatible avec le besoin du marché : ils font payer les exposants, qui sont des startup dont les budgets ne permettent pas ce type d’investissement.
Il faut donc faire connaitre ces innovations, et surtout faire comprendre aux dinosaures de l’événementiel que de nouveaux modèles économiques sont à envisager s’ils espèrent continuer à attirer des décideurs curieux.
Au plaisir d’échanger avec vous sur ces sujets d’innovation RH, où le SIRH n’est qu’une des très nombreuses briques de la partie outils, sachant qu’on parle également désormais de transformer l’organisation, la culture et les compétences. L’outil sans l’usage ne servira à rien !