Google, Apple, Nest Labs… ce que rapportent les «nouveaux brevets»
Frenchweb vous propose une série pour comprendre les enjeux des brevets des entreprises de l'Internet.
Google soutient Android et l’open source, mais est-il contre la propriété intellectuelle? Non: Google est devenu en quelques années le huitième déposant de brevets américains, et continue d’investir massivement pour élargir ses protections. C’est en fait la nature des brevets qui a totalement changé. Les brevets traditionnels protègent les technologies, les savoir-faire, les travaux des chercheurs. Les brevets nouvelle génération protègent des usages, des produits, des modèles économiques.
Cette prise de conscience a été provoquée par Apple lors de la guerre des brevets. Lorsque Steve Jobs s’est mis en colère contre Android, qu’il considérait comme un produit volé, les observateurs s’attendaient à une bataille titanesque entre plusieurs milliers de brevets, tous plus technologiques les uns que les autres. Pourtant, seuls trois brevets d’usage, apparemment dérisoires, lui ont permis de terrasser Samsung: le zoom en écartant deux doigts, le rebond lorsque la liste du carnet d’adresse arrive au bout, et le «double tap» pour zoomer. Programmables chacun en deux minutes, leur intensité technologique est nulle. En revanche, tout enfant de moins de trois ans a au moins essayé de zoomer sur les images d’un livre avec deux doigts, ce qui prouve la force de leur intensité d’usage.
Les brevets d’usage sont devenus stratégiques. Nest Labs, qui s’est rendu célèbre avec son fameux thermostat connecté, a dès sa création en 2011, investi sur la protection intellectuelle de ses inventions d’usages. «Chez Nest, ce que nous avons fait c’est mettre le paquet sur une tonne de brevets», dit son co-fondateur Tony Fadell, «c’est ce qu’il faut faire quand on veut disrupter des enjeux financiers importants.». Son brevet #841 par exemple, décrit comment un réseau de thermostats, équipés aussi de capteurs sismiques, prédit un tremblement de terre de manière statistique. Son brevet #255 décrit comment économiser l’énergie en anticipant la présence des habitants dans chaque pièce. 36 autres brevets similaires permettent de préempter un véritable territoire d’usages pour la maison connectée. Or il s’avère que ce marché, qui se chiffre en dizaine de milliards, va doubler dans les cinq prochaines années alors qu'il ne nécessite aucune expertise technologique de pointe.
Quelle stratégie adopter?
Entre Apple, Google, Microsoft et Samsung, celui qui dominera ce nouveau marché sera celui qui détiendra le meilleur portefeuille de brevets d'usage. Conséquence logique, la valorisation de Nest Labs s’est envolée à plus de 3 milliards de dollars, que le meilleur enchérisseur, Google, a donc déboursé pour s’imposer.
Les géants américains du numérique sont tous impliqués. Dans le top 10, Apple, IBM et Microsoft, dont la stratégie de propriété intellectuelle est ancienne, défendent leur rang en augmentant de 10% par an le nombre de leurs dépôts. Mais ils sont maintenant imités par les nouveaux arrivants. Depuis 4 ans, en plus de ses acquisitions, Google a multiplié par 10 ses dépôts annuels, et les progressions des Amazon, Facebook ou LinkedIn sont tout aussi impressionnantes.
La doctrine française en matière d’innovation commence à bouger. En 2015, BPIfrance, bras armé de la France pour financer l’innovation, a constaté que sa politique ne lui permettait pas de soutenir les Blablacar, La Ruche qui dit oui, Ulule ou Sculpteo. Sa nouvelle stratégie «innovation nouvelle génération» lui permet aujourd’hui de s’intéresser à l'innovation d’usage.
C'est un pas important dans la bonne direction. Quelques start-up comme Parrot ou Withings se sont engagés dans cette voie, mais les entrepreneurs français pourraient être beaucoup plus ambitieux: ils ont toujours eu le génie des nouveaux usages comme ceux de l'automobile, l'avion, la photo, le téléphone ou le cinématographe. Or le brevet est encore le meilleur moyen de valoriser ce génie face à la puissance financière et commerciale américaine. Le brevet d'usage doit donc s'inviter dans la stratégie des start-up du numérique.
Vincent Lorphelin a fondé VenturePatents.com. Cette société aide les start-up et PME innovantes à protéger leurs innovations d’usage et même leur business model grâce aux brevets. Co-Président de l’Institut de l’Iconomie, think tank de l’économie numérique, conférencier, Vincent Lorphelin est l’auteur de cinq livres dont Le Rebond économique de la France (Editions Pearson), co-écrit par 85 entrepreneurs. @VLorphelin
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