Bertrand DuperrinBUSINESSLes dernières actualités de la techLes ExpertsMARTECHTECH

6 mois avec Facebook at Work: le retour d’expérience

Facebook at Work : coup de génie ou vaste blague? Comme beaucoup c’est la question que je me posais à l’annonce du produit de Facebook destiné au monde de l’entreprise. C’est donc avec intérêt et curiosité mais également un brin de scepticisme que je l’ai accueilli dans mon quotidien au milieu de l’automne 2015. Après quelques mois, il est temps désormais de faire un retour d’expérience.

Facebook et Facebook at Work : deux environnements distincts et étanches

Je reçois un e-mail d’invitation, je m’inscris et on me propose soit de créer des identifiants spécifiques soit d’utiliser ceux de mon compte personnel. Je vais au plus simple et choisis la 2e option. Mêmes identifiants mais plateformes différentes, l’intérêt étant de pouvoir zapper de l’une à l’autre en un clic. Par contre, les deux zones sont étanches. Impossible de repartager un contenu de l’un vers l’autre. Le fan de sécurité qui sommeille en moi trouve que c’est une bonne chose, l’utilisateur mûr que je suis a quelques regrets, le consultant qui a accompagné nombre de déploiements de réseaux sociaux d’entreprise se dit, lui, que cela devrait être possible dans un sens mais pas dans l’autre. Mais Facebook doit avant tout rassurer un marché et des clients internes qui ne sont pas sa clientèle professionnelle habituelle et je comprends qu’ils aient voulu laisser le moins de prise possible aux critiques d’une DSI logiquement tatillonne sur le sujet.

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De la même manière, coté mobile, ce sont deux applications totalement distinctes pour l’utilisateur, là encore histoire de bien montrer qu’il s’agit de deux univers distincts et clos. Idem pour messenger qui dispose de son pendant «professionnel» : Work Chat. Appel vocal et vidéo sont bien sur au rendez-vous.

Facebook at Work : aucun besoin en formation ni onboarding

A quelques fonctionnalités près on est en face d’une copie confirme de l’outil que l’on connais tous, l’interface plus sombre permettant de bien se rendre compte qu’on est sur la version entreprise. En termes de personnalisation on peut changer son logo et…c’est tout. C’est à prendre ou à laisser. Bien entendu, pas de publicité sur Facebook at Work, l’outil ayant vocation a devenir payant lors de sa sortie officielle.

Coté prise en main, et c’est donc bien le point fort principal de Facebook at Work, aucune formation n’est nécessaire et rien n’a été fait de spécial pour embarquer les utilisateurs. L’outil et son fonctionnement sont connus de tous donc tout le monde est de suite en capacité de l’utiliser sans autre forme de procès. Tout au plus – dans ce cas précis – avons nous jugé utile de partager quelques principes généraux sur la création des groupes afin d’éviter que l’engouement de départ ne se traduise par une prolifération de groupes en doublon et une trop grosse dispersion des énergies.

En quelques jours l’outil est adopté. Suffisamment simple et connu pour générer une utilisation spontanée, il semble à même de rassurer les entreprises peu à l’aise avec l’effort que demande le lancement d’un réseau social d’entreprise.

Facebook at Work penche davantage vers le groupe que vers l’individu

Pas de formation ne signifie pas pour autant que tout est réglé. Ce qui compte sont les cas d’usages. Quels sont ceux que Facebook at Work peut générer spontanément ou de manière plus dirigée ?

Premier constat : si sur Facebook l’activité se passe surtout sur les profils, ici je vois que ce sont les groupes qui prennent naturellement l’ascendant. Peut être le fait de partir d’une plateforme «vide» qui pousse a rechercher l’endroit où les gens se regroupent et/ou à s’engager dans un espace qui a un objectif précis. C’est d’ailleurs quelque chose que j’avais également remarqué sur les réseaux sociaux d’entreprise plus conventionnels de manière assez systématique. Avec le temps quelques leaders pourront avoir une audience forte sur leur profil mais à la différence du réseau social grand public, le réseau social d’entreprise fonctionne davantage sur une logique d’objectif ou d’intérêt partagé. D’ailleurs il n’y a pas d’amis sur Facebook at Work : on peut suivre des gens mais la notion de demande d’amis telle qu’on la connaît a disparu de la version entreprise

Second constat, sans grande surprise non plus. Le cas d’usage spontané est la mise en mouvement d’information avec pour effet le renforcement des interactions et liens entre les utilisateurs (notamment ceux qui ne travaillent pas ensemble au quotidien). Comme son homologue grand public Facebook at Work est un outil idéal pour mettre l’information en circulation, créer du lien, voire de l’engagement.

Facebook at Work incarne la différence entre le réseau social d’entreprise et l’outil de collaboration sociale

Là je retrouve l’éternel débat des réseaux sociaux d’entreprise : une fois qu’on a mis l’information en mouvement on fait quoi? Sous entendu, comment je m’en sers pour m’organiser et collaborer dans le cadre de mon travail. Et comme le plus souvent…c’est un usage qui est loin d’être naturel et spontané.

Peut-on s’organiser? D’une certaine manière. On peut décider de créer des groupes relatifs à des projets, mais le potentiel s’avère limité. A part partager des informations sur l’avancement des choses il n’est pas possible de structurer le travail, gérer des tâches, de la connaissance voire avoir une gestion et une gouvernance fine des documents partagés. Ils sont attachés à un message, point final. Ni Wiki, ni gestionnaire de tâche, ni gestion de document ni intégration avec un quelconque outil métier….Quant à l’éditeur de texte…et bien il n’existe pas – comme dans Facebook – donc pas de possibilité de mise en forme. Difficile donc de s’en servir pour un message un peu long et construit si on veut qu’il reste lisible.

Est-ce une lacune ? Je dirai a priori non car ça n’est pas la vocation de l’outil, ça n’est ni sa nature ni sa philosophie. En tout cas aujourd’hui. Mais on reparle plus tard dans l’article.

Facebook at Work incarne à la perfection la dualité du marché entre les outils de «flux» qui mettent l’information en mouvement et créent de l’engagement et les outils dits de «collaboration sociale» qui apportent une dimension plus structurante. Les uns sont simples d’accès, les autres plus riches, complexes et leur adoption plus difficile. Les uns amènent des bénéfices «soft», les autres des bénéfices plus «hard» et tangibles. Que faut il préférer ? Mon cœur penche naturellement pour les seconds mais une entreprise peut également tenir le raisonnement suivant :

  • Les outils de collaboration sont plus riches et souvent plus complexe d’adoption
  • Leur promesse est plus élevée mais finalement rarement délivrée, en tout cas à grande échelle
  • Leur complexité d’adoption rend même difficiles des d’usages simples «à la Facebook».
  • [Ce point sera souvent sous-jacent mais jamais avoué et assumé] : on veut une technologie autoporteuse sans avoir à rien changer à coté, espérant qu’elle change les choses par elle-même.
  • Donc mieux vaut un outil qui promet peu mais tient sa promesse sans effort qu’un outil qui promet beaucoup mais demande plus d’efforts sachant que si on s’y prend mal on aura moins que peu.

 

C’est d’ailleurs à mon avis la réflexion qui a été celle de Facebook quand ils ont pensé le produit. Mieux vaut un outil simple qui adresse à la perfection les fondamentaux de la pyramide de Maslow de l’entreprise sociale, collaborative et en réseau (partager l’information, créer du lien, de l’engagement autour du partage) qu’un outil beaucoup plus complexe qui adresse les étages supérieurs sachant que finalement peu d’entreprises les ont atteint et qu’avec le temps elles finissent par savoir que cette promesse est difficile à tenir.

Bref à ce jour Facebook at Work est un formidable outil de communication sociale mais pas un outil de collaboration sociale.

Facebook at Work peut-il s’offrir le luxe de rester une île isolée?

A l’heure où j’écris, le produit n’est pas encore commercialisé dans sa version définitive. De plus, il est évident qu’il sera amené à évoluer très vite. La question est de savoir si Facebook at Work peut se permettre de rester une île isolée ou doit aller vers plus de richesses et d’intégration avec le reste du SI de l’entreprise pour remonter dans pyramide de Maslow du collaboratif.

A mon sens la réponse est indéniablement oui. L’information circule d’ailleurs selon laquelle Facebook proposerait rapidement des APIs pour aller dans ce sens.

Mais je conçois que le choix ne soit pas simple pour Facebook. Facebook at Work dispose aujourd’hui d’un avantage compétitif certain quant à son adoption sur des use-case basiques mais indispensables. En s’enrichissant, il prendrait le risque de perdre cet avantage sans pour autant être en mesure de se battre contre des Microsoft, IBM, Jive ou SAP qui maitrisent parfaitement ce territoire et à qui, de plus, un DSI aura moins de scrupules à ouvrir l’accès à ses outils métier et son ECM. Quant on connait la difficulté d’adoption de cas d’usages évolués en raison de la transformation organisationnelle et managériale qu’ils nécessitent, on peut très bien imaginer que Facebook décide que la meilleure des solutions est de rester à sa place et d’exceller sur une proposition de valeur simple plutôt que se battre pour promettre un Graal rarement atteint peu importe la technologie choisie.

Ne choisissez pas une technologie mais soyez honnêtes quant à votre ambition

Quelles conclusions tirer de tout cela à ce stade de développement du produit.

Comme je l’ai déjà écrit :  Facebook at Work est un formidable outil de communication sociale mais pas un outil de collaboration sociale. Ce qui nous rappelle qu’on ne doit pas choisir une technologie pour ce qu’elle est mais parce qu’elle convient le mieux à son ambition. En l’état actuel des choses Facebook at Work peut écraser la concurrence sur certains use-case et être beaucoup trop limité pour d’autres. Ca n’est pas l’outil qu’il faut juger mais votre besoin qu’il faut évaluer avec honnêteté et votre ambition à positionner au bon niveau.

Il outillera parfaitement certains besoins globaux ou spécifiques, conviendra à certaines fonctions plus qu’à d’autres mais ne peut être considéré comme une plateforme collaborative répondant aux besoins d’une grande entreprise.

Peut-on dès lors imaginer que la bonne réponse c’est Facebook at Work + une autre plateforme ? J’ai toujours été convaincu (APIs et standards ouverts aidant) qu’une entreprise pouvait avoir un navire amiral et une multitude de vaisseaux autour de lui, pour peu qu’ils échangent et soient inter-operables, mais dans ce cas un problème de recouvrement fonctionnel va se poser. Finalement on en revient à une question de gouvernance et d’urbanisation du SI collaboratif.

Bref une chose est certaine : Facebook at Work sera massivement adopté et utilisé là où il sera déployé. Reste à savoir pour quoi faire et mettre l’ambition au bon niveau.

En tout cas une affaire à suivre…

bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.

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2 commentaires

  1. Merci pour cet article, très intéressant sur les possibilités et les limites de l’outil

  2. Bravo à toi Bertrand pour cet article qui sort immédiatement du lot, je retrouve ton analyse fine et lucide de « l’entreprise à Gil » (private joke) – nous allons tester de façon imminente, à l’échelle de la Fondation EFFORST – avec des people plutôt avancés et exigeants dans la pyramide de Maslow du collaboratif, l’occasion de te faire un retour. Encore merci pour tes éclairages toujours aussi brillants

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