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5 minutes pour comprendre pourquoi les médias traditionnels souffrent dans la nouvelle économie

Les médias traditionnels ont un business model inadapté au digital

Le modèle économique des médias est linéaire. Il repose encore majoritairement sur la monétisation d’un média mono format et mono support – audiovisuel pour la TV, audio pour la radio, papier pour la presse et l'affichage – opérée lors de sa consultation par ceux qui en constituent l’audience:

  • soit à l’acte, via une vente au numéro
  • soit en prépayé, via un abonnement
  • soit par la publicité, via la vente aux annonceurs d’une audience type (les urbains CSP + par exemple), stable (les lecteurs et auditeurs restent fidèles dans ce modèle), achetant ou consultant en masse le média. Cette monétisation s’accompagne d’une logique de puissance.
  • via un réseau de distribution physique maîtrisé, les kiosques et autres maisons de presse qui disparaissent peu à peu de nos rues.

 

Ce modèle économique est inapplicable dans un monde numérique qui amène une convergence des médias où règnent le multi-format – texte, photo, illustration, vidéo, diagrammes interactifs – et le multi-support – Web et applications mobiles en tête :

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  • la consultation gratuite des contenus est majoritaire dans les usages
  • le nombre d’abonnés numériques est faible : les médias en ligne traitent de l’actualité en quasi temps réel. Seules la spécificité et l’exclusivité d’une information permettent de recruter des abonnés. Un média généraliste ne peut relever ce défi dans un marché de masse de niche où la demande de niche prévaut.
  • le coût de l’espace publicitaire est largement inférieur à celui des médias traditionnels depuis l’éclatement de la bulle Internet au début des années 2000. De plus, il n’y a pas d’audience type et stable sur un média. généraliste en ligne : tout dépend de la plateforme de publication et de consultation des contenus. Les actifs et les seniors consultent plus sur le Web, via l’ordinateur, parfois la tablette, les jeunes plutôt dans les applications sur mobile (smartphone) ou le Web mobile. Cela dépend aussi du bon référencement dans les moteurs de recherche qui vous permettra d’attirer plus ou moins d’internautes.
  • la multiplicité des réseaux de distribution ne permet pas de les maîtriser : vous devez vous plier aux règles mouvantes du référencement naturel chez Google en fonction de ses propres intérêts, à la fragmentation des kiosques en ligne, vous soumettre aux conditions de l’App Store d’Apple ou du Play Store d’Android, etc.

 

Les GAFA tentent d’imposer une plateformisation des médias et de leurs audiences

L’audience n’est plus monolithique, elle est mouvante, fluctuante, sans le lien de subordination lié à l’acte d’achat, mais surtout elle est fragmentée

L’audience est sur le site, mais aussi sur la page Facebook avec les fans du média qui la suivent pour s’informer, et sur Twitter pour les abonnés assoiffés d’actualité fraîche. Google, Facebook, Apple ou Snapchat ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin et tentent désormais de s’accaparer leurs audiences. Ils permettent aux lecteurs de consulter les contenus dans les meilleures conditions au sein de chacune de leurs plateformes sans les rediriger vers le média, tout comme les podcasts des radios qui sont accessibles depuis iTunes ou la TV linéaire via les applications mobiles depuis l’App Store et Play Store. Sans compter sur les box des opérateurs télécoms français qui ont entamé cette plateformisation.

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Concernant la presse en ligne, les contenus trouvés dans Google via un mobile sont désormais mis en avant dans les résultats de recherche et consultables depuis Google via son format AMP sans générer de trafic sur le site de l’éditeur. Avec Facebook Instant Articles, les lecteurs bénéficient d’un format de contenu parfaitement optimisé pour l’application mobile du réseau social. Apple promet aussi la meilleure expérience de lecture sur iPhone et iPad dans son application Apple News encore inédite en France sur le modèle de l’application Flipboard.

Finies les stratégies «site centric» d’acquisition d’audience du Web 1.0, vive les stratégies «content centric» du Web 2.0

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La notion d’audience dépasse largement celle du site propriétaire de l’éditeur désormais. Le groupe France Télévisions vient de franchir le pas en annonçant la mise au placard de son application mobile Zoom afin de se focaliser sur le développement de son offre sur les réseaux sociaux et les plateformes vidéo où se concentrent les usages de sa cible sur Internet, les 18 – 34 ans.

La plateformisation comporte un risque réel de perte d’indépendance économique pour les médias

Que reste-t-il aux éditeurs pour maîtriser autant que possible leur chiffre d’affaires et leur indépendance ? En favorisant la consultation des contenus sur leurs propres plateformes, les GAFA et autres Snapchat captent la valeur publicitaire liée aux audiences. Elles génèrent moins de trafic vers les sites, et donc de revenus publicitaires : moins de visiteurs signifie moins de pages vues et donc moins d’espaces à vendre pour l’éditeur et sa régie. Même si les plateformes acceptent que ces régies gèrent parfois la monétisation, comme Facebook Instant Articles, elles encouragent surtout les éditeurs à passer par elles pour bénéficier de formats optimisés et mieux intégrés dans l’interface, donc à priori une meilleure expérience utilisateur pour de meilleures performances. La plateforme remplace alors la régie du média et l’affaiblit encore un peu plus.

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Google, de son côté, avec ses pages AMP, a fait le choix de bloquer un certain nombre d’éléments sur les sites Web qui ralentissent les pages mobiles, à commencer par les scripts publicitaires et leurs ennemis jurés les bloqueurs de pub qui nuisent aux revenus de Google. Comme souvent, l’argument pro utilisateur est mis en avant. Les pages plus légères et plus rapides seront mieux référencées que les autres, mais derrière cela se cache encore et toujours le bénéfice que la plateforme peut en tirer : le blocage de certaines régies concurrentes et autres empêcheurs de tourner en rond, des producteurs de contenus forcés d’adopter le format de Google au risque de descendre dans les résultats et de générer moins de trafic, donc moins de revenus. Google propose de prendre en charge une gamme complète de formats d’annonces, réseaux publicitaires et technologies, en laissant toutefois la possibilité aux sites utilisant AMP HTML de choisir les réseaux de publicité, ainsi que les formats d’annonces qui ne nuisent pas à l’expérience utilisateur. Pour les autres, régime publicitaire sec.

Le risque que certains investissements publicitaires basculent vers les plateformes au détriment des médias est réel et prévisible

Il faut par conséquent que les médias redéfinissent leurs stratégies et leur business en tenant compte de ces nouveaux usages et de leur progressive désintermédiation au profit de ces plateformes qui ne produisent pas de contenus. Google News, Apple News, Facebook Instant Articles, Flipboard. Autant de services proposant donc aux internautes de consulter et rechercher de l’information en s’affranchissant des sites des médias. Mais plus que des agrégateurs, ces plateformes proposent d’effectuer un travail de curation, de sélection des contenus pouvant intéresser l’internaute à partir des différentes sources proposées par le service ou sélectionné par ses soins, de ses centres d’intérêt déclarés, de son comportement lors de la consultation, de ses réactions aux suggestions faites par la plateforme. Comment dans ces conditions établir un modèle économique viable tout en s’adaptant en permanence ?

Quelques pistes pour accompagner les médias dans leur transformation numérique

La solution réside à mon sens dans le recentrage des contenus autour d’une ligne moins généraliste pour mieux répondre à une logique de niches propre au numérique et illustrée par la longue traîne.

Le numérique substitue aux médias de masse une masse de niches

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Chaque média doit définir son audience comme une niche ou un ensemble de niches pour les plus gros, autour d’un contrat de lecture plus affinitaire et identitaire pour se différencier. Je ne parle pas d’une ligne éditoriale idéologique que la course à l’actu atomise, mais d’une idée forte comme peut l’être celle de M le magazine dont le succès a étrangement pris tout le monde de court, au point d’avoir inspiré la majorité des concurrents. Oubliées les rubriques traditionnelles, vive «Le style», «L’époque», «L’actu». Le 1 d’Eric Fottorino en est aussi un bon exemple dans l’esprit. Ce que des acteurs traditionnels nomment des ovni éditoriaux devraient plutôt les considérer comme une norme.

L’accès à l’information n’est plus un enjeu, son traitement, son analyse et sa mise en perspective dans un projet éditorial clair et différenciant, oui, toujours et plus que jamais. Le support détermine le contenu et son usage :

  • le numérique pour l’accessibilité, le temps réel et l’interaction
  • la presse papier pour le recul et la distanciation
  • la TV pour la puissance et l’expérience émotionnelle
  • la radio pour la proximité et l’affinité.

 

Dans ce contexte de plateformisation et de désintermédiation, les plateformes digitales deviennent des alliés de poids à condition de ne pas les utiliser comme des réseaux de diffusion contribuant plus ou moins au business model, mais comme des lieux vivants de réintermédiation avec les live, les posts en temps réel, l’interactivité. Chaque plateforme doit porter un traitement éditorial spécifique, des objectifs distincts, et une complémentarité avec les autres supports.

Enfin, il faut redéfinir la place et le rôle des médias dans notre société face à ces plateformes plus ou moins dominantes, et se servir d’elles. Elles ont aussi leurs limites liées à nos différences culturelles, idéologiques, morales et éthiques. Quel média français censurerait «L’Origine du Monde» de Courbet ou laisserait la libre circulation de vidéos djihadistes comme l’a fait Facebook ? Aucun (j’ose espérer).

Nicolas BariteauFondateur de The ThinkLabNicolas Bariteau est spécialisé en stratégies digitales et communication interactive. Après quelques années en tant que business developer au sein de médias pure-player (Evene.fr – Groupe Le Figaro, Rue89.com, MK2…), Nicolas a créé sa société de conseil en 2009. Formateur référent en stratégie digitale et Web marketing chez Ziggourat Formation, Nicolas intervient aussi auprès d'étudiants en master au sein de l'ESCEN.

 

Crédit photo: Fotolia, banque d'images, vecteurs et videos libres de droits
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Un commentaire

  1. Bonjour, votre article est très complet et vous avez pratiquement tout dit, mais ça serait encore mieux si vous preniez position puisque vous êtes un expert :-) Vous parlez de « risque de perte d’indépendance » à propos des articles instantanés notamment, c’est bien de le souligner, mais la question que tout le monde se pose est : est-ce suicidaire à long terme ? En ce qui concerne les mass médias français (presse, radio, télés), il me semble important de mentionner qu’ils n’ont pas une approche marketing (satisfaire un besoin) mais idéologique (propager la bonne parole) avec une offre très peu diversifiée de plus éloignée des idées qui circulent dans le « pays réel », qui conduit les esprits rétifs à se tourner vers des solutions alternatives. A mon humble avis la crise du contenant masque la crise du contenu, qui est tout aussi problématique.

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