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Luc de Brabandère: «L’Homo Informaticus ne sera jamais une machine»

Interview réalisée par l'USI, Unexpected Source of Inspiration, à retrouver sur leur blog.

Le nouveau projet de Luc de Brabandère n’a tout simplement pas d’équivalent.

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Le philosophe et mathématicien, bien connu des scènes de la conférence USI, s’est lancé dans une vaste réflexion sur l’IT mêlant math, philo et logique. Un voyage étonnant, déployé à travers une fresque évolutive.

Petit aperçu de ce qu’il nous réserve cette année, lors de sa keynote USI 2016

 

Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans cet évènement?

Le souci des organisateurs de regarder le monde de l’informatique autrement. C’est exactement mon credo !  Ma vie, c’est la créativité. Et la créativité, ce n’est pas penser autrement, c’est penser plus. C’est ce que je trouve formidable à l’USI : on pense plus. Je n’aime pas l’expression “think different”. C’est un peu juger l’autre – sous entendu, ce que vous faites n’est pas terrible !

La créativité, c’est aussi la multiplicité des langages et des points de vue.

Avec tous ces orateurs des quatre coins du monde, USI augmente la compréhension de la complexité.

Il y a deux grandes formes de pensée : la pensée logique et la pensée analogique. La pensée logique n’a pas besoin d’USI pour être travaillée. En revanche, USI propose une dose massive de pensée analogique : les speakers ne sont pas tous liés au sujet de l’informatique en lui-même. C’est un pari sur une pensée créative analogique.

J’ai beaucoup d’années de métier de conférencier, dans de nombreux séminaires. Mais il n’y en pas un comme USI. D’ailleurs, pour être tout à fait franc, je n’ai jamais demandé spontanément à parler dans aucun congrès sauf à l’USI !

J’ai moi-même fait la demande à François (ndlr : François Hisquin, fondateur de la conférence) d’y présenter mon Homo Informaticus pour la première fois. C’est un plaisir et une motivation particulière de pouvoir faire l’avant-première de mes travaux à l’USI. Et la conférence est parfaitement organisée.

 

D’où vous est venu le désir d’explorer en profondeur l’histoire des technologies et de l’informatique?

J’ai une double formation : polytechnique et la philosophie. Mais j’ai fait polytechnique sans la moindre notion de philosophie, ni donc de logique qui, pour des raisons historiques, est rattachée à la philosophie (c’est Aristote qui l’a inventée). J’ai donc eu un véritable choc en découvrant le monde de la logique, à 44 ans ! Un univers équivalent aux mathématiques, dont j’ignorais pratiquement l’existence et l’importance. L’idée de cette conférence m’est apparue parce que j’ai un pied dans la philo et un autre dans les mathématiques. L’Informaticus d’aujourd’hui n’est pas le descendant des Mathematicus, mais de la combinaison des maths et de la logique.

Dans ma conférence, il y aura énormément d’anecdotes qui montrent qu’il y a une continuité depuis les égyptiens jusqu’à aujourd’hui… et que cette histoire incroyable, c’est notre histoire. Celle du public qui est dans la salle ! Je suis heureux que mon associé Martin Saive de CartoonBase se soit embarqué avec moi dans cette aventure en la dessinant. Je fonctionne bien avec lui. Il ne connaît pas trop l’informatique et la philosophie, mais la manière dont il réagit en tant qu’artiste m’inspire toujours énormément. Et mon autre associé Thomas Doutrepont m’a aidé à écrire le texte.

Nous avons investi de manière complètement folle dans le projet ! Mais j’espère que ça va faire un malheur…

 

Votre talk se déroule au fil d’une fresque évolutive. Cette fresque fait le lien entre Platon, Leibniz, Boole, Bayes, pour ne citer qu’eux. Comment avez-vous arrêté votre choix sur ces personnages fondateurs ?

Il y a dix-sept personnages en tout, et j’ai mis beaucoup de temps à les choisir. J’ai forcément dû en éliminer… Mais ils suffisent à exprimer mon propos car ils sont bien répartis entre la philosophie, l’informatique, la logique et les mathématiques.

Mais il faut surtout montrer que les catégories, c’est fini ! Qu’aujourd’hui un mathématicien doit être philosophe, et qu’une nouvelle espèce d’individu émerge, l’Homo Informaticus, qui combine tout. Et qui doit être un humaniste.

 

Qu’avez-vous appris en faisant ces recherches? Quel impact cela a-t-il eu sur votre réflexion et sur vos prochaines recherches?

Le message derrière tout ça, c’est que l’Homo Informaticus ne sera jamais une machine. Il y aura toujours le côté humain.

Si l’intelligence artificielle devient un jour une réalité, c’est qu’on aura renoncé à utiliser la nôtre.

Mon message est toujours terriblement humaniste (et mes deux précédentes conférences l’étaient déjà). C’est toujours montrer que la machine n’est jamais qu’un résultat de l’être humain et pas l’inverse.

 

Quel personnage devrions-nous impérativement redécouvrir pour aborder au mieux cette période de transformation digitale que nous vivons?

Globalement, je trouve qu’on ne réfléchit pas assez ! Si on pouvait d’abord avoir un peu de distance, ce serait déjà une première étape.

Dans tout ce que je lis ou que je vois, il n’y a pas assez d’esprit critique. Mon premier constat est donc au-delà d’un individu : il n’y a pas assez de philosophes du numérique.

Qui, ensuite, nous devrions reprendre ? (Pause) Un petit peu de tout le monde ! C’est assez difficile d’isoler une personne en particulier. Les dix-sept figures que j’ai choisies dans ma frise valent le coup pour des raisons différentes.

S’il valait en choisir un, je prendrais Leibniz… Mais vous me faites mal là !

Leibniz, parce que c’est un optimiste, et je crois qu’on en a besoin. Deuxièmement, parce que son rêve de fusionner la logique et les maths est une ambition fabuleuse. Quand il se disputait avec quelqu’un, Leibniz disait : “Calculons !”, pour transformer la dispute en équation !

Troisièmement, pour son côté transdiciplinaire : écrivain, physicien, ambassadeur, philosophe… Il a même construit une machine à calculer !

Allez, je garde Leibniz ! Il faut un moteur d’optimisme et d’humanisme pour faire avancer les choses. Il faut savoir être transdisciplinaire, ambitieux, créatif, en contact avec la réalité…

 

À quelle période de l’histoire auriez-vous aimé vivre?

Aujourd’hui. Sans hésiter une seconde. Ou demain ! Autant j’adore l’histoire, mais je suis résolument un homme d’aujourd’hui, un homme d’entreprise. Je voudrais que les entreprises, et la technologie aussi d’ailleurs, contribuent à créer un monde meilleur.

J’ai eu beaucoup de chance : je suis un baby-boomer, je n’ai jamais connu la guerre – ce qui n’est jamais arrivé en Belgique ou en France en 3000 ans. Je suis une caricature de soixante huitard ! Et je n’ai pas envie de changer.

Tous les jours je me lève en me disant que j’ai de la chance de vivre aujourd’hui. Qu’est-ce qui va se passer, qu’est-ce que je peux faire, inventer, raconter ?

J’enseigne de plus en plus, et je vois bien que je suis dans l’Aujourd’hui. Dans l’Aujourd’hui, pour ceux qui vont faire Demain.

 

Est-ce que vous avez un souvenir d’USI, ou une anecdote, que vous aimeriez partager avec nous?

J’ai eu l’occasion de rencontrer Chris Anderson, à l’été 2008, qui venait de publier un numéro de Wired intitulé “The End of Science”. Pouvoir ne pas être d’accord avec lui, c’était unique !

Et je pense que rencontrer Yuval Harari cette année sera également un grand souvenir. J’avais dit à François après avoir lu le Sapiens D’Harari, que mon Homo Informaticus était un peu l’équivalent, en remontant moins loin…  Mais il y a cette idée là : prendre de la distance, faire des liens inattendus, et montrer que notre histoire est incroyable.

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