Le marketing du futur
Ce texte résulte d’une observation du marché des objets connectés depuis quelques années. Celui-ci présente un schisme grandissant entre les wearables et les produits destinés à la maison connectée.
La croissance des premiers est meilleure que celle des seconds. On n’ose même plus parler de “domotique”, tellement cela fait vieux jeu. Les oracles promettaient l’essor de cette domotique il y a déjà plusieurs décennies. Même Nest, la filiale des objets connectés pour la maison de Google, ne ferait pas de merveilles, d’après les récents résultats financiers publiés par Alphabet, la maison mère de Google. Quand aux smartphones, les outils personnels universels par excellence, ils écrasent toutes les autres catégories de produits, représentant plus de 40% de la dépense en équipement électronique des ménages dans le monde.
En plus des habituelles considérations de prix et de valeur d’usage, ce décalage a une explication simple, sans être simpliste : certaines offres délivrent une promesse à court terme et d’autres à long terme. Vendre un bénéfice long terme est généralement plus difficile que vendre un bénéfice court terme. CQFD. Les outils numériques générant une gratification d’usage instantanée comme les laptops, les TV, les smartphones ou les montres connectées génèrent plus d’intérêt et d’achats que les produits à gratification différée comme les thermostats intelligents.
C’est valable dans de nombreux secteurs d’activité de l’économie marchande ainsi qu’en politique. Vendre sur le long terme n’est pas du tout évident. C’est pourquoi de nombreux contournements sont employés pour nous vendre des solutions ou des idées sur le long terme.
La solution la plus courante consiste à associer un bénéfice court terme au bénéfice long terme, qu’il soit tangible, émotionnel ou même virtuel. C’est ainsi que l’on commercialiste les panneaux solaires ou les solutions d’économie d’énergie diverses : en faisant miroiter un crédit d’impôts et des économies d’énergie à terme, mesurables en général au bout d’un minimum un an, après avoir traversé les quatre saisons. La baisse des impôts à court terme fait passer la pilule d’un investissement qui ne sera rentable qu’à une échéance de plus de 10 ans. On profite de cette réduction au bout d’un an au maximum. Dans d’autres cas, la gratification à court terme relève d’une incitation sociale ou émotionnelle, comme dans la “gamification” de solutions.
Une autre solution, expéditive, consiste à rendre le produit ou le service obligatoire par la loi ! Souvent résultat d’un lobbying intense, c’est plutôt efficace. C’est le cas d’un tas de solutions qui servent à appliquer le principe de précaution : les assurances en tout genre, les détecteurs de fumée ou les barrières de protection pour les piscines ! Le bénéfice différé est la réduction de l’impact ou la prévention d’un sinistre imprévisible.
Enfin, on peut carrément déléguer à la collectivité la mutualisation de la prise en charge du futur. Cela décharge le citoyen de sa planification. C’est le cas de l’éducation, de la recherche, de la protection santé ou du financement des infrastructures de transport ou de communication, avec des modulations selon les pays dans la part qui revient aux secteurs privés et publics.
Dans ma recherche bibliographique sur le sujet, j’ai bien été en peine. On trouve pléthore de ressources sur le futur du marketing, mais quasiment rien sur le marketing du futur ! Alors, je m’y cogne ! Je vais ainsi faire le tout des astuces marketing pour vendre des solutions à bénéfice différé dans le temps.
Pourquoi vendre le long terme est plus difficile ?
Vendre sur le long terme fait appel aux capacités de raisonnement de l’Homme et de sa projection dans le futur. Vendre sur le court terme met en jeu des circuits neuronaux plus courts, plus émotionnels, plus liés au cerveau limbique. Essayez donc de vendre du long terme à un mammifère ! Genre, dresser n’importe quel animal (chien, dauphin, …) pour qu’il réalise une action immédiate, avec une récompense qui n’arrivera qu’une journée plus tard, à défaut de dans dix ans ! Vous pouvez toujours courir ! C’est évidemment lié à une question de langage, mais aussi de construction cérébrale et intellectuelle.
La majorité des citoyens et consommateurs que nous sommes est guidée par des pulsions immédiates, aussi bien en bas qu’en haut de la pyramide de Maslow : nous préférons satisfaire des besoins vitaux temps réel qu’il s’agisse de moyens de subsistance matériels (être au chaud, bien manger) ou émotionnels (être actif, être en relation avec d’autres personnes, obtenir du plaisir charnel ou intellectuel). On parle ainsi de gratification instantanée. Elle a des sources biologiques, notamment autour de l’hormone de la récompense, la dopamine, qui est générée quand on obtient ce que l’on désire.
Les nouveaux modes de consommation sur Internet et le marketing en ligne ont amplifié ce phénomène. Les smartphones en sont le plus éclatant des démonstrateurs : ils servent à obtenir nos deux doses de dopamine clés sur le court terme, l’une pour vérifier notre existence auprès des autres et de manière continue via les réseaux sociaux, et l’autre, sur notre frénésie d’achats impulsifs, comprenant la restauration et les loisirs. Le smartphone est le doudou des temps modernes, utilisé des enfants aux adultes. Ce phénomène est bien évoqué dans The Psychology of Instant Gratification and How It Will Revolutionize Your Marketing Approach.
C’est aussi la raison pour laquelle la messagerie instantanée a pris le pas sur la messagerie asynchrone traditionnelle, où l’on peut gérer son temps et ses priorités, donc le futur proche. Nous sommes dans la génération Twitter + Whatsapp + Snapchat + Instagram. Elle a remplacé la génération Wikipedia !
Je suis sidéré par exemple de ce phénomène du selfie avec les politiques, Emmanuel Macron en tête. Nombreux sont ceux qui font la queue pour les croiser, non pas pour discuter de politique économique, mais juste pour la photo. C’est consternant. Mais quelques secondes sont plus appropriées pour prendre une photo que pour refaire le monde. La photo remplace la discussion sur le fond.
Quand on vous propose d’installer une application sur votre smartphone, le bénéfice est habituellement immédiat : l’installation est rapide, sauf avec une liaison Edge. Une fois l’application lancée, elle donne généralement des résultats. Sauf si la configuration est longuette et qu’il faut attendre une activation, comme ce fut longtemps le cas lorsqu’on installait un décodeur Canal+, qui obligeait à passer par leur hotline. Avec l’amélioration constante des débits, que ce soit en fixe ou mobile, la réponse à nos pulsions est de plus en plus immédiate.
Ce phénomène de la “court-termisation” se retrouve dans les nouveaux modes de consommation : plus à l’usage qu’à la possession, de l’achat de la voiture à l’usage du covoiturage, et aussi en creux, dans la difficulté à se projeter économiquement dans le futur pour les jeunes générations. Celles-ci ont ainsi de plus en plus de mal à accéder à la propriété, au vu du prix exorbitant de l’immobilier, tout du moins dans les grandes villes. De même, l’emploi à long terme n’existe plus. Une bonne part des contrats de travail proposés aux jeunes sont des CDD, quand ce n’est pas pire (stages, contrats de qualification).
La vie des couples a aussi évolué vers le court-termisme. Au 20ième siècle ou avant, le mariage était une décision long terme, parfois arrangée. Il fallait faire avec. Une erreur de choix et cela pouvait se traduire en décennies de souffrances. Avec l’augmentation du taux de divorces ou avec le PACS, les couples planifient moins sur le long terme. On peut changer facilement de partenaire. Le taux de divorce a aussi augmenté avec un pic se situant dans les 4 à 6 années après le mariage (source). Entre 1960 et 2014, le taux de nuptialité (mariages) a été divisé par deux (source). Si le nombre des divorces est en léger tassement depuis une dizaine d’année, il ne l’est pas en proportion du nombre des mariages qui baissent plus vite. Ces 10 dernières années, on est passé de la génération “Meetic” à la génération “Tinder”, avec un raccourcissement des cycles dans les relations sexuelles et amoureuses.
Bref, convaincre quelqu’un d’investir du temps et de l’argent pour obtenir un bénéfice qui se manifeste dans un futur lointain est devenu une sacrée paire de manche. Il faut faire appel à du raisonnement, souvent à du calcul, à de la patience et jouer sur les émotions. C’est évidemment possible, mais plus difficile que de répondre à ses pulsions immédiates.
A contrario, les emprunts et autres crédits à la consommation permettent d’obtenir un bénéfice immédiat lié à l’acquisition d’un bien tandis que la douleur du paiement est différée. C’est plus facile à vendre, notamment pour le financement d’achats d’impulsion.
Les solutions vendues sous forme d’abonnement sont entre les deux : le coût de la solution est étalé dans le temps, au gré de sa consommation. C’est ainsi que sont financées les box des opérateurs télécoms ou de TV payante. Le bénéfice est immédiat et le coût est à peu près proportionnel au temps de disponibilité du service fourni, d’accès à Internet et à des contenus divers. Nous n’y sommes pas encore, mais un nombre croissant de solutions d’objets connectés, surtout celles qui sont liées à la consommation d’énergie, qui seront intégrées dans des offres de ce genre, promues pourquoi pas par les opérateurs de haut débit fixe.
Etudes de cas commerciales
Vendre sur le long terme est cependant tout à fait possible. C’est une pratique courante dans la prévention des risques, dans la santé, dans l’équipement des foyers et dans la consommation d’énergie. Je vais m’attarder ici sur quelques études de cas classiques et inventorier les astuces marketing et psychologiques qui sont employées pour réussir la vente.
Les panneaux solaires photovoltaïques
Leur amortissement financier est réalisé au bout de 10 à 20 ans selon les modes de calcul. Ils ne couvrent généralement pas la totalité des besoins en électricité, ne serait-ce que par le caractère intermittent de leur production. On peut les compléter de batteries, comme les Tesla Powerwall. Ces dernières ont été annoncées en mai 2015 et n’étaient toujours pas disponibles en mai 2016.
Comment vend-on ce genre de produit ? On joue à la fois sur la valeur émotionnelle – réduire la consommation d’énergies fossiles / sauver la planète – tout et en réduisant la durée d’amortissement financière de l’investissement via des crédits ou exonérations d’impôts. Il existe de telles exonérations dans 38 états aux USA. Même la TVA y est réduite. Il existait un crédit d’impôts en France pour l’équipement en solaire PV mais il a été supprimé en 2014. L’autre paramètre d’amortissement est le tarif de rachat par les utilities de l’électricité produite et réinjectée dans le “grid”. Ce tarif est en baisse constante, rendant les prévisions plus complexes. En France, les changements intervenus autour de 2014 ont en tout cas ralenti la progression du solaire dans les foyers.
Les thermostats intelligents
Ils servent à réduire sa consommation d’énergie. Le confort apporté ? Il est secondaire et difficile à évaluer car les thermostats existants savent déjà maintenir une bonne température de confort dans les logements. La promesse d’économie d’énergie avancée est de l’ordre de 15% à 30% et elle dépend de pas mal de variables comme le taux d’occupation du logement. Si vous êtes toujours présent, votre thermostat ne vous fera pas faire beaucoup d’économies. Si vous êtes présent de manière intermittente et avec des absences qui vont au-delà de la journée, les économies pourront être substantielles. A contrario, si vous êtes dans un immeuble à chauffage collectif, un thermostat intelligent ne servira pas à grand chose !
Ici, dans les recettes marketing, nous n’avons pas d’avantage fiscal au programme. Les constructeurs jouent sur le design, comme chez Nest, ou sur l’intelligence du logiciel de gestion, qui tient compte des habitudes des habitants. Le produit a une valeur émotionnelle de statut. Mais un thermostat chez soi est moins visible qu’un produit que l’on porte sur soi, comme une montre connectée ou un smartphone. Faute d’apporter un bénéfice visible, mesurable et immédiat, les ventes de ce genre de produit ne progressent pas autant que ceux qui eux, les apportent.
Les outils de suivi de maladies chroniques comme le diabète
C’est un autre cas typique de bénéfice différé. Ce genre de pathologie ne produit des effets dégénératifs qu’au bout de plusieurs années, lorsque le suivi n’est pas bon. De nombreuses solutions numérique existent qui servent à mieux suivre son état, notamment la glycémie dans le sang, mais aussi d’autres paramètres tels que la tension ou le bilan sanguin lipidique et de les réguler en agissant sur les paramètres de l’alimentation et de l’activité physique.
Ces solutions font face à un paradoxe marketing complexe : les patients qui se suivent le moins bien sont ceux qui sont les plus susceptibles de souffrir à long terme. Ils font donc partie du marché cible des patients à convaincre de changer de comportement. Mais ce sont ceux qui procrastinent le plus de ce côté-là.
La méthode de vente adoptée est donc plutôt celle de l’autorité, du médecin généraliste ou du spécialiste, et de la prise en charge du coût de la solution par les régimes de protection santé. On peut aussi marquer les esprits des patients en leur expliquant et leur montrant ce qui arrive si on se suit mal. Genre, amputation des pieds ou des mains, ou devenir aveugle. Cela peut générer un changement de comportement qui dépend de l’âge. Quand on est jeune, on se soucie peu du futur et du temps qui passe, qui semble éternel. Plus les années passent, plus on perçoit cette finitude de la vie. On essaye alors de la faire perdurer le plus possible tout du moins quand la vie n’est pas trop désagréable. Et parfois, il est un peu trop tard pour se réveiller.
Le brossage des dents
Il relève d’un besoin voisin de celui des maladies chroniques : il vaut mieux se laver régulièrement les dents pour éviter les maladies buco-dentaires. Dans le monde, le taux de pénétration des brosses à dents est parait-il inférieur à celui des smartphones ! Cela illustre parfaitement la loi évoquée dans cet article : on privilégie le court terme sur le long terme et ce n’est pas qu’une question de pouvoir d’achat ou de temps.
Alors comment s’y prend-on pour pousser les gens à se brosser les dents régulièrement – en théorie trois fois par jour et en pratique une fois par jour avant de se coucher ? Cela commence par l’éducation, les habitudes et l’exemplarité des parents. Ensuite, la mémoire épisodique du passage chez le dentiste est une bonne incitation.
Avec les brosses à dents connectées qui sont apparues il y a quelques années comme celles du français Kolibree s’est ajoutée une nouvelle dimension critique : la “gamification”. La brosse à dents est associée à une application mobile qui occupe l’enfant pendant qu’il se brosse à dent, avec une animation d’un animal qui se brosse les dents de manière synchrone. L’application peut aussi créer une émulation entre enfants pour indiquer celui qui gagne la course en se brossant les dents de manière la plus régulière et au moins pendant les trois minutes réglementaires. Cf ci-dessous le cas du français Kolibree qui s’est associé à l’éditeur Ubisoft pour proposer une application des Lapins Crétins pour ses brosses à dents connectées.
Ce principe de la gamification et de la sociabilisation d’usages dans les objets connectés est courant. Il avait démarré vers 2009 lorsque les premiers pèse-personnes connectés sont apparus. Ils permettaient d’envoyer son poids à ses amis sur Twitter. C’était évidemment amusant la première fois mais totalement inacceptable ensuite, surtout si l’ensemble de ses amis se mettait à adopter cette pratique. Cette solution de la gamification est aussi utilisée dans certaines applications d’évaluation de la consommation d’énergie des foyers, qui est comparée à celle des voisins et indique les brebis galeuses trop consommatrices. Cela incite à rentrer dans le droit chemin d’une consommation dans la moyenne. Cela joue sur le besoin d’être dans la norme et la conformité d’une bonne part des foyers. Les psychopathes qui n’en ont rien à faire sont hors champs et il faut trouver autre chose pour eux !
Décider d’arrêter de fumer
Histoire d’éviter d’attraper le cancer du poumon à 50 ans, on peut aussi décider de ne pas commencer à fumer ou de s’arrêter. C’est le même problème qu’avec l’alcool et la cirrhose du foie.
On n’est pas très loin du scénario de l’observance dans le cas du diabétique : fumer ou boire procure du plaisir à court terme mais hypothèque le futur au même titre qu’un diabétique qui mange trop sucré va augmenter sa glycémie et user son organisme sur le long terme. Comment agir ?
L’Etat le fait en augmentant le prix des paquets de cigarette, avec leur marquage et avec des campagnes d’information. C’est encore une question d’éducation. Elle se heurte au poids social de la consommation de tabac : cette consommation démarre souvent pour favoriser l’intégration dans un groupe social : à l’école ou avec les collègues amis. La pression sociale est plus forte que la crainte d’être malade à long terme. Cela peut se calmer lorsque les fumeurs ont des enfants, et encore.
Les garanties étendues de produits techniques
Elles relèvent d’une vente d’un service couvrant un risque futur. Le taux de panne des produits entre leur seconde et troisième année d’existence est faible. Le risque est plus fort d’avoir une panne la première année et au-delà de quatre à cinq ans d’usage.
La recette pour vendre ? Jouer sur la peur de la panne et la peur de perdre du temps en cas de panne. Les consommateurs ne connaissent généralement tous les statistiques des appareils achetés, surtout lorsqu’ils sont nouveaux sur le marché qui n’a donc pas de recul pour les évaluer. C’est un marché non transparent où le consommateur manque d’information pour choisir en connaissance de cause d’acheter ou pas cette fameuse garantie étendue.
L’obsolescence programmée est souvent dénoncée par les associations de consommateurs. Il est vrai que certains produits manufacturés peuvent avoir tendance à vieillir plus rapidement que ceux des générations précédentes. C’est parfois lié à la baisse de leur prix et à des conceptions qui sont moins couteuses donc moins durables. Le choix des matériaux joue aussi un rôle, comme lorsque le métal est remplacé par du plastique.
L’obsolescence programmée s’inscrit plutôt assez bien dans cette dichotomie entre présent et futur. Le consommateur lambda sera souvent prêt à sacrifier le futur (durabilité du produit) à la possibilité de se le procurer plus rapidement car il sera moins cher (en épargnant moins, par exemple). C’est surtout valable pour les produits dont la technologie évolue très rapidement. Ce fut les cas des PC dans les années 80 et 90, puis des smartphones jusqu’à présent.
Les assurances
Elles ne génèrent par un bénéfice “positif” sur un long terme mesurable mais permettent de limiter les effets néfastes d’un sinistre dont la survenue est incertaine. C’est la protection contre l’adversité. Les contrats d’assurance sont difficiles à comparer, notamment dans les clauses cachées ou incompréhensibles ou pour les formalités et délais de remboursements.
La solution pour vendre les assurances est simple : les rendre obligatoires, en tout cas, pour le logement et l’automobile ! C’est dans la loi depuis longtemps. On est obligé de passer à la caisse. On a encore le choix du fournisseur, mais ils sont difficiles à comparer. L’autre approche consiste à bien mailler le territoire avec des agents d’assurances et des points de vente. La vente directe et jouer sur l’émotionnel restent très efficaces.
Les solutions de sécurité physique ou immatérielle
Elles relèvent aussi de la gestion du risque sur un terme incertain. Les caméras de surveillance se vendent comme des petits pains depuis au moins une demi-douzaine d’années. C’est notamment lié à la baisse drastique de leur prix. Et surtout, elles permettent de se rassurer en temps réel. Les alarmes traditionnelles ne sonnent qu’en cas de détection d’intrusion, parfois avec de faux positifs.
Les caméras de surveillance peuvent être enclenchées à distance avec son mobile n’importe quand. Elles permettent de savoir ce qui se passe chez soi, par exemple au niveau de l’activité des enfants voire des animaux domestiques. En quelque sorte, les nouveaux systèmes de surveillance ont créé des bénéfices à court terme complétant des bénéfices à long terme incertains. C’est bien vu.
C’est le passage de la loi de la yaourtière (produit utilisé une seule fois et rangé au placard) vers celle de la brosse à dent (produit utilisé fréquemment).
L’épargne, retraites et assurances décès
Ce sont tous des sujets où le long terme l’emporte sur le court terme. On épargne pour préparer le futur : sa retraite, une acquisition ou un projet. Le taux d’épargne des ménages témoigne de leur propension à s’inscrire dans le futur. Les ménages qui épargnent le plus sont ceux qui en ont la capacité financière. La moitié des ménages français peut à peine épargner car leurs revenus permettent tout juste de subvenir à leurs besoins de base. Les épargnants sont donc en dominante les CSP et CSP+ du marché. On peut prévoir le futur quand on en a les moyens. C’est presque devenu un luxe.
L’accès à la propriété dans l’immobilier est un moyen de s’inscrire dans le futur mais en même temps, il a tendance à l’oblitérer en limitant la mobilité géographique. Etre mobile, c’est aussi s’adapter au futur. Donc, paradoxalement, en étant propriétaire après avoir épargné et emprunté est un moyen de se fermer aux opportunités du futur, notamment dans l’emploi ou le mode de vie. Tout du moins, il freine la mobilité géographique. En Allemagne, les foyers sont moins souvent propriétaires de leur logement qu’en France. Les loyers sont plus raisonnables. Il n’y a pas d’inflation immobilière. C’est aussi lié à une démographie en berne, même en intégrant les migrants. La conséquence est une mobilité géographique en théorie meilleure entre les Länders.
L’assurance décès est le cas d’anticipation du futur le plus avancé dans notre société : il le prépare après son au-delà ! On s’en préoccupe généralement tardivement dans le cours de sa vie. C’est aussi l’objet de la start-up Future Memory qui propose aux séniors d’enregistrer leurs souvenirs, volontés et patrimoine intellectuel pour les rendre disponibles – le moment venu et choisi – à leur descendance.
L’éducation
L’éducation à tous les niveaux, de l’école primaire à l’enseignement supérieur est un investissement très long terme pour les élèves, les parents et la collectivité. Ce n’est pas par hasard s’il est mutualisé dans un grand nombre de pays comme en France, avec un enseignement public et gratuit, y compris dans les filières de l’enseignement supérieur (Universités et Ecoles d’ingénieurs). S’il n’était pas mutualisé, les foyers les plus pauvres auraient accès à moins d’éducation car ils privilégieraient le présent au détriment du futur des enfants, au même titre que les enfants travaillaient dans les champs ou que les enfants des Roms n’ont pas le droit par leurs parents d’aller à l’école.
Il en va de même des conséquences de certaines formules du mythique “Revenu de base inconditionnel” (RBI), poudre de perlimpinpin des processus de redistribution. Ce revenu de base indifférencié est brandi comme une solution à la fois au chômage endémique et à la robotisation rampante de nombreux métiers. La question de son financement est évidemment balayée d’un revers de main par ses promoteurs. Il suffit de piocher dans les poches de charges sociales qui représentent plus de la moitié des recettes du secteur public et/ou de réallouer les allocations existantes (logement, famille, chômage). Libre ensuite aux foyers de se débrouiller dans le privé pour obtenir les prestations équivalentes, notamment dans la protection santé. Et ne parlons pas des retraites !
Les promoteurs de ce revenu de base ne se rendent pas compte qu’ils font parfois l’apologie d’un système à l’américaine où la protection santé et l’éducation dépendent beaucoup plus que chez nous du secteur privé avec des conséquences généralement très négatives pour les foyers les plus fragiles. Donc, pour peaufiner cette idée, il faudrait s’assurer que ce qui relève de la mutualisation et du long terme restent dans le secteur public et ne sont pas transférés à la charge des foyers qui devraient arbitrer dans leurs maigres revenus issus du RBI.
Et comment encourage-t-on les entreprises à former leurs salariés ? Encore et toujours par la loi et la fiscalité, avec le 1% formation. C’est la loi qui les oblige à se préoccuper du futur. Si elle n’était pas là, elles s’en préoccuperaient moins.
Reste ensuite à équilibrer les apprentissages fondamentaux, la créativité, les activités sportives et l’apprentissage de la vie sociale. Qu’est-ce qui prépare le mieux au futur ? C’est un débat toujours très ouvert. On sait qu’il faut donner envie d’apprendre et de créer pour générer des adultes épanouis. Pas juste apprendre par cœur des dogmes. La meilleure assurance pour se préparer au futur est de rester curieux toute sa vie et de développer des capacités d’apprentissage et de remise en cause. Le savoir être est évidemment tout aussi nécessaire. L’enjeu est de taille, et il faudra bosser dur, surtout si, comme Laurent Alexandre le prédit, on ne servira à rien si on a un QI inférieur à 150 (certes, en 2050) !
Préparer le futur, c’est aussi tenir compte du galopant syndrome de l’ADD des enfants (Attention Deficit Disorder, ou DTA). Il faut leur apprendre à se concentrer. Le multi-tâches est un mythe qui sert de cache sexe à l’ADD. Préparer le futur, c’est aussi apprendre à se concentrer !
La recherche
La recherche est une activité résolument tournée vers le long terme. C’est l’une des raisons pour laquelle sont financement est grandement mutualisé au niveau des états. Pour le Téléthon / Généthon ou la recherche dans le cancer ou le SIDA, ou le cancer, le financement peut être directement issu du public, en mode “crowdfunding”. Mais l’essentiel du financement vient du budget de l’Etat.
Le Crédit Impôt Recherche et les contrats CIFRE complètent le dispositif pour inciter les entreprises à faire un tant soi peu de R&D, et surtout du D ! C’est à peu près pareil aux USA, même si les financements de la R&D relèvent d’une approche contractuelle un peu plus vertueuse, contrôlée pour moitié par la commande publique du Pentagone et des services de renseignement.
Ventes aux entreprises
La vente de solutions aux entreprises est assez différente de la vente aux particuliers. Le bénéfice pratique de la majorité des solutions est souvent différé. On applique la notion coût total de possession d’une solution, notamment information, de retour sur investissement, qui est rarement instantané. Il est obtenu en général entre une à plusieurs années après l’investissement dans un nouvel outil de production, quel qu’il soit : d’une solution pour le recrutement à une machine outil en passant par n’importe quelle technologie. La mesure objective du TCO n’est d’ailleurs pas évidente.
Comment vendre aux entreprises ? Cela passe d’abord par des cycles de vente qui sont très longs, par des vérifications progressives des bénéfices de la solution avec le fameux “proof of concept” que les start-ups connaissent bien. Cela peut aussi faire intervenir une réduction des coûts perçus de lancement de la solution et par l’impact que cela pourra apporter en termes de communication interne et externe.
La vente aux entreprises s’appuie aussi beaucoup sur le registre de l’émotionnel, en tirant notamment parti des “péchés capitaux” comme la paresse ou l’envie, avec l’artifice puissant des références clients. Je m’étais déjà penché sur cette question dans Les péchés capitaux dans le marketing et la vente en 2011 !
Le monde du numérique n’est pas avare de la vente conjuguée au futur, de manière souvent involontaire. La mode est aux Blockchains dont les bénéfices mis en avant sont parfois un peu exagéré et qui ne pourront se concrétiser que lorsque leur usage sera généralisé à grande échelle. Les startups dans les objets connectés promettent aussi de sortir leur produit à trois ou six mois, la réalité dépassant souvent deux ans.
L’investissement dans l’innovation
C’est l’un des rares cas bien établis où l’on prépare le futur. Ce va de l’investissement des Etats et des grandes entreprises dans la R&D au financement des startups via les business angels et fonds d’investissement en capital. Les aides et financements publics complètent le privé, surtout en Europe.
Tout est misé sur un futur plus ou moins lointain et très hypothétique. Le plus long terme est censé être géré par les Etats, qui compensent les déficiences des marchés en finançant la recherche fondamentale. Le moyen terme l’est par l’investissement privé. Une société de capital risque (Venture Capital) investit dans une startup dans le cadre d’un fonds qui devra être clos à un horizon de 7 à 10 ans maximum. Le risque est alors mitigé en répartissant les investissements sur plusieurs projets.
Comment encourager les foyers à investir dans le futur alors qu’il est plus risqué que dans le présent ou dans des actions du CAC 40 ? Jusqu’à présent, cela passait beaucoup par la fiscalité. Les exonérations d’impôt sur le revenu et d’ISF sont là pour encourager les particuliers à investir dans le futur. La baisse des taux d’intérêt et les faibles rendements de classes d’actifs traditionnelles, pierre comprise, ont contribué à augmenter la manne des investissements dans le capital risque. La médiocrité du présent à poussé les investisseurs à plus s’intéresser à l’avenir !
Vendre le long terme en démocratie
La politique est le lieu du conflit permanent entre le court terme et le long terme. Et le court terme gagne presque tout le temps ! Nous sommes dans un monde où l’on a de plus en plus de mal à se projeter dans l’avenir. La pensée simpliste prend le dessus et en général, elle est court-termiste.
La démagogie consiste à promettre monts et merveilles à court terme en caressant l’opinion dans le sens du poil, mais en faisant fi de l’avenir et de ses contraintes. Le courage politique consiste soit à dire les choses plus crument (“blood, sweat and tears” de Churchill) soit à carrément aller dans une direction contraire à l’orientation de l’opinion (De Gaulle et l’Algérie française en 1962, Mitterrand avec l’abolition de la peine de mort et même François Hollande, qui applique maladroitement une politique économique pour laquelle il n’a pas été élu).
En France, les politiques de gauche comme de droite ont généralement tendance à hypothéquer le futur en lâchant du lest au présent. La dette en est l’exemple le plus éloquent même si c’est loin d’être une spécialité française. On hypothèque le futur en ne faisant que repousser à plus tard une épée de Damoclès financière à côté de laquelle la crise financière de 2008 était une sinécure. On dépense aujourd’hui, certes parfois pour la bonne cause, et en aggravant une situation future que l’on ne maitrise pas du tout. On présage donc d’un avenir où l’on sera capable de se serrer la ceinture d’une manière ou d’une autre, comme si on arrêtait tout pendant un an ou plutôt, comme si on travaillait quasiment au double pendant plusieurs années. Et encore, cela ne serait possible qu’en améliorant la balance du commerce extérieur, pas juste avec des transferts économiques internes !
Ce fut aussi le cas de la réforme des retraites de 2013 qui est passée, mais au prix de nombreuses concessions, notamment aux fonctionnaires et syndicats. Résultat : la réforme n’a pas véritablement amélioré les comptes des régimes de retraite contrairement à ce qui était promis.
C’est encore vrai avec l’actuel fiasco de la fameuse loi El Khomri. Cette loi est censée moderniser le marché du travail, et donc fluidifier l’emploi dans un avenir plus ou moins proche au prix de quelques concessions sur les droits des salariés comme le plafonnement des indemnités aux prudhommes (qui n’est plus qu’un plafonnement recommandé dans le dernier texte). La pilule, légère ou acidulée est plus que difficile à faire passer, avec ou sans concertation. Surtout avec la culture économique abyssale du pays, de ses élites politiques et de ses syndicats.
Faire passer des changements législatifs qui sont en apparence défavorables sur le court terme en promettant un marché de l’emploi débloqué sur le moyen terme n’est pas encore un acquis en France. D’autres pays ont réussi à le faire, comme en Allemagne (réformes Schroeder) ou au Canada (au début des années 1990). Dans de nombreux cas, au risque de perdre les élections comme ce fut le cas de Schroeder.
Ce décalage entre perception de justice au présent et écueils au futur est évident dans le cas des changements, tels l’apparition de l’ISF, qui ont fait fuir de France de nombreuses grandes fortunes. Cette fuite des portes-feuille a été complétée par celle des cerveaux, eux-aussi prometteurs pour le futur. C’est inefficace sur le long terme car cela appauvri le pays, mais c’est perçu comme juste sur le court terme car répartissant la richesse, les revenus et les patrimoines au profit des moins favorisés.
C’est aussi la conséquence d’un principe bien connu en physique : celui de l’osmose. Si vous mettez de l’eau salée ou sucrée dans un bassin et de l’eau pure dans un autre bassin et que vous les reliez entre eux, au bout d’un certain temps, le sel ou le sucre (ou n’importe quoi) d’un des bassins ira dans l’autre. Le sel et le sucre, ce sont les richesses et les compétences. Si le monde est plus attirant ailleurs, les richesses et les compétences se déplacent naturellement. Ne pas tenir compte de cet élémentaire principe physique revient à considérer que le monde est parfaitement homogène ou que l’on ne peut pas y circuler librement.
Finalement, les très bons politiques sont ceux qui arrivent à la fois à se faire élire et à vendre du rêve et du futur, quitte à rendre la vie des gens plus difficile au présent pour mieux préparer le futur. Les politiques d’aujourd’hui n’arrivent plus à jouer ce rôle car ils ne vendent même plus de rêve. C’est la fin des idéologies d’un “jour meilleur”.
Dans le meilleur des cas, ils vendent le statu quo voire le retour en arrière, comme le FN qui prône le retour au Franc, la sortie de l’Europe et un protectionnisme d’un autre âge. Le rêve est devenu la denrée rare, surtout en Occident. Dès que la croissance économique patine, il s’éloigne. Le rêve d’aujourd’hui revient finalement à trouver les conditions de la survie : celle de chacun, égoïstement, ou de celle de l’humanité dans son ensemble. La méfiance généralisée envers les sciences et les progrès technologiques réduit encore plus les espoirs potentiels.
On a vu qu’il était du ressort des Etats de se préoccuper du long terme. La loi et surtout la fiscalité encouragent le secteur privé, des foyers aux entreprises, à s’investir dans le futur. Or le bas blesse car les politiques ont de plus en plus de mal à s’intéresser au futur. Ce n’est pas seulement de leur fait. C’est une évolution de la société que de se préoccuper plus de l’instant présent et de refuser de s’intéresser au futur.
La difficulté du politique et des citoyens vient aussi de ce que le présent et le futur sont de plus en plus complexes à appréhender. Le ralentissement de la croissance en Chine affecte le marché des matières premières qui affaiblit en retour l’économie de pays comme ceux d’Amérique Latine. Par ricochet, cela affecte les pays avoisinants et même l’Europe. L’évolution en yoyo des prix du pétrole a d’autres impacts imprévisibles, liés au conflit larvé entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, qui se manifeste aussi dans la situation en Syrie et en Iraq. Etc. La politique internationale est l’un des sujets politiques les plus complexes qu’une discussion de café du commerce ne pourra jamais traiter convenablement.
Le principe même de la démocratie représentative est une forme de mutualisation de la vision du futur et de la création de politiques un tant soi peu cohérentes. La démocratie représentative s’appuie sur une administration qui incarne la durée encore plus que les politiques. Les politiques et les administrations sont souvent décriés mais c’est un mal pour un bien. Si le fonctionnement d’un pays était sans arrêt soumis aux soubresauts court-termistes de l’opinion, ce que l’on reproche aujourd’hui aux politiques serait encore pire dans les faits.
Panorama des bonnes pratiques pour conjuguer le marketing au futur
Nous avons fait au début de cet article un petit tour des pratiques utilisées pour vendre des solutions dont le bénéfice se manifeste sur le long terme.
En résumé, ces pratiques s’articulent autour des volets suivants :
-
Ajouter des bénéfices tangibles se manifestant sur le court terme en complément des bénéfices long terme. C’est notamment le rôle de la fiscalité.
- Réduire la douleur financière de la solution. La fiscalité est également sollicité comme pour l’investissement et les économies d’énergie. C’est aussi le rôle du leasing dans le cas de l’équipement des entreprises.
- Jouer sur l’émotionnel, qui est une autre valeur court terme. Cela fonctionne en grossissant les risques de la non action : comme dans les garanties prolongées ou les assurances ou le suivi des maladies chroniques.
- Intégrer de la gamification et de la socialisation dans la solution, comme dans les jeux associés aux brosses à dents connectées ou la comparaison entre foyers pour les sensibiliser aux économies d’énergie.
- Réduire la lourdeur de la mise en place de la solution. Cela passe par de bons processus d’installation. Il faut éviter de faire perdre de temps au présent car il se fait rare !
- Il faut aussi réenchanter le futur dans le discours politique, réintégrer les sciences et la technologie dans la construction d’un monde meilleur. Investir dans la connaissance, l’éducation, la créativité et l’innovation. La mode actuelle de l’entrepreneuriat sert à cela. Elle permet de faire rêver les jeunes et les moins jeunes !
Il n’y a pas de solution miracle. Dans chaque business, il faut trouver une combinaison optimale de ces composantes et d’autres que j’ai pu oublier, puis tâtonner, et, enfin, arriver à vendre. Le marché des objets connectés qui est relativement jeune est un excellent terrain d’expérimentation et d’observation de ce point de vue-là. Nous aurons surement l’occasion de revenir sur ce sujet, au plus tard, dans le Rapport du CES 2017 !
Article initialement publié sur le blog Opinions Libres.
Olivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.
Crédit photo: Fotolia, banque d'images, vecteurs et videos libres de droits
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023