Intelligence artificielle: votre assistant personnel n’est pas bête, il est mal conçu
Malgré les avancées incontestables des géants Google, Apple, Facebook ou Amazon, les fonctions offertes par les nouvelles «voix artificielles» et autres chatbots semblent encore loin de nos usages conversationnels quotidiens. Le faible taux d’utilisation des assistants vocaux tels que Siri, Google Now ou Cortana en est une illustration probante.
Les assistants personnels sont-ils condamnés à être déceptifs ? Que manque-t-il pour que ces nouvelles formes d’intelligence artificielle soient au point ? Quels seraient les leviers pour fluidifier les interactions avec les utilisateurs ?
La recherche en design émotionnel a montré que l’expérience utilisateur se fragmente en un amas de micro-moments décisifs. Un arrière-plan qui change de couleur, une fonctionnalité qui permet de répondre à un message sans changer de page, un favicon évolutif donnant la possibilité de suivre le statut d’une page depuis un onglet, un bouton qui s’agrandit à partir d’une heure tardive… Les micro-moments sont les détails visibles ou invisibles d’une expérience utilisateur qui créent de la surprise et décuplent notre attachement à une marque. Pour le designer Dan Saffer, ces micro-détails, au-delà des grandes fonctionnalités, permettent de créer de «l’empathie artificielle» pour des objets, des marques ou des services.
Si on applique ce principe à l’intelligence artificielle, plusieurs types d’interaction mériteraient d’être affinés. En voici trois qui paraissent incontournables.
1. La question du rythme
Le temps est crucial dans la gestion d’une expérience utilisateur. De nombreuses études montrent que les consommateurs se connectent plus souvent avec leurs smartphones, mais que leurs visites sont de plus en plus brèves. Pour des besoins très immédiats tels qu’acheter, communiquer, apprendre, trouver ou faire, la gestion du temps de réponse de l’intelligence artificielle a été travaillée, mais celle de la nuance a été oubliée.
Avec des réponses rapides mais inadéquates, une parole coupée au milieu d’une dictée et des messages à moitié saisis, Siri ne semble pas «être à l’écoute» des utilisateurs. Or, comme dans le langage, la question du rythme, propre à chacun et différente en fonction de chaque culture, est essentielle pour communiquer.
Sur des interfaces digitales, des systèmes de visualisation simples existent pour signifier le temps, tels que les barres de progression, les boucles de chargement ou les signaux sonores. Il pourrait être intéressant de transférer ces codes sonores et visuels pour mieux gérer les espaces du dialogue avec les voix artificielles. Pourquoi ne pas proposer à l’utilisateur de délimiter lui-même ses espaces temps, lors de la dictée d’un mail ou d’un SMS ou lorsqu’il pose une question ?
2. Des principes d’interaction clairs et intuitifs
Nous avons besoin de comprendre rapidement les possibilités d’interaction que l’on peut avoir avec une machine ou un objet. Don Norman, auteur de The Design of Everyday Things, parle «d’affordance» pour désigner cette capacité d’un objet ou d’une interface à suggérer sa propre utilisation.
Pour l’intelligence artificielle, cette lisibilité reste encore floue. Il est facile d’entamer une conversation avec un robot mais il est compliqué de comprendre ses modalités de compréhension et son périmètre d’action réel. Faut-il utiliser des phrases ou des mots-clés ? Est-il plus efficace d’écrire en majuscule ? Doit-on lui parler anglais ?
Une journaliste de Rue89 en a fait par exemple l’expérience sur HealthTap, un chatbot mi-robot mi-médecin, en déclarant être «excitée par les chaussures». Le programme l’a automatiquement redigirée vers des réponses sur des odeurs de pieds. Ce tâtonnement est mauvais signe pour l’utilisateur, qui peut rapidement s’agacer et abandonner.
Pourquoi ne pas clairement énoncer les principes de fonctionnement du chatbot, en début ou au fil de la conversation, plutôt que de camoufler ses incompétences ?
3. L’auto-apprentissage
Pour le psychiatre Serge Tisseron qui travaille sur les mécanismes et les dangers de l’empathie artificielle, l’attachement que l’on pourrait ressentir pour un robot est assimilable à celui que l’on éprouve pour un animal. On peut faire le parallèle avec le succès des Tamagotchis, ces petits jeux qui permettaient d’élever un animal virtuel dans les années 1990.
La notion d’auto-apprentissage semble donc centrale dans notre interaction avec l’intelligence artificielle. Si l’homme est capable d’apprendre des choses à la machine, il sera capable d’y passer plus de temps et de s’y investir. Il en retirera une certaine fierté. Il pourra même développer de nouveaux réflexes mentaux et se modifier structurellement, comme lorsqu’un adulte s’adresse à un enfant.
On imagine que les géants de l’intelligence artificielle ont choisi de limiter cette possibilité afin de ne pas créer des dérives, car les résultats peuvent être surprenants et contre-inuitifs, tels qu’avec Tay, le robot Twitter de Microsoft qui s’était mis à proférer des contenus sexistes et racistes sous le coup d’internautes malveillants.
S’il faut encore trouver les bons réglages pour les questions morales, de nombreuses micro-interactions pourraient déjà être travaillées : langage et intonations, nature des tâches demandées, parcours utilisateur, etc.
À quoi ressemblera l’intelligence artificielle avec l’ensemble de ces micro-moments ? Y a-t-il un juste milieu entre une externalisation mécanique des tâches et la création d’un surmoi technologique flippant ?
Diplômée de Sciences Po en 2008 et après une première expérience en Asie, Clarisse Moisand fonde, à son retour début 2011, WEDO Studios une agence de conseil en innovation et design d’expérience. Depuis sa création, WEDO Studios accompagne des grands groupes, start-up et organisations dans la conception, le développement et l’implémentation de projets innovants.
Passionnée par les sciences sociales et le numérique, Clarisse travaille sur les nouvelles stratégies globales d’innovation, qui allient le fonctionnel à l’émotionnel. Clarisse a participé à l’essor du «design thinking» et du «design de services» en France en tant que professeur à l’ESSEC Business School. Elle est régulièrement sollicitée pour intervenir lors de conférences spécialisées, en France et à l’étranger.
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« Tay, le robot Twitter de Macintosh » Ouch lapsus ? Tay est un robot de Microsoft. Macintosh c’est une marque de Apple. ;)