Facebook, Google et les autres sont-ils les nouveaux ERP?
Jusqu’à il y a encore peu, lorsqu’on parlait de technologies structurantes pour les entreprises on sous-entendait ERP. Qu’on les aime ou pas ces progiciels étaient (et sont toujours) la colonne vertébrale des entreprises, le point de passage obligé de leur influx nerveux, des ordres et décisions que le cerveau transmet aux membres.
Nulle part ailleurs l’entreprise n’était tributaire d’un système aussi vital à son fonctionnement, à son business, et surtout pas sur la dimension client. Jusqu’aux années 2000 d’ailleurs la technologie était totalement absente coté client. Bien sûr on utilisait des CRM pour gérer le client mais ça n’était qu’un usage réservé aux collaborateurs. Il n’y avait pas d’interactions supportées par la technologie entre l’entreprise et le client contrairement à ce qui se passait en interne. Bien sûr dans certains cas il y a les achats et la facturation mais tout cela reste justement dans le champ de l’ERP.
Les géants du web ont permis d’industrialiser marketing, communication et relation client
Puis est arrivé le web. Les entreprises ont longtemps «bricolé» sur ce média nouveau avant d’en mesurer le potentiel et de le traiter de manière sérieuse. Puis sont arrivés les Google, Facebook et autres qui d’une certaine manière ont apporté, du point de vue de l’entreprise, de la rationalité dans un web jusque là un peu «foutoire». D’un seul coup les entreprises ont eu:
- des gros points de contact avec leurs clients, des carrefours d’audience
- des acteurs centralisant l’accès à ces points de contact
- une manière industrialisée de toucher le client au travers de ces points de contact
- des process standardisés
Google, Facebook et les quelques autres géants du web ont ainsi apporté de la structure et une logique industrielle à la relation client et au marketing. Il y a une manière de faire, on remplit des cases, on sait ce qu’on achète, on suit le process et les règles et on a le résultat obtenu.
Si on se souvient qu’il y a 15 ans on ne parlait que de print, de radio ou de télé c’est un véritable saut quantique qui a été effectué et il est bon d’en avoir conscience.
De cette manière il est indubitable que cette industrialisation, cette standardisation des modèles appliqués au marketing, à la relation client, à la communication ne sont pas sans rappeler ce qu’avait connu la gestion des décennies auparavant avec l’arrivée de l’informatique de gestion puis des ERP. A priori une bonne chose en termes de simplicité et d’efficacité.
Google et Facebook vont-ils tuer l’avantage concurrentiel de leurs clients?
Mais si l’informatisation des activités et process de gestion a eu son coté positif, elle a aussi eu son coté négatif.
En 2004 dans «Does IT matter», Nicholas Carr remarquait que finalement l’informatique en général et l’informatisation de la gestion n’avait apporté aucun gain en termes d’avantage concurrentiel. D’un coté toutes les entreprises qui y ont eu recours ont obtenu des gains très importants en termes de productivité et d’efficacité des tâches de gestion, soit. Mais d’un autre côté toutes les entreprises ont utilisé peu ou prou les mêmes logiciels pour mettre en place des «best practices» et process identiques, donnant lieu à des paramétrages identiques, le tout mis en place par les mêmes cabinets de conseil et des consultants tous formés de la même manière.
Il y a, bien sur, eu des gains dans l’absolu. Mais cela a entrainé une telle normalisation du fonctionnement des entreprises qu’aucune n’a pu creuser un écart substantiel et se créer un avantage concurrentiel nouveau. Quand tout le monde utilise les mêmes outils de la même manière on a beau améliorer sa performance cela ne fait pas de différence par rapport à la concurrence qui fait exactement la même chose.
Il en aurait été autrement si une entreprise avait décidé de se montrer disruptive, innovante, créative en matière de process et de règles de gestion. Mais on sait que ça n’a pas été le cas pour 99% d’entre elles.
L’ultranormalisation de l’approche client: une erreur?
Aujourd’hui quand on fait une recherche dans Google on n’a pas une vision exhaustive de ce qui existe ou des meilleurs résultats mais une vue des résultats «selon Google». Google décide de ce que nous devons voir en premier ou non et pour y figurer il faut se plier aux règles de Google.
Google promeut les contenus de qualité. Je ne sais si vous vous êtes posés la question une seule seconde de savoir:
- si un algorithme peut évaluer la qualité d’un écrit
- qui est Google pour dire qu’un contenu est de de qualité ou non
Je peux encore comprendre que sur la forme, il y a des manières d’écrire plus pertinentes que d’autres et que cela peut se mesurer et s’évaluer. Sur le fonds je mets qui que soit au défi de me prouver que Google est légitime pour dire qu’un article est de qualité ou non.
On écrit plus pour une audience mais pour Google.
Pour autant Google fixe ses règles et on écrit en fonction. On écrit plus pour une audience mais pour Google.
D’un autre coté Facebook décide également des types de contenus qui ont ou non droit de cité sur sa plateforme, allant jusqu’à une forme de censure parfois dérangeante. Facebook décide du jour au lendemain de changer les règles du jeu, la manière dont s’affichent les contenus, dont ils apparaissent ou non dans le newsfeed, impose des règles du jeu à tous les niveaux et forcément tout le monde suit.
Quand tout le monde utilise de la même manière les mêmes outils en suivant les mêmes règles et process tout le monde arrive au même résultat. Quand tout le monde accepte qu’une tierce partie fixe les règles du jeu unilatéralement sur un sujet aussi capital on se prive de toute capacité d’innovation… ou en tout cas de maîtrise de cette innovation. L’innovation sera le fait des grandes plateformes et vos concurrents en bénéficieront autant que vous, ne cherchez donc pas là une quelconque possibilité d’avantage concurrentiel.
Bref les géants du web ont apporté aux entreprises de fantastiques outils leur permettant d’industrialiser et de rationaliser leurs démarches sur un territoire qui jusque là était largement éclaté et ressemblait davantage au Far West qu’à autre chose. Mais cela se fait au prix d’une ultranormalisation des pratiques et d’une forme d’abandon de souveraineté dont je ne suis pas sûr qu’elle ne condamne pas à terme toute capacité de différenciation.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
Crédit photo: Fotolia, banque d'images, vecteurs et videos libres de droits
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023
Quelle perspicacité de voir que les GAFAM ratissent large et que les entreprises sont omnibulées par la peur d’avoir raté quelque chose si elles ne se concentrent pas assez sur des canaux… qui sont les mêmes que ceux qui serviront à terme à les ubériser.
Alors que tous les webmasters du monde se sont concentrer sur les adsense, les like, etc en envoyer toute la data aux grosses plateformes, que les dirigeants croient dur comme fer que l’innovation c’est 3 CRM, des réseaux sociaux et de l’informatisation dont ils comprendront le sens quand ils auront le temps, l’innovation, c’est à dire autant la différenciation, la culture de marque ou le simple moteur général a disparu des radars. Trop risquée, trop long à en percevoir les bénéfices, etc etc
Continuez à tout donner à Google, c’est bien… Il est « votre ami » hein…