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7 mythes et 1 malédiction sur la stratégie digitale

La stratégie digitale est peuplée de mythes et de croyances et il est parfois délicat de définir exactement ce qu’il en est. Lorsque l’on parle de stratégie digitale, on est confronté à de nombreuses idées préconçues qui sont souvent le fruit d’une perception erronée de ce qu’il se passe réellement sur les marchés. Les perceptions, les idées reçues, se multiplient lorsque que l’on est face à un phénomène complexe et récent, et des confusions émergent parfois les mythes, dont certains sont particulièrement tenaces. J’en vois principalement 7 … mais aussi une malédiction!

Ainsi, lorsque l’on parle de stratégie digitale, les confusions ne sont pas rares avec le marketing digital, le growth hacking, le social selling, etc. Tous ces termes se démultiplient, se croisent, s’entrechoquent, sans que l’on sache exactement de quoi on parle. La multiplication des mots valises est typique de l’émergence de phénomènes nouveaux. Et c’est fortement le cas pour la stratégie digitale qui fait l’objet de nombreux mythes. En voici les 7 plus fréquents.

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Mythe n°1: Il est crucial d’avoir une idée originale

L’idée n’est pas la clé de tout qu’il faut protéger des copieurs. Le succès ne tient pas dans l’absolue originalité de l’idée mais dans la qualité de l’exécution. Nous sommes 6,5 milliards sur Terre, la probabilité d’avoir une idée que personne n’a eue auparavant est faible. A titre d’exemple, Youtube n’était pas du tout une création originale, et il y avait de nombreux réseaux comme Facebook au moment de sa création. Qui se rappelle d’Altavista, bien avant Google. Et Copernic ?

Non, plus que l’idée, c’est la vision qui compte. La capacité d’une personne à transformer une idée en une vision, qui deviendra une force de conviction, encourageant d’autres à la suivre, pour bâtir quelque chose. Donc ce n’est pas l’idée la clé, c’est ce qu’on en fait.

Mythe n°2: Le premier entrant, ou «First-Mover advantage»

L’un des mythes les plus fréquents est celui du «First-Mover advantage». Selon ce principe, le premier entrant sur un marché est celui qui rafle la mise. Ce qui conduit certaines start-up à accélérer le mouvement et à parfois lancer un produit ou service non encore pleinement satisfaisant ou opérationnel, juste pour être sur le marché les premiers. Lorsque l’on y pense un peu, au bout de 5 minutes nous sommes tous capables de faire une liste de produits ou services qui sont dominants sur un marché, sans avoir été les premiers entrants. Non ? Quid de Google, premier moteur de recherche ? Archos a lancé une tablette bien avant Apple.

S’imposer sur un marché est très complexe. Le mythe du «First-Mover advantage» est une simplification d’un mécanisme complexe. En effet, prendre l’avantage sur un marché dépend de la structure du marché, du type de concurrent, du comportement du consommateur, du niveau technologique, etc. Le «First-Mover advantage» est donc une simplification d’un mécanisme complexe, conduisant d’ailleurs à émergence du concept de «First-Mover disavantage» ; et à chaque étude démontrant que le «First-Mover advantage» était déterminant, une autre étude montre qu’il n’existe pas. N’est-ce pas cela, un mythe? Voici un lien vers un article qui détaille le raisonnement.

Mythe n°3: «La stratégie, c’est juste une question d’outils»

Le but des outils est d’identifier les menaces qui pèsent sur l’entreprise, et d’identifier les opportunités qui permettront de la transformer. Pour ce faire, il y a un très grand nombre d’outils.

Les outils et méthodes d’analyse stratégique, d’analyse de marché sont en fait des techniques de réduction de l’information. Leur but est d’organiser et de permettre l’analyse d’informations extrêmement complexes de manière à les rendre compréhensibles et à permettre la prise de décision. Cependant, il est en même temps extrêmement critique d’éviter la sur-simplification. Attention à ne pas faire rentrer une situation complexe et dynamique dans un framework simple, et d’en extraire des informations sur-simplifiées qui perdent du même coup toute leur richesse, et ne permettent plus de prendre des décisions stratégiques pertinentes. La clé est donc de trouver un équilibre et d’éviter les deux principaux pièges dans lesquels on peut tomber.

  1. L’emploi des outils d’analyse stratégique doit vous permettre de regarder dans le passé, afin de construire une projection de ce que votre business sera dans le futur.
  2. Un outil d’analyse n’est pas une checklist, le but n’est pas de remplir des boîtes ou de réaliser un schéma. Le but d’un outil est de permettre l’action.

Tout cela signifie que l’analyse stratégique doit fournir toutes les informations nécessaires pour construire un avantage concurrentiel, et donc une position sur un marché. Le but n’est donc pas d’utiliser le plus d’outils ou de techniques possibles. La clé n’est pas dans l’outil, mais dans l’analyse.

Mythe n°4: «La stratégie digitale, c’est pas cher!»

Lorsque l’on mène une stratégie digitale, il est vrai que la structure des coûts est différente en comparaison avec l’industrie. Les données disponibles pour l’analyse sont considérables, et les postes de dépenses sont différents: référencements, formation de nouveaux métiers, traitement des données, stockage, sécurisation des données, production des contenus, diffusion des contenus, animation des réseaux sociaux, animation d’un site web, recrutement de profils souvent rares, …

Par exemple, le jeu des enchères dans la mise en œuvre d’une campagne de mots-clés peut s’avérer très onéreux, et une campagne mal calibrée peut à la fois grever votre budget et être contre-productive. Dans le cadre d’une stratégie digitale, la logique «inbound» se substitue à la logique «outbound». Cela signifie que les dépenses sont conçues pour driver le consommateur vers des points de contact avec votre offre. C’est pour cette raison que la structure des coûts est différente.

[La version alternative de celui-ci est: «La stratégie digitale, c’est juste une question de bon sens!». Je consacrerai prochainement un post à cette question.]

Mythe n°5: Le Talent

«La stratégie, c’est avant tout une question de talent». Attention, le talent en soit n’est pas un mythe, c’est l’impact du talent qui peut être parfois surestimé. La stratégie digitale est une discipline essentiellement analytique.

Armé d’une vision, un travail considérable est mené sur l’analyse des informations: la collecte, la reconfiguration, le recoupement, etc. Talentueux, mais sans information de qualité, que faire? Et suite à l’analyse des données, la mise en œuvre de la stratégie, l’exécution des tâches tactiques, la délivrance des prestations à produire, … La stratégie digitale, c’est donc surtout une question de travail car la nature du raisonnement, qui est dynamique, rend le nombre d’options considérable, et la tâche d’autant plus complexe. La capacité de travail en est la clé.

Mythe n°6: «Un beau site web, et roule ma poule!»

On ne drive pas le consommateur vers une landing page. On construit un filet sur le net, avec un grand nombre de points d’entrées menant vers le business. Proposer un site web n’est pas forcément la première chose à faire. Et on pourrait dire la même chose de la création d’une page Facebook, d’un fil Twitter, d’un profil Pinterest ou d’un blog.

Tout dépend de la vision (et de l’intention stratégique). C’est elle qui va driver tout le processus d’analyse qui conduira à la construction de la stratégie digitale. C’est après avoir construit une stratégie que l’on développe les points de contact avec le client, pas avant. Donc tout n’est pas une question de site web. Et c’est la différence principale entre les logiques «inbound» et «outbound»: les dépenses sont conçues pour faire venir les clients au contact de votre offre (en fonction de celle-ci: Facebook, Twitter, Snapchat, LinkedIn, app., … ou un site web si nécessaire) ce qui est très différent de la démarche classique qui conduit à aller chercher les clients.

Mythe n°7: «C’est juste une question d’ordinateurs, d’Internet et de ces trucs là»

La stratégie digitale, c’est avant tout une question de personne. Elle a des effets off-line et online, et il est indispensable de mettre le consommateur au cœur du raisonnement. Ainsi, bien que l’informatique soit omniprésente, on ne parle que de consommateurs, des gens. Donc pour bâtir une stratégie digitale, on commence à une table, avec une feuille et un stylo, et on réfléchit à ce que l’on veut faire en étant guidé par la vision. La stratégie digitale n’est pas une contrainte, elle est offreuse d’opportunités.

Et donc non, il ne suffit pas de faire une appli. Non, c’est aussi idiot de dire «il faut être sur tous les réseaux sociaux pour faire le Buzz» que de dire «Il ne faut pas aller sur les réseaux sociaux, car un mauvais commentaire suffit à tuer le business». Et enfin, non, pour une bonne stratégie digitale, on n’a pas juste besoin d’ «un gars compétent qui glissera des bouts de code ici ou là, d’un growth hacker!».

Une Malédiction: «The curse of the incumbent»

«Incumbent» se traduit littéralement par «titulaire». Lorsque l’on parle de stratégie et de marchés, ce qu’on appelle «incumbents», ce sont les entreprises qui sont déjà présentes sur un marché et qui occupent (qui sont titulaires) une position.

Généralement, les entreprises performantes sur un marché renforcent et solidifient leur position en utilisant des innovations incrémentales. Elles cherchent à améliorer les caractéristiques de leurs produits ou services, elles spécialisent leur offre. Les innovations radicales ont fréquemment tendance à provenir de plus petites entreprises, les challengers. Ces entreprises cherchent une offre qui satisfera différemment les consommateurs, via des produits ou services radicalement différents. Et cela est très important car les innovations de produits radicales sont les moteurs de la croissance économique. Elles sont la source de marchés nouveaux, et sont toujours à l’origine des très grandes entreprises. Ainsi, chaque grande entreprise positionnée sur un marché verra un jour cette position contestée par un nouvel entrant, une petite entreprise apte à proposer une offre qui satisfera mieux les consommateurs.

Il faut donc bien comprendre que cette malédiction est aussi une formidable opportunité car les positions fortes sont temporaires, et plus les marchés sont dynamiques, plus elles sont difficiles à défendre. Et le digital permet de saisir cette opportunité. Le digital qui permet de mieux connaitre les clients, de multiplier les points de contact commerciaux (leads), de mieux qualifier les prospects, etc. Le digital permet donc de remettre en cause des positions, de renforcer la malédiction pour les incumbents, et de multiplier les opportunités pour les challengers.

De cette malédiction, il faut donc tirer un enseignement, et surtout un espoir: chaque petite entreprise qui rentre sur un nouveau marché grâce à une innovation peut potentiellement menacer les entreprises en place, même celles qui semblent solidement ancrées. Il est donc toujours possible de faire mieux, et il est toujours probable que d’autres, par la suite, fassent encore mieux. Donc, faites mieux que les autres, et appuyez-vous sur les technologies digitales pour y arriver !

Si cette malédiction vous intéresse, cet article vous passionnera!

Jean-Philippe TimsitJean-Philippe Timsit est professeur de Competitive & Digital Strategy à l’ESC Rennes School of Business.

Il est spécialisé dans l’avantage concurrentiel et la création de valeur, principalement dans le cadre de stratégies digitales, ainsi que dans les domaines de l’entrepreneuriat et du leadership. Il intervient régulièrement sur ces thématiques auprès d’entreprises via des séminaires, formations et missions de conseil ou auprès d’entrepreneurs en phase de création.

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