Une cession auprès d’un acteur US ne doit rien au hasard
Le rêve le plus commun parmi les startupers européens? Se faire racheter par un géant américain, seul à même de payer un prix très élevé. Si le rêve est répandu, seule une poignée de startups françaises l’atteint chaque année. Et, autant le dire tout de suite, une opération comme celle-ci est généralement tout sauf un hasard. Des acteurs comme Google et Microsoft sont sur-sollicités à longueur d’année. Une cession requiert généralement une succession d’événements et de décisions prises parfois plusieurs années en amont. La plupart du temps articulé autour d’un fonds d’investissement de premier plan.
Les entrepreneurs français ne prennent pas suffisamment en compte la sortie dans leurs réflexions en amont. Avec Laurent Lathieyre, le CEO de Capptain, société acquise par Microsoft en 2014, nous vous proposons donc plusieurs pistes pour optimiser vos chances de faire partie des happy fews au côté notamment de Lafourchette, Bime Analytics et StickyAds.
Se déployer commercialement
L’Europe et ses 49 pays pour autant de juridictions? Un cauchemar pour les Américains. Ces derniers sont donc prêts à payer une forte prime pour tout acteur qui aurait réussi à se déployer commercialement en Europe. On peut ainsi se demander le niveau de valorisation qu’aurait atteint Lafourchette si la société ne s’était pas contentée de la France et de l’Espagne malgré un financement conséquent. Quant à Capptain, la société avait prouvé à une échelle européenne son product market fit et sa capacité à scaler en signant des clients référents au UK, en Allemagne et en Russie.
Autre solution pour les entrepreneurs recherchant la cession avec un acteur majeur américain, le développement aux USA. Signer des clients américains «au nez et à la barbe» des concurrents locaux s’avère vraiment efficace pour préparer un rachat. Si cette stratégie a été utilisée avec succès par Bime Analytics, elle n’en reste pas moins très risquée au regard des échecs de sociétés françaises là-bas.
Flirter bien en amont
Flirter en amont permet de mieux comprendre ce que ces groupes recherchent, de mieux décrypter leurs organisations internes en termes de pouvoirs décisionnels et, enfin, prouver que sa solution se distingue de la concurrence. Plus vite vous êtes identifiés par ses acteurs et vous instaurez des liens avec eux, mieux c’est. Pour cela, voici plusieurs possibilités:
- ériger des partenariats business
- leur prendre des clients
- les rencontrer via des liens privilégiés
- rencontrer des conseils M&A échangeant régulièrement avec les acteurs stratégiques dans l’écosystème de la startup. Sam Levy travaille en tant que banquier d’affaires à NYC pour Marlin & Associates: «chaque année, nous réalisons plusieurs deals M&A entre des corporates nous ayant sensibilisé sur des thèmes précis et des startups nous tenant régulièrement informés de leur évolution. Grâce à ce suivi dans la durée, le process et l’éducation s’en trouvent largement facilités».
-
être identifié par des analystes comme Gartner ou Forrester afin d’apparaître sur les radars des grands groupes anglo-saxons
Capptain avait ainsi établi un partenaire-business avec Microsoft plus de deux ans avant l’acquisition. L’équipe «biz dev» de Microsoft avait alerté l’équipe M&A sur la pertinence de la solution de Capptain pour leurs clients et l’intérêt business que représentait ce partenariat.
Structurer sa société
Fort d’une première expérience réussie en tant qu’entrepreneur, Laurent a bâti l’ADN de Capptain autour de piliers permettant d’accompagner la société dans sa croissance:
- Anglais: dès l’origine, toute la documentation de Capptain a été rédigée uniquement en anglais. Des collaborateurs étrangers ont rejoint l’équipe alors que la société ne comptait qu’une dizaine de salariés.
- Dataroom: tous les documents de la société ont été classés progressivement afin d’être prêts le moment venu. Comme le point précédent, la dataroom prête dénote auprès d’industriels étrangers d’un certain professionnalisme et d’une facilité d’intégration post-acquisition.
- Conseils de premier plan: Laurent s’est entouré de conseils solides et expérimentés. Dans les moments clés, leur valeur ajoutée a été décisive et facilitée par le fait qu’ils connaissaient bien la société (pour ne pas les citer, ASC Consulting comme CFO part-time et Harley Avocats – anciennement Kahn & Associés comme conseils juridiques).
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Actionnariat: attention aux business angels qui bloqueraient la sortie alors que leur pourcentage de détention au capital est dérisoire comme l’ont tenté de faire certains chez Capptain. D’où l’idée de rédiger un pacte d’associés couvrant ces sujets. Le choix du fonds d’investissement est également décisif.
Signer un fonds d’investissement AAA
Capptain, StickyAds, BIME, Pricematch, Lafourchette; toutes ces sociétés ont en commun d’avoir fait rentrer des fonds d’investissement de premier plan. Et c’est tout sauf un hasard. Le choix d’un VC ne se limite pas qu’à la valorisation (voir article à ce sujet ici)
Le fonds d’investissement permet d’optimiser les chances de se faire racheter par un acteur industriel étranger. Une anecdote révélatrice à ce sujet: un client de Chausson Finance a récemment fait rentrer un fonds anglo-saxon prestigieux. Lors d’un récent business trip aux USA, ce fonds a rencontré plusieurs leaders mondiaux pour leur parler de la solution de leur nouvelle participation. En quelques RDVs, ce fonds l’a ainsi positionné sur la roadmap «acquisition potentielle à terme» de groupes valorisés à plusieurs dizaines-centaines de milliards.
Deux ans avant la cession, Capptain a fait rentrer le fonds russe, Runa Capital. Pour Laurent, l’apport de Runa lors de la cession à Microsoft est clair: «en plus de nous avoir apporté une valeur ajoutée appréciable tout au long de notre collaboration, leur apport a été substantiel lors de la cession. En tant qu’anciens entrepreneurs, l’équipe de Runa a su faire preuve de souplesse et d’habileté lors des négociations avec Microsoft».
Même si la sortie ne doit pas être la finalité d’un entrepreneur, autant mettre toutes les chances de son côté dans le cas où une opportunité d’acquisition XXL (et donc américaine) se présenterait. Et cela nécessite de se préparer presque dès la création de la société! De la structuration de la société au choix des conseils et surtout de celui du fonds d’investissement, rien ne doit être laissé au hasard pour optimiser ses chances. Le rachat de Capptain par Microsoft a ainsi été facilité par une succession d’événements dont le point de bascule a été la mise en place d’un partenariat business deux ans avant l’opération.
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