Donc vous voulez être une entreprise digitale et collaborative…
Peu importe la manière dont c’est formulé, il n’y a pas une entreprise qui ne se soit assignée l’objectif de devenir digitale et collaborative. Digitale car c’est le sujet du moment, quand bien même toutes ne sont pas tellement au clair sur ce qu’elles mettent derrière le terme. Collaborative car il sera difficile voire impossible de répondre à la complexité de leur environnement sans renforcer collaboration et coopération.
Chassez le naturel, il revient au galop. Même si la tâche n’est pas aisée, les entreprises arrivent à avancer, à obtenir de mini-succès à plus ou moins grande échelle. En revanche, un rien suffit pour provoquer un retour à la case départ. Le départ d’un leader inspirant, un manager qui change de poste, une difficulté passagère qui entraîne un serrage de vis, et voilà l’entreprise qui retombe dans ses travers.
Sans prétendre que cela sera la solution absolue, voici quelques bonnes pratiques sans lesquelles il est difficile voire impossible d’envisager un changement profond et pérenne. Loin d'être suffisant mais certainement indispensable.
Cessez de recruter les clones de ceux que vous voulez changer
Le premier problème vient du recrutement. C’est certainement le problème le plus criant depuis la nuit des temps, depuis que les entreprises se sont rendu compte que la collaboration était vitale, qu’on ne pourrait plus manager les travailleurs du savoir comme ceux de l’ère industrielle, et plus récemment, qu’un vrai changement dans la manière de penser et d'opérer était vital à l’ère du digital. On se plaint (et souvent à tort) que les salariés sont un frein à la transformation. Pourtant, on déploie un trésor d’énergie à les interchanger, et finalement, on continue à recruter les mêmes profils que ceux qu’on veut remplacer et à écarter ceux qui incarnent la norme de demain mais pas celle d’aujourd’hui.
L’histoire qui a conduit à la construction du test d’agilité numérique (TANU) en est le meilleur exemple. Aujourd’hui, le socle de culture digitale minimum est aussi indispensable que savoir allumer un ordinateur, lire ou écrire. Toutefois, les capacités collaboratives ne sont que très rarement évaluées. De toute manière, une entreprise préférera toujours recruter une diva à la culture digitale limitée et aux capacités collectives nulles. De la même manière qu’on disait il y a encore peu «personne n’a jamais été viré pour avoir choisi Microsoft ou IBM», on n'a jamais reproché à qui que ce soit de recruter un profil bien normé, lisse, qui ne ne fera pas de vagues.
Ensuite, une fois qu’on a les bons profils, encore faut-il les mettre dans le bon contexte pour qu’ils expriment leur potentiel. Mais c’est une autre histoire…
Reconnaître et récompenser les bons comportements
Vient ensuite la question de la mesure des performances et des évaluations. Yves Morieux disait que «coopérer est un sacrifice», ce qui est vrai à double titre. D’abord parce que coopérer ou collaborer, c’est donner, c’est partager, c’est accepter de perdre ce qu’on prend pour un attribut de pouvoir ou un avantage concurrentiel individuel au bénéfice de la réussite collective. Ensuite, parce que tout est fait dans l’entreprise pour rendre la coopération difficile, du management aux process, et c’est la clé de voûte du dispositif, par les procédés d’évaluation et de récompense. Il est donc essentiel d’avoir les bons comportements.
Ce n’est pas nécessairement une histoire de primes, qui peut avoir parfois des effets pervers, mais a minima de reconnaissance et de valorisation. Cepedant, on ne peut effectivement demander aux gens d’aller dans une direction quand la manière dont on évalue leur réussite les incite à aller dans l’autre.
Donner pour objectif de construire le futur, pas de préserver le passé
Vient enfin la question des objectifs et plus largement du rôle qu’on donne à chacun. «On ne peut demander à quelqu’un de comprendre quelque chose quand son salaire dépend de son ignorance du sujet» (Upton Sinclair). Ou, plus prosaïquement «essayer de vendre une météorite à un dinosaure vous fait perdre votre temps et ennuie le dinosaure» (Hugh McLeod).
Au début des années 2000, Sony avait tout en main pour inventer avant Apple un système similaire au duo iPod/iTunes. Mais entre ceux qui voulaient préserver les revenus des disques «physiques», ceux qui voulaient préserver les revenus des baladeurs CD contre la concurrence du MP3, etc., Sony a gâché des atouts de premier ordre. Mais rien ne sert de blâmer les responsables : ils n’ont fait que le travail qu’on leur demandait de faire. D’autres objectifs auraient entraîné d’autres comportements. «Brûler son bateau», cannibaliser son propre business n’est jamais une décision facile mais si vous ne vous concurrencez pas vous-même, ce sont d’autres qui le feront.
Evidemment, tout cela est indispensable mais insuffisant. Toutefois, une chose est certaine, si :
- vous recrutez les clones de ceux que vous voulez changer
- favorisez les comportements qui favorisent l'individualisme et l'ignorance individuelle dans un monde où le client développe son intelligence collective
- donnez pour mission aux uns et aux autres de défendre les acquis au détriment du futur,
Ne vous étonnez pas si absolument rien ne se passe.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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