Loïc Rivière (Tech in France): «La taxe Google est contraire aux traités internationaux et aux règles de l’OCDE»
Dans le cadre du PLF 2017 (projet de loi finance), Yann Galut, élu socialiste, a déposé un amendement à l'Assemblée Nationale. Le député PS du Cher veut atteindre les géants de l'Internet avec une «Taxe Google», au travers d'un impôt sur les «bénéfices détournés». Adoptée par la Commission des Finances de l'Assemblée, elle sera débattue la semaine prochaine dans l'hémycicle.
Loïc Rivière, délégué général de Tech in France dénonce un «aveuglement» et une «mauvaise foi» car les entreprises du numérique ne sont pas les seules concernées par cette pratique.
Frenchweb: Pourquoi la «Taxe Galut» cible-t-elle injustement l'industrie du numérique?
Loïc Rivière, délégué général de Tech in France: Cette taxe part du constat que les montants d’impôts recouvrés par l’Etat sur les bénéfices réalisés par les multinationales sur son territoire sont en baisse voire faibles au regard de leur chiffre d’affaires, en particulier pour certains acteurs du numérique. Ce constat est vrai, mais même si ce n’est pas intuitif, c’est parfaitement légal et logique! Et ce constat est vrai pour la majorité des entreprises mondiales, quel que soit leur nationalité ou leur secteur d’activité. Parce que la taxation des bénéfices des entreprises mondiales ne fonctionne pas de la même manière que pour une entreprise locale, notamment pour éviter qu’elles soient imposées deux fois. En gros, on s’intéresse aux prix de transferts (les échanges entre filiales) et à la notion «d’établissement stable» sur le territoire. Si vous n’avez qu’une activité de marketing, donc pas d’établissement stable en France, alors vous pouvez légalement localiser vos profits ailleurs.
Pour calculer le bénéfice imposable d’une entreprise mondiale, on regarde en quoi la représentation locale de l’entreprise a contribué à la réalisation de ce bénéfice. Le marketing voire la vente, c’est peu au regard de la conception du produit, de sa distribution etc.
Les multinationales ont organisé et optimisé leur process de production mondialement. Il est normal que la grande partie de la taxation des bénéfices aille là où sont conçus ou distribués les produits et services. Evidemment la concurrence fiscale joue à plein. Le numérique et le Cloud, consistent souvent aussi à produire et distribuer des services à distance…. Cela concerne donc les acteurs du numérique mais aussi tous les industriels en transformation digitale. L’initiative BEPS de l’OCDE a souligné qu’il ne fallait pas faire d’exception. C’est donc faire preuve d’aveuglement voire de mauvaise foi que de cibler les acteurs du numérique! C’est aussi démagogique de faire croire que le sujet est simple car la France ne peut pas changer les choses toute seule.
La France ne peut-elle pas faire figure d'exemple pour les autres pays qui s'estiment aussi lésés par les GAFA ?
Il faut préciser que cette «taxe Galut» est contraire aux traités internationaux, les règles de l’OCDE, qui engagent la France sur la notion d’établissement table en la tordant vers celle d’établissement virtuel… Si cette voie avait été compatible avec les règles pratiquées par tous les partenaires de la France, le Gouvernement l’aurait déjà fait. La «taxe Galut» n’est pas la première taxe Google qui voit le jour! La France espère profiter du Brexit pour sa place financière et son écosystème tech. Ce serait donc irresponsable d’adresser des signaux négatifs aux entreprises internationales qui seraient attirées par la France. Il faut arrêter de penser que ce qui se dit et vote à l’Assemblée nationale n’a pas d’influence sur l’image de la France à l’extérieur, sur son attractivité. Le Gouvernement a fait de nombreux efforts sur le sujet, ce serait dommage de les ruiner ainsi.
Quelles seraient les alternatives possibles à cette taxe?
L’alternative est à minima européenne, voire mondiale. Les Etats-Unis font d’ailleurs face aux mêmes enjeux. Il y aura toujours une concurrence fiscale dans le monde, des paradis fiscaux. On peut aujourd’hui se demander si la valeur créée par les entreprises ne doit pas être taxée ailleurs qu’au niveau de leurs bénéfices.
Mais le problème est que ceci traduit aussi en partie notre déclin industriel et notre difficulté à produire des champions dans la tech, susceptibles de produire en France et donc de payer leurs impôts en France. C’est surtout ça la meilleure solution!
Lire aussi: Valérie Chavanne (IAB France): «La taxe de la publicité en ligne doit être unifiée au niveau européen»
Oui, bien sûr le traité est supérieur à la loi.
Oui, bien sûr, la fiscalité française n’est pas des plus optimales. Mais même les pays qui ont une fiscalité des entreprises plus favorable se voient privés des ressources normales de l’activité de ses hyper-optimisateurs.
Mais est-ce que parce qu’une situation existe de fait comme en droit que nous devons nous refuser de changer la loi – voire les traités- pour changer les faits?
Redescendons sur Terre, loin des arguties technocratiques.
Est-ce vraiment si contraire à la logique que de penser que dans un cadre normal, les taxes sur les fruits de l’activité d’une entreprise issus de la consommation française devraient aller à la communauté française?
Est-ce vraiment si dangereux que de penser que si ces hyper – optimisateurs payaient réellement leurs impôts là où ils font réellement leurs profits, l’ensemble des entreprises domiciliés en France en paieraient peut être un peu moins ?
L’argumentation finale est un peu difficile à avaler: pour que des entreprises françaises puissent voir le jour, il faudrait qu’elles ne soient pas concurrencées par des entreprises disposant, du fait d’une hyper- optimisation, de ressources bien supérieures.
Raisonnons un instant par l’absurde: toutes les startup françaises devraient s’expatrier et pratiquer l’hyper- optimisation fiscale pour qu’enfin la France dispose de champions…. qui ne seraient plus français.