Slack doit-il craindre Microsoft Teams?
J’ai parlé de Microsoft Teams dans un billet précédent et un certain nombre de personnes m’ont demandé comment je voyais la situation évoluer à terme entre Slack et Teams.
Petit rappel pour ceux qui ne seraient pas familiers de ces environnements: de quoi parle-t-on? Slack et Teams sont ce qu’on appelle des «chats de groupe persistants». Autrement dit ils permettent au sein d’une équipe la fluidité d’un chat (vs un réseau social de type Yammer) et la des contenus persistance propre au réseau social (vs une messagerie instantanée).
Voici une présentation de Teams:
Et voici Slack, si par hasard vous n’y avez pas encore été confronté:
Ne vous étonnez pas de la ressemblance entre les eux, Teams ne se cache pas d’être une copie de Slack. Une copie améliorée à mon avis car les conversations m’ont l’air d’y être plus structurées et faciles à suivre et je n’imagine pas qu’il puisse y être plus compliqué de retrouver une information ancienne que dans Slack.
Depuis l’écriture de ce billet, Slack a amélioré le suivi des conversations en introduisant une fonctionnalité de fil de discussion. Comme quoi la concurrence ça stimule mais il est juste incroyable d’avoir du attendre 2017 pour cela et, en attendant, les utilisateurs qui ont été rebuté par leur 1ere expérience ne reviendront pas pour autant.
Mais peu importe: je pense que ces outils ont vocation à s’inscrire dans l’instantanéité et que cet aspect « bordélique » est inhérent à leur nature (même si j’attends quand même de Microsoft que leur expérience des grosses volumétries en entreprise leur permettent d’anticiper ce qui pour Slack peut être vu comme une erreur de jeunesse).
On verra à l’usage.
Teams s'est tellement inspiré de Slack que cela a inspiré aux dirigeants de cette dernière une lettre ouverte publiée dans le New York Times dont vous retrouverez le contenu ici.
Une lettre ouverte ironique où Slack donne en quelques sortes quelques conseils au géant de Redmond pour réussir sur ce créneau. Le ton est clair «c’est gentil de nous copier mais vous n’êtes pas nous, vous n’avez pas le bon ADN, vous n’y arriverez pas».
Slack, leader incontestable d’un marché qu’il a créé
Une approche offensive qui montre bien que Slack n’a pas peur de Teams (et je suis persuadé qu’ils sont convaincus ne rien avoir à craindre).
Une approche arrogante propre à nombre de start-up qui ont réussi à se faire une place au soleil au milieu des «vieux» et se pensent inexpugnables car elles ont conquis les utilisateurs et sont dans l’air du temps. Aujourd’hui ne pas «slacker» c’est ne pas être «hype», préférer Microsoft c’est être rétrograde.
Slack est l’original. Les «vrais» utilisateurs veulent Slack. Slack a créé un marché. Slack est cool. Slack fonctione bien. Mêmes les entreprises ont fini par écouter leurs utilisateurs et leur donner du Slack.
A priori Microsoft a raté le train et Slack est là pour rester et croître.
Le hype et les produits de niche ne survivent pas en entreprise
Mais il faut se garder des conclusions hâtives, notamment dans le monde de l’informatique d’entreprise. Si la consumérisation de l’informatique d’entreprise est en route, les pure players (acteurs grand public qui rentrent sur le marché entreprise) sont désormais concurrencés par des «legacies» qui ont appris la leçon (voir mon précédent billet sur Office 365 ).
Souvenez vous de Netscape. Et Internet Explorer, pourtant largement inférieur, finit par l’emporter.
Souvenez vous d’une autre lettre ouverte qui a fait beaucoup parler d’elle en son temps.
L’histoire retiendra que jamais Apple ne réussira à l’époque à acquérir en entreprise le statut qu’il avait dans le grand public. D’ailleurs, ironiquement parlant, le vrai vainqueur de la bataille entre Apple et IBM de l’époque fut… Microsoft.
Aujourd’hui Slack est «hype». Demain il sera commoditisé et tous les acteurs de l’enterprise software auront leur slack like.
Aujourd’hui Slack est une niche. Pour survivre un acteur de niche doit être rentable sur son seul et unique produit tandis que les généralistes peuvent occuper une niche en se rémunérant sur des produits mainstream. Regardez les réseaux sociaux d’entreprise. Coté français BlueKiwi semble être en phase terminale, Jive, le pure player exemplaire, est à la peine. Les seuls qui ont l’air de se pouvoir se permettre continuer à avoir et développer une telle offre ont l’air d’être ceux qui peuvent la «passer» au milieu de deals plus globaux. Il faut avoir un réseau social d’entreprise dans son offre mais on ne gagne pas d’argent uniquement avec un réseau social d’entreprise dès lors que d’autres, déjà en place, peuvent le fournir à marge très réduite ou nulle. Et finalement ce sont IBM et Microsoft qui ont gagné.
Parce qu’il faut bien voir qu’au delà du Hype, une solution comme Slack (et probablement Teams) ne peut convenir aux besoins et usages de tout le monde en entreprise. Cela fonctionne à la DSI, en R&D, pour quelques équipes spécifiques mais en aucun cas pour tout le monde. Or Slack est cher, très cher.
Comment vendre très cher un produit de niche alors qu’un concurrent déjà implanté dans les entreprises le propose non pas gratuitement mais inclus dans une suite dont tout le monde dispose? Slack fait face à un challenge que personne à ma connaissance n’a relevé avant eux: dépendre d’un seul produit de niche qui a un concurrent disponible dans une suite présente chez le client et donc activable à un coût marginal nul.
Il reste une chance pour Slack: que le produit soit infiniment meilleur que Teams. Malheureusement la fameuse lettre ouverte ne fait que donner des arguments à Microsoft puisque chaque point évoqué pourrait tout autant être utilisé par Teams contre Slack. J’ajouterai même qu’à force de se reposer sur ses lauriers, Slack a totalement négligé son expérience utilisateur, à tel point qu’on peut se demander s’ils ne désiraient pas être clivants entre ceux qui avaient «l’état d’esprit Slack» et les autres. Arrogance fréquente chez les startups porteuses d’un nouveau modèle qui va balayer l’ancien alors qu’en matière d’informatique d’entreprise l’évolution va davantage dans le sens de la cohabitation que de la destruction créative (encore une fois souvenez vous des réseaux sociaux d’entreprise).
Soyons clairs: la position de Microsoft dans l’entreprise fait que même avec un produit largement inférieur ils auraient eu la peau de Slack à terme alors que là ils ont un produit au moins équivalent et, à mon avis, supérieur en termes d’usabilité. Moins clivant.
Slack? Let them die.
Le bruit a couru à une époque de la volonté pour Microsoft de racheter Slack pour un peu moins de 10 milliards de dollars…mais la décision a été prise de développer un produit maison. Décision sage car le développement de Teams a certainement couté infiniment moins et arrivera au même résultat.
Cela me rappelle une rencontre avec Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, à Paris, il y a une petite dizaine d’années. Lorsqu’on lui a demandé s’il comptait racheter Viadéo pour accélérer sur le marché français sa réponse a été: «Let them die». Sous entendu, mon produit et ma stratégie sont meilleurs, inutile de dépenser de l’argent pour rien, il finiront par mourir. Ironiquement LinkedIn a été racheté par Microsoft depuis mais je serais curieux de savoir si Satya Nadella a pensé à Hoffman en faisant cet arbitrage.
Le débat n’est même plus sur la qualité du produit, son utilité, son ROI. Il n’y a aucune raison objective pour une entreprise disposant de Office 365 de payer pour Slack. C’est abrupte mais incontestable.
Alors je sais bien qu’il n’est pas populaire d’aller contre le «hype» et le «cool» du moment mais je ne vois pas comment Slack peut s’en sortir. Bien sur il restera un marché de Geeks, de petites entreprises, de start-up à leurs débuts… Mais l’essentiel du marché est promis à Microsoft. Comme d’habitude.
Au delà du cas Slack c’est un sujet auquel toutes les startups s’attaquant au marché de l’entreprise, principalement sur des usages internes, devraient réflechir. Ouvrir un marché et le dominer mérite le respect mais n’est pas gage de victoire. Un jour les éditeurs traditionnels, après vous avoir laissé évangéliser, arrivent avec un produit similaire, voire inférieur, mais au sein d’une offre globale qui rend son cout marginal quasi nul et «tue» le marché. A ce stade la startup n’a d’autre choix que de se vendre ou disparaitre. C’est ce qui fait que sur le marché «consommateur» des nouveaux entrants peuvent prendre le pouvoir et tuer les anciens leaders alors qu’en entreprise IBM, Microsoft, Oracle et SAP sont toujours là. Qui a réussi à s’installer durablement ces 10 dernières années? Salesforce? Qui d’autre? CQFD. A moins d’être vraiment meilleur, de s’attaquer à un process clé ou de s’imposer comme le centre d’un écosystème les premiers disrupteurs sont rarement les vainqueurs.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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