L’arrivée du numérique bouleverse l’agriculture comme beaucoup d’autres domaines, mais ce bouleversement comporte quelques spécificités. Il se caractérise par 4 ruptures majeures :
- L’agriculture de précision permet de gérer un champ non plus comme une zone homogène, mais comme un patchwork de parcelles aux caractéristiques différentes.
- Les capteurs fournissent des données en temps réel pour chaque parcelle. Il devient possible de mesurer avec exactitude l’impact de chaque pratique dans un environnement donné. Ces données peuvent être partagées, consolidées et mises à disposition d’autres acteurs que l’agriculteur.
- La multiplication des données et leur simultanéité vont faire rentrer l’agriculture dans le monde du big data et modifier les modèles agronomiques. Cette quantité de données raccourcira les cycles d’apprentissage des nouvelles pratiques. L’agriculteur a désormais accès à une information diverse, sur mesure, même en l’absence d’un technicien de proximité. C’est une opportunité d’autonomie, de choix plus large de ses fournisseurs et de ses conseillers.
- Enfin, les outils collaboratifs augmentent le partage d’expérience. Cette pratique ancestrale de l’échange «par-dessus la haie» franchit désormais les limites géographiques.
Le secteur est en train de vivre une véritable révolution. Pour l’Europe, la dernière en date remonte aux années 60, avec l’apport simultané de la mécanisation, des nouvelles méthodes de sélection (les hybrides), de la fertilisation minérale et de la phytopharmacie.
Cette e-révolution irriguera tous les modèles d’agriculture, et potentiellement nous aidera à faire face aux 4 défis du siècle:
Produire plus et plus régulièrement: Demain il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains, alors que les terres disponibles pour l’agriculture diminuent, que les aléas climatiques se multiplient et que les meilleures zones agricoles sont confrontées au plafonnement du rendement. Comme pour toute activité, le simple fait de mesurer fait progresser le décideur en l’aidant à prendre du recul sur ses pratiques. Sans s’affranchir de l’aléa climatique, l’agriculteur pourra demain mieux gérer son risque et donc son revenu.
Produire la qualité attendue: de plus en plus exigeant, le consommateur attend des filières sécurité alimentaire, traçabilité et régularité des produits. Au lieu de constater une qualité a posteriori, il est désormais possible de la piloter. Selon les informations remontées par les capteurs, une coopérative peut adapter l’allotement de sa collecte et un éleveur les compléments alimentaires de ses vaches à la qualité de fourrage attendu.
Préserver l’environnement: jusqu’à aujourd’hui, la connaissance fine du sol était l’apanage de quelques spécialistes, et n’était que partielle. Elle prend aujourd’hui une nouvelle dimension, les capteurs remontant des données d’une grande précision et jusqu’alors jamais combinées. Ainsi, le sol est désormais au centre de la pratique, ouvrant l’opportunité de mieux le préserver, et de mieux maîtriser d’autres ressources, comme par exemple : la gestion raisonnée de l’irrigation, l’optimisation des passages du tracteur, la substitution du désherbage par le binage (robotisation), le choix optimisé de la génétique, le ciblage et l’adaptation des doses de produits phytosanitaires selon le niveau d’infestation constaté. Enfin, l’appréciation fine des systèmes de culture à l’échelle d’une région devient possible ; c’est d’ailleurs l’ambition du Laboratoire d’Innovation Territoriale pour les grandes cultures en Auvergne, un projet collectif dont l’initiative revient à la Coopérative Limagrain.
Développer toutes les agricultures: les nouvelles technologies ne sont pas réservées aux grandes fermes high-tech de l’Europe ou de l’Amérique du Nord. Du satellite au smartphone, elles deviennent accessibles aux petites exploitations de polyculture et à l’agriculteur africain ou indien. De nombreuses start-up procurent un conseil personnalisé, comme par exemple des analyses de sol instantanées qui se passent d’un laboratoire. Dans ces pays où le potentiel agronomique est peu exploité, l’agriculture vivrière peut entrevoir de belles perspectives de progrès.
Ce mouvement qui est en marche depuis quelques années en est encore à son balbutiement. Nous manquons encore de données, l’accès aux technologies est bien souvent réservé aux geeks, les systèmes d’information restent fermés. Les règles de propriété et d’utilisation des données doivent encore être négociées entre les acteurs de la filière, au bénéfice des agriculteurs et de la collectivité. Les métiers d’agriculteur et de conseiller s’enrichiront, car l’un comme l’autre devront consacrer plus de temps à l’analyse et à la décision.
Une course contre la montre est engagée entre les acteurs traditionnels et les entreprises high-tech. Pour réussir ce challenge, les entreprises françaises disposent de nombreux atouts, mais doivent s’engager dans l’open data, la standardisation, et l’accompagnement des équipes dans la valorisation de l’information. L’investissement des acteurs de l’agriculture dans les start-ups et la création de véritables écosystèmes de l’Agtech en plusieurs points du territoire sont les signes qu’une dynamique de fonds est en route.
Laurent Barthez est directeur projet agriculture numérique chez Limagrain
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