La fin des entreprises technologiques
Cela fait quelques années qu’on entend dire partout que demain toutes les entreprises seront d’une manière ou d’une autre des entreprises technologiques. Jeff Immelt, le CEO de General Electric ne dit d’ailleurs pas autre chose:
«If you went to bed last night as an industrial company, you’re going to wake up this morning as a software and analytics company.»
«Si vous vous êtes couchés comme une entreprise industrielle vous allez vous réveiller comme une entreprise de logiciel et d’analytics.»
Tesla comme Apple
Et pourtant…
C’est passé inaperçu pour beaucoup mais début février Tesla Motors a annoncé son futur changement de nom pour devenir Tesla Inc.
Cela ne vous rappelle rien? Au début des années 2000 Apple Computers avait discrètement supprimé le «computers» pour devenir Apple Inc. Un changement anecdotique sur le coup mais qui prenait tout son sens au travers de la stratégie de hub numérique de Steve Jobs. Logique renforcée par la suite avec la vente de musique, puis l’incursion sur le marché des téléphones, puis la vente d’Apps.
Si l’informatique devient avant tout une affaire d’usage on ne peut plus n’être qu’un constructeur d’ordinateurs sauf à accepter de se retrouver relégué dans les bas fonds de la chaine de valeur, là où les investissements sont lourds et la marge faible. Parlez en aux telcos qui ont mis longtemps à comprendre que maîtriser les tuyaux et laisser les contenus et l’expérience à d’autres était suicidaire.
La technologie est un mode de vie
Souvenez vous de Nicholas Negroponte et son «l’information n’est plus une affaire d’ordinateurs. C’est notre mode de vie».
On peut en dire autant aujourd’hui d’Internet, du logicel et de la technologie en général. La technologie se consomme, disparait derrière ses usages et les services qu’elle supporte, derrière des expériences. Elle est commoditisée à tel point qu’elle n’a plus d’importance en tant que tel dans la mesure où elle n’est plus le but mais le moyen.
Aujourd’hui les entreprises de technologie cherchent donc à s’inscrire dans un but plus large. Tesla réinvente la mobilité, Uber aussi d’une autre manière, de la même manière qu’Apple à réinventé notre rapport à nos loisirs et à notre mode de vie.
«Grand objectif transformatif», chaîne d’expérience et tâche à accomplir
Aujourd’hui, nulle entreprise ne peut se contenter de se définir comme une entreprise de logiciel ou de matériel. Elle doit inscrire ce qu’elle fait dans un un objectif plus grand, plus proche de l’usage voire du sociétal.
Souvenons nous de Kodak. Il a y beaucoup de raisons qui expliquent le déclin de l’empire Kodak. L’une d’entre elles est que Kodak s’est focalisé sur son produit en méconnaissant sa mission profonde. Alors que l’entreprise essayait de faire les meilleurs films, elle oubliait que ce que le client voulait était «garder une trace des moments qui comptent». Dans un cas on continue à faire des pellicules, dans l’autre le virage numérique est une suite logique.
On en revient au besoin de connaître la «tâche à accomplir» par le client, chose essentielle dans un monde de disruption. Entre prendre des photos et garder des traces des moments de sa vie il y a un monde. C’est le fameux «Job to be done» que beaucoup d’entreprises négligent au profit d’une culture produit. Starbucks a aussi compris que le «Job to be done» de ses clients n’était pas de prendre un café.
Au delà du «Job to be done» on trouve souvent la volonté (ou la nécessité) d’avoir un impact sur le monde et la société. Depuis que quelques leaders éclairés ont affiché de tels objectifs comme la raison d’être de leur business, c’est désormais un passage obligé pour tout dirigeant qui se veut dans l’air du temps. Pour réussir il faut non seulement une vision, mais une vision qui impacte le monde, la société, en transformant les choses. Ensuite ça peut se traduire par de la technologie.
Vient enfin la question de la chaine d’expérience qui remplace peu à peu la chaine de valeur. L’expérience de la technologie ne vient pas de la technologie mais, une fois encore de ses usages. Les entreprises de technologie tendent de plus en plus à investir non plus seulement de manière verticale sur leur chaine de valeur mais horizontale pour aller des secteurs connexes qui permettent de transformer leur technologie en vecteur d’expérience.
L’entreprise technologie à but non technologique
La technologie est partout, le geek est devenu consommateur (pour le meilleur et pour le pire) et donc l’outil n’est plus une fin en soi. Le client ne se satisfait pas d’une machine ou d’un logiciel intrinséquement performant, au summum de l’état de l’art, si les usages ne suivent pas. Au final il attend que cela améliore (au pire) ou change (au mieux) sa vie et sa conscience de l’utilité sociale de la technologie (et un brin de recherche de bonne conscience) crée également des attentes en termes plus sociétaux.
L’entreprise technologique n’est pas morte, et en effet, la technologie intègre le cœur de métier d’à peu près tous les secteurs. Mais contrairement à il y a encore peu, la technologie ne peut plus être la cause et la raison d’être d’une entreprise.
Le Geek doit désormais s’inscrire dans le monde dans lequel il vit.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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