L’impossible grand écart des marques grand public
90% des marques CPG aux U.S. ont perdu des parts de marchés et 68% ont vu leurs ventes décliner. (source «a tough road to growth»- Catalina Marketing 2015)
Pourtant les marchés de ces même marques sont généralement en croissance et les personnes que je rencontre chez les marques sont la plupart du temps brillantes. Malgré tout, le constat est sans appel.
Alors que se passe-t-il pour ces marques, longtemps considérées comme des écoles du marketing?
Evidemment, si elles sont capables plus que quiconque d’innover, souvent leurs succès les plus notables datent du 20 ème siècle et leur plus grande faiblesse réside dans leurs difficultés à remettre en question leurs méthodes de pensées dans un environnement qui a totalement bougé à cause du digital.
Elles font en effet face à deux menaces inédites: d’un coté, elles sont confrontées à de petites marques qui grignotent des parts de marché et de l’autre les géants de la tech qui les pressurisent en maîtrisant la quasi intégralité des formats publicitaires (Facebook/Google) voire en lançant des produits concurrent une fois compris le marché (Amazon).
Des petites marques niches qui bouleversent le marché
Comme le note Scott Galloway dans son dernier article, si le digital a eu des impacts multiples, il en est un qui ne s’est pas trop fait remarquer au premier abord: l’émergence des marques niches dont le développement à été soutenu et encouragé par le digital.
En effet, si au 20ème siècle, les principales sources d‘informations étaient la TV, la presse et les amis, les choix malgré tout restaient très réduits.
A cette époque, le «vu à la TV» était un critère décisif de réassurance.
Les grandes marques CPG maîtrisaient parfaitement ces canaux et ne laissaient pas vraiment de place à de petites marques de grandir.
Avec le Web, les consommateurs peuvent trouver exactement ce qu’ils cherchent cette petite marque niche qui correspond parfaitement à leurs besoins.
Dès lors, pourquoi choisir une bonne marque généraliste souvent aux tarifs dopés à la pub quand je peux trouver et accéder à un produit excellent qui correspond précisément à mes besoins avec un rapport qualité/prix intéressant?
Ainsi, les petites marques sont généralement en croissance sur les marchés.
Ces marques ont toutes 4 éléments en commun:
-
Elles sont focus:
Le modèle des grandes marques est relativement simple: un produit pour couvrir le plus de besoins possibles quand les petites marques niches s’adresse à une problématique de manière parfaite. L’un des exemple les plus connu est «dollar shave club» qui s’est rapidement positionné sur un rasoir simple mais sur un modèle d’abonnement mensuel car le fondateur avait trouvé un point de friction dans l’achat et le coût des lames de rasoir.
Dans la beauté, aux U.S. eSalon propose de commander votre couleur de cheveux personnalisée.
Dans la restauration, on voit à Paris fleurir des restaurants hyper experts: le resto du sandwich au fromage, le resto des boules de viandes ect….
Dans le sport, le cycling n’est pas nouveau et peut se trouver dans presque toutes les salles de sport mais Let’s Ride ou Dynamo l’ont modernisé, ne proposent que cela et l’exécutent parfaitement pour une cible particulière de clients.
Les exemples sont multiples et touchent presque tous les secteurs d’activité.A ce jeu là, le Web est un grand allié car les consommateurs savent désormais chercher et Google les y aide à travers son «quality score».
Ces derniers ont appris à chercher précisément ce qu’ils cherchaient et quand une marque répond précisément à la demande, c’est gagné!
Le «vu à la TV» est devenu «4,5 étoiles sur Amazon». La recommandation d’autres consommateurs a largement supplanté la crédibilité que l’on donnait à la TV auparavant.
-
Elles sont rapides:
Une marque traditionnelle va mettre longtemps à innover quand à l’inverse les tendances se sont largement accélérées.
Les petites marques, par nature, sont plus agiles et doublent systématiquement les marques installées.
L’agilité d’un My little Paris est sans doute l’exemple le plus probant, leur capacité
Nous verrons plus tard que cette agilité est aussi une culture.
-
Elles utilisent les canaux en croissance:
Les marques niches savent où la distribution est la plus simple et la plus efficace.
Elles ne respectent pas de vieille règles ou de vieux partenariats et n’hésitent pas à vendre sur Amazon par exemple.
Dans le même temps, les marques installées essaient tant bien que mal de travailler avec des distributeurs qui eux même sont un peu perdus.
Si vous n’avez pas lu tous ces articles sur les difficultés du retail aux U.S., en voici un.
-
Elles utilisent parfaitement les nouveaux canaux de communication:
Ces marques sont les plus efficaces sur Instagram.
Question générationnelle, mais aussi de circuit de validation, de guidelines souples ou simplement de focus (petite marque = petit budget = focus sur Instagram et quelques autres canaux).
La corrélation entre business et instagram dans un secteur comme la beauté a été prouvée et est calculé par Millward Brown et Ipsos.
La question pour ces marques fulgurantes reste leur longévité potentielle.
Finalement, elles sont des laboratoires pour les grands groupes qui les rachètent quand elles atteignent une taille suffisamment intéressante mais souvent à prix d’or (1 milliard pour Dollar Shave Club).
Le web créé une nouvelle asymétrie des forces puisque l’accès au savoir et la communication de masse sont désormais à la portée de tous.
Les GAFA, les meilleurs ennemis des marques CPG
Aujourd’hui, si vous demandez à un marketer, il se plaindra souvent que Facebook modifie les règles du jeu en permanence, qu’il en est totalement tributaire et que c’est de plus en plus compliqué à gérer.
Pourtant, sa prochaine question sera sans doute: «comment est-ce que je peux mieux utiliser Facebook?».
Avec le recul, c’est assez intéressant de noter à quel point l’engouement des marques pour Facebook en 2008/2009 a donné au réseau social la parfaite opportunité de mieux intégrer des populations de différents pays.
A l’époque, les marques avaient tout intérêt à être présentes car Facebook était une sorte de CRM simplifié. Une fois vos «fans» récupérés vous pouviez parler à 100% d’entres eux de manière organique… la suite nous la connaissons tous.
Facebook (inclu Instagram) mais aussi Google ou Amazon ont réussi le tour de force de prendre les marques en otage.
Aujourd’hui, aux U.S., 90% du budget média en ligne est trusté aux U.S. par Facebook et Google.
En France, 29,6 du budget media va au digital (Etude Sri, Udecam, PWC) et Facebook + Google représentent 68% du marché publicitaire digital (marché France).
S’il est impossible de se passer des GAF (Apple est à part ici) dans son mix marketing, le risque pour les marques est de perdre en pertinence.
En effet, du point de vue de la distribution, si Amazon est devenu un automatisme pour de nombreux internautes, cela a évidemment un impact sur l’offre que le géant va proposer.
Amazon, à force d’apprendre sur les consommateurs a exactement la même stratégie qu’un Décathlon, Carrefour ou un Sephora mais à la puissance Amazon, c’est-à-dire qu’il capable de faire du produit de grande conso de qualité suffisante pour récupérer une part substantielle des parts de marché.
De manière générale, l’enjeu pour les marques va être d’utiliser les GAF non pas comme une béquille à un modèle en déséquilibre (contenu générique + media – la course au contenu est perdue d’avance et le média va couter de plus en plus cher) mais comme un appui stratégique pour aller plus loin dans un marketing modernisé centré autour de la data.
La porte de sortie: une modification en profondeur de l’état d’esprit
Si l’humain reste un humain et que fondamentalement les vieilles règles du marketing n’ont pas changé, le contexte lui a totalement bougé.
Le digital c’est avant tout une culture mais aussi une manière de lire le monde.
Je me souviens de cette discussion avec un CDO qui m’expliquait que le CEO d’une entreprise du Cac 40 générant des milliards de CA avait challengé son équipe digitale pour finalement accepter de «lâcher» 5 millions d’euros pour s’essayer au big data mais en demandant fermement des résultats avant 12 mois….
La technologie n’est pourtant pas une option.
On parle sans cesse d’Uberisation mais ces entreprises technologiques investissent lourdement en R&D et très peu en publicité. Le mix des marques CPG est précisément à l’inverse comme le rappelle Scott Galloway dans l’une de ses vidéos.
Ce déséquilibre est en train de créer un fossé entre les marques et les prestataires de ces dernières avec les conséquences que l’on imagine, une sorte de prophétie auto réalisatrice.
Le CRM n’est pas une option
Le CRM est un mot à la mode depuis au moins 2 décennies et les marques ont parfois investi dans des solutions techniques mais sans aucune conviction et sans donner les moyens aux responsables internes d’utiliser ces outils à plein.
Aujourd’hui on lui préfère le terme CEM (Customer Experience Management), mais quoiqu’il en soit l’enjeu est bien entendu une maitrise parfaite de sa base de donnée, une vue unique du consommateur quels que soient les canaux et les pays, une capacité à analyser et croiser la donnée afin d’envisager les prochaines tendances, d’apporter des solutions personnalisées bref de le transformer en actions marketing concrètes.
Les GAF peuvent aider les marques à y arriver mais encore faut il savoir utiliser ces plateformes pour ce qu’elles sont et ne pas «simplement» s’appuyer sur elles pour faire fonctionner un vieux modèle dépassé.
Encore une fois, la plus grande avancée du Web social est la capacité de lire et de comprendre les goûts des consommateurs et de pouvoir développer les produits qui correspondent aux attentes dans les délais les plus courts.
Cela implique de mettre en place des nouveaux modèles collaboratifs en interne afin d’accélérer les méthodes, de savoir penser petit, rapide et efficace plutôt de d’imaginer gros tout de suite ou encore, de savoir lire la donnée et de s’y intéresser de manière plus attentive.
C’était quand la dernière fois que vous avez lu un rapport de Buzz monitoring ou que vous avez mis votre nez dans le google analytics de votre marque?
A ce jeu là, certaines grandes marques ont compris et commencent à vraiment marquer une différence avec d’autres.
En France, l’exemple le plus probant est sans aucun doute le groupe Accor qui cherche sous l’impulsion de son CDO a vraiment être centré consommateur qui, à maîtriser sa données, à proposer des solutions nouvelles comme AccorLocal proposant une solution de conciergerie pour les voisins de ses hôtels.
Mais à l’instar d’une petite marque, Accor semble lancer dans un mode agile et non à grand renfort de publicité, un modèle qui correspond à une cible particulière.
Ainsi, il reprend les techniques les petites marques tout en luttant, on lui souhaite, efficacement contre un Airbnb.
Rien n’est perdu mais il est temps de ré-envisager sa manière de faire du marketing.
Grégory Pouy est le fondateur de LaMercatique, un cabinet de conseil de transformation digitale axé sur la partie marketing. Basé entre New York et Paris, il est « expert » marketing pour Frenchweb.fr. Pour suivre ses écrits et échanger avec lui :
Son blog: http://www.gregorypouy.fr
Son compte sur Twitter: @gregfromparis
Lire aussi: La transformation «digitale» est une erreur
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023