La Parisienne fait sa transformation digitale
« Il y a quelquefois, dans les personnes ou dans les choses, un charme invisible, une grâce naturelle, qu’on n’a pu définir, et qu’on a été forcé d’appeler le je ne sais quoi. »
– Montesquieu, Essai sur le goût
Oyez, la Parisienne est de retour ! De nouvelles marques françaises de prêt-à-porter, 100% digitales, taillent des croupières aux géants de la fast-fashion, avec leurs univers léchés et des communautés engagées, et réinventent le mythe de la Parisienne éternelle.
La Parisienne remixe son état d'esprit
Longtemps associé aux marques de luxe, comme Chanel ou Dior, ou plus récemment à des égéries comme Inès de la Fressange ou Caroline de Maigret, le chic parisien connaît depuis peu une nouvelle jeunesse grâce à l’essor de griffes françaises contemporaines. Sézane, Rouje, Balzac Paris, Maison Standards… Ces marques, lancées par des entrepreneurs jeunes et baignés de culture digitale, s’approprient et twistent à la sauce millenial ce fameux “je-ne-sais-quoi” insaisissable qui fait le sel de l’élégance à la française, et dont le pouvoir d’attraction serait irrésistible, notamment à l’international.
Morgane Sézalory, fondatrice de Sézane
Ces nouvelles griffes proposent pour la plupart un vestiaire qui mise sur la qualité. Composées de basiques au style cool mais étudié (à moins que cela ne soit l’inverse), les collections sont souvent animées de séries éphémères pour le côté addictif. Modulo quelques différences de positionnement – plus ou moins bohême, urbain, ou classique, des considérations stylistiques sur lesquelles nous ne nous épancherons pas ici –, ces designers incarnent la French Touch nouvelle génération du prêt-à-porter, un état d’esprit auquel Isabel Marant ou Vanessa Bruno avaient pavé la voie avec succès dès les années 90.
Isabel Marant, The Telegraph, mai 2017
Slow-fashion, direct-to-consumer et story-telling
La nouveauté réside dans le business model, la distribution, le marketing, le service : les opportunités offertes par le numérique permettent de nouveaux modèles économiques, notamment direct-to-consumer. Les entrepreneurs réduisent leurs charges d’exploitation, suppriment les intermédiaires, les loyers, les vendeurs (et en même temps, ne refusent pas le off-line… Ah, on me dit dans l'oreillette qu'il y a un nouveau mot-valise pour ça : le phygital :-). Les économies se répercutent sur leurs prix, et rendent cette mode accessible à un plus grand nombre. Par ailleurs, les créateurs sont souvent leur meilleur ambassadeur : la personnalité du créateur et la griffe se confondent souvent, donnant (enfin) corps à l’expression (la plus exaspérante de la mercatique moderne) “ADN de marque”, instaurant un story-telling crédible et attachant, et un rapport de confiance et de proximité. Ils savent toucher leur cible avec un usage éclairé des réseaux sociaux, Instagram en tête. Un supplément d’âme apprécié par des consommateurs désormais conscients de leurs comportements d’achats et fatigués de la fast-fashion sans esprit, dont l’éthique de production a soulevé récemment de nombreuses questions.
Engagement de la communauté, sélection étroite et pointue de produits de qualité, brand content, points de rencontre off-line… Une nouvelle approche du retail, que Mary Meeker recense d’ailleurs dans l’édition 2017 de son rapport-culte Internet Trends (slides 57-63). Tour d’horizon non-exhaustif de ces nouvelles marques qui “changent les règles” du prêt-à-porter.
Concept Maison Standards, capture d’écran
Sézane
Chineuse dans l’âme, après avoir vendu des vêtements customisés sur eBay, puis organisé des ventes vintage évènementielles, Morgane Sézalory a lancé sa ligne Sézane en 2013. Souvent citée comme la success-story du secteur, elle revendique 409 000 abonnés Instagram et presque autant sur Facebook, 100 000 clientes et jusqu’à 20 000 commandes par mois. Elle propose quatre collections par an, complétée par des séries éphémères et limitées, et revendique un soin particulier apporté à la qualité des produits et du service. Son univers léché, aux frontières du lifestyle, se décline désormais dans la vraie vie, grâce à quatre adresses parisiennes : l’Appartement Sézane – emblématique de la tendance des “boutiques-appartements” –, la Librairie (un espace-café dédié aux livres et à la maroquinerie), la Conciergerie pour le retrait et le retour de commandes, et l’Atelier pour la mode Hommes. Sézane a aussi collaboré dès 2014 avec Madewell, marque du géant américain casual chic J.Crew, pour apporter la Parisian Touch outre-Atlantique (avec beaucoup de marinières, donc ;-)
L’Appartement Sézane. Crédit : Dmitry Kostyukov for The New York Times
Balzac Paris
Balzac Paris a été créé en 2011 par Chrysoline de Gastines, son mari et un ami. Ils ont d’abord commercialisé des noeuds-papillon et des cols Claudine made in France et sur mesure, puis des sweat-shirts d’inspiration littéraire. Le succès leur permet de lancer ensuite des collections fabriquées en France et au Portugal, composées de basiques, complétées par des séries limitées et de collaborations. Ils capitalisent sur le numérique et la force de leur communauté (76 000 abonnés Instagram, 61 000 sur Facebook) pour se développer. Le futur Sézane ?
Chrysoline de Gastines, co-fondatrice de Balzac Paris (source : Balzac Paris)
Rouje
Pionnière des blogueuses, mannequin, égérie de marques, actrice, créatrice… Jeanne Damas est l’archétype de la it-girl à la française, qui est devenu sa persona et son business. Rouje, la marque créée par l’influenceuse forte de ses 467 000 abonnés sur Instagram et la styliste Nathalie Desaix, ne propose que des modèles aux prix inférieurs à 200 euros. 25% de son chiffre est fait en France, mais la marque concentre actuellement ses efforts sur les Etats-Unis, qui concentre sa plus forte croissance.
Instagram Rouje
Maison Standards
Uriel Karsenti a lancé Maison Standards en 2013. Passé par des marques renommées comme Barbara Bui et Pierre Hardy, il développe une ligne de basiques de haute qualité à prix juste, direct-to-consumer, animées par des collections-capsules. Concentrée sur la qualité du produit, très à l’écoute des feed-back de ses clients pour améliorer ses produits, Maison Standards souhaite désintermédier le prêt-à-porter et le revendique, via une communication et un marketing transparents. Ainsi, plutôt que se plier à l’incontournable exercice des soldes, la marque pratique le “Pay what want” qui permet aux clients de choisir son prix de vente, selon trois critères : le prix le plus bas couvre les coûts de production, le deuxième réunit les coûts de production et les coûts de logistique, et enfin le prix le plus élevé permet à l’entreprise de générer des bénéfices.
Maison Standards possède aussi son show-room parisien. Fidèle à son identité 100% digitale, c’est un espace de présentation, essayages, conseil et de rencontre avec la marque, la transaction se déroulant toujours sur le site. Le chiffre d’affaires a dépassé le million d’euros en 2016, auprès de 20 000 clients. Un déploiement à l’international est prévu dès 2018. En juin 2016, Experienced Capital, le fonds spécialisé créé par Frédéric Biousse, Elie Kouby et Emmanuel Pradère, artisans du succès de Sandro, Maje et Claudie Pierlot, et qui avait déjà investi dans Le Slip Français, est entré à hauteur de 45% du capital.
Maison Standards, capture d'écran
Miaou
Moins connue en France, la plus américaine de toutes, la créatrice Alexia Elkaim cartonne en ce moment aux Etats-Unis avec ses jeans Miaou, d’inspiration rétro. Selectionnés par Opening Ceremony pour son pop-up store à la Fashion week de New-York, ils frôlent la rupture de stock dès qu’ils sont portés par les starlettes américaines du moment, comme Selena Gomez, Bella Hadid ou Kendall Jenner, dont la visibilité et l’influence ne sont plus à démontrer (215 millions d’abonnés à elles trois sur Instagram).
Alexia Elkaim, Miaou Jeans. Crédit : Appearhere
La French Girl, darling des médias internationaux
I woke up like this, dit le mème internet, inspirée par la très américaine Beyonce dans son titre Flawless : c’est pourtant un bon résumé du mythe de la Parisienne 2017. La Parisienne fantasmée est effortless : élégante sans en faire des caisses, elle a de la personnalité mais ne cède pas aux tendances sans lendemain – d’où sans doute le penchant prononcé de ces marques pour le combo basiques de bonne facture / séries en quantités limitées. D'abord destinées à maitriser le risque pour une marque qui débute, il est intéressant de noter que ces séries en petites quantités sont désormais un argument de vente imparable de ces entreprises, jouant à plein la carte de la rareté et du FOMO (Fear Of Missing Out).
I woke up like dis (flawless)
Mais la définition est suffisamment vague et ce je-ne-sais-quoi allusif pour que toute béotienne tentée par la mue parisienne cherche à en savoir plus. Les magazines féminins anglo-saxons ne s'y trompent pas : les contenus destinés à décrypter les secrets de la métamorphose pullulent sur les sites spécialisés, et sont hashtagués comme tels. Et aux dires des éditeurs (Who What Wear, In Style, Vogue…), ce sont des succès d'audience. Si l’on considère leur déclinaison jusqu’à plus soif – inventaire à la Prévert : "How To Get The French Girl Look", “French Girls Avoid These Swimsuit Styles”, “4 Stylish French Girls Reveal What They Wear Instead of Leggings” (mon préféré), “Parisian Style 2.0: Meet the New French Brands on Our Radar”, “How French Girls Really Feel About Engagement Rings”, “11 Rules for Mastering the Art of French-Girl Style”, “The Secret To French Girl Hair”… N’en jetez plus ! –, on veut bien les croire.
Who What Wear et InStyle, captures d’écran
La notoriété et la fascination exercée par certaines blogueuses sur le créneau (initié par il y a dix ans par Garance Doré et autres Blog de Betty) et l'essor de ces nouvelles marques rendent l'exercice de style d'autant plus facile à pratiquer. Ainsi, la market place anglaise Lyst a indiqué que les recherches sur les jeunes marques françaises ont enregistré une hausse de 45% sur le trimestre dernier, et que l’éditorial et l’emailing autour de ce thème transforment de manière très significative. Et parce qu’on est jamais aussi bien informé que par une Parisienne (en l'occurrence Fany Péchiodat), My Little Paris a lancé une déclinaison anglophone de sa newsletter “La Parisienne”, diffusée deux fois par semaine. L’entreprise distribue déjà sa box beauté en Allemagne, au Royaume-Uni et au Japon.
La Parisienne, My Little Paris
Figure de l'inconscient collectif, féérique et polymorphe, féminine, amazone ou androgyne, la Parisienne n’est pas facile à cerner – d’aucuns disent même qu’elle est chiante, ce qui est totalement faux mais participe cependant de son charme. Mais pas de doute, la french girl est toujours bel et bien bankable.
Sézane x Madewell, collection 2016
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