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L’arrivée d’Amazon dans le Retail, par la grande porte, déclenche une onde de choc considérable! La suite?

C'est en quelque sorte un écho parfait à mon post de février dernier «Pourquoi et Comment Amazon Peut et Va Disrupter le Retail Physique!» où j'écrivais que non seulement l'entrée de la pieuvre/du tsunami de Seattle dans le retail était aussi logique qu'inéluctable, mais aussi que certains retailers finiraient par se faire racheter par Amazon…

Amazon a annoncé la semaine dernière qu'il rachetait Whole Foods, une grande chaine américaine de magasins née il y a près de 40 ans, spécialiste des produits bio, belle marque assez inspirationnelle, comptant pas loin de 500 magasins (essentiellement en Amérique du Nord, quelques magasins au UK) et réalisant 16 milliards de dollars de chiffre d'affaires (faites le ratio, vous comprendrez que ce sont des grands magasin des quelques milliers de M2 en moyenne). 8 millions de paniers par semaine au total, et une base estimée de clients uniques – plutôt haut de gamme – autour de 30 millions. Quand je suis à New York, j'adore aller à leur magasin du Columbus Circle, sous le Time Warner Center.

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A noter que des rumeurs de rachat de Whole Foods par Amazon avait déja circulées en début d'année, et que Jeff Bezos aurait finalement décidé de passer son tour. Visiblement, quelque chose a fait qu'ils sont revenus à la charge. Whole Foods n'a plus tout à fait le lustre d'il y a quelques années, à périmètre comparable ils étaient à -2,5% en 2016 et étaient encore sur une tendance similaire en 2017. Certains investisseurs activistes s'impatientaient, cherchant à revendre à des fonds de Private Equity, et poussant à des restructurations qui commençaient à porter leurs fruits, ceci expliquant donc peut-être cela: Amazon ne voulant pas voir disparaitre l'opportunité, ou ne voulant pas la payer bien plus cher plus tard.

Quant à Amazon, l'alimentaire était encore l'énorme bastion à conquérir, c'est aux US un marché de 1000 milliards de dollars environ, je crois, sur lequel ils n'étaient encore qu'un joueur marginal. Whole foods était donc de facto une belle cible pour se renforcer dans le secteur, de manière très significative. L'alimentaire est non seulement clé car c'est un énorme secteur, mais il est aussi et surtout clé car c'est un secteur à forte récurrence. En moyenne d'ailleurs, les clients Whole Foods y font 30 passages par an. Qu'y a t'il de mieux pour sceller une forte relation que la récurrence d'achat?

L'acquisition se fait aujourd'hui pour 14 milliards de dollars environ, avec une prime de 28% sur le cours de Bourse de la veille. Au niveau d'Amazon et de ses 500 milliards de dollars de market cap, ce n'est pas une méga acquisition, mais c'est tout de même et de très loin la plus importante de leur histoire (la deuxième étant Zappos en 2009 pour un peu moins de 900 millions de dollars), d'une part, et d'autre part elle est porteuse d'une signification et d'un message assez inquiétant pour la concurrence.

En rachetant Whole Foods, Amazon gagne ainsi de nombreuses années de développement dans son plan retail, ce qui est évidemment une très mauvaise nouvelle pour les retailers à dominante alimentaire qui pensaient encore être tranquille quelques années. L'histoire s'est subitement accélérée hier et ainsi, très logiquement l'action Walmart, 1er retailer mondial avec environ 500 milliards de dollars de chiffre d'affaires, a perdu 5% sur la seule journée d'hier, soit une diminution de market cap de l'ordre de 10 milliards de dollars! Target perdait lui aussi 5%,Costco -7%, et Kroger -10%…

Et cette onde de choc ne s'arrête pas là, avec maintenant quelques centaines de points de présence physique en plus, qui sont autant de bases logistiques pour étendre Prime Now (proposé dans moins de 20 villes actuellement aux US), Amazon pourrait aussi inquiéter les licornes du food/grocery delivery comme FreshDirect, Hellofresh ou Instacart (dont Whole Foods était rentré au capital). Les centaines de millions voire les milliards de $ investis par les capitaux risqueurs dans ces business sont… à risque, des licornes pourraient se retrouver amazonées et décornées.

Whole Foods offrant déja une livraison en 1h, via justement Instacart, on peut s'attendre à ce qu'Amazon mette maintenant le paquet dessus et reprendra à son compte ce service. Il va cependant falloir casser le contrat (qui était sur 5 ans), mais je ne crois pas que ça dérange réellement Amazon de payer pour fortement pénaliser un concurrent dans ce service clé.

Un Whole Foods moyen c'est 30000 références dont près de 6000 exclusives de belle qualité, on peut aussi s'attendre à ce qu'elles se retrouvent dans les Amazon Go et sur Amazon Fresh.

Je m'attends aussi à ce qu'Amazon fasse profiter Whole Foods de toutes les technologies qu'il a développées pour le retail, et a déja commencé à expérimenter avec Amazon Go. Il est clair qu'il sont très en avance en la matière, même s'il reste beaucoup à faire, ce pourquoi j'expliquais en février dernier qu'ils avaient largement les moyens de disrupter le retail physique et d'y réussir là où d'autres n'y arrivent pas, et/ou d'y être bien plus rentable que les autres en optimisant, grâce à la techno, tout le process.

Quant on a la capacité d'offre une livraison ultra-rapide au meilleur coût car on a les technos et les meilleurs process, ou quant on peut offrir aux consommateurs l'option de venir se servir dans un magasin sans passer par une caisse quelconque car on maitrise d'autres technologies, que va t'il rester aux retailers qui ne possèdent pas ces technos? A tort ou à regret, on vit dans une société de consommation d'immédiateté, et Amazon travaille justement d'arrache pieds depuis de nombreuses années sur les technologies propres à satisfaire notre besoin d'immédiateté.

De manière générale, la date du 16 juin 2017 est bien à marquer d'une croix blanche, comme un tournant dans le retail. Dans la presse américaine, on pouvait d'ailleurs trouver des termes comme «grocery apocalypse», «the Amazon bomb»

Je lisais il y a quelques heures que le rachat de Whole Foods par Amazon était la preuve que le retail n'était pas mort. Certes…Je n'ai pour ma part jamais douté que le retail avait encore un bel avenir, mais j'aurais de suite envie de dire d'une part «ça dépend pour qui», et d'autre part «ça dépend comment on s'y prend et ce qu'on y vend»!

Alors, et maintenant, c'est quoi la suite!?

Ca fait un certain temps que les grands retailers généralistes subissaient la concurrence d'Amazon via l'e-commerce et qu'ils devaient très sérieusement se réinventer, revoir l'organisation, le merchandising, réallouer les surfaces, etc. Il y a 5 ans, ils en avaient encore le temps. A l'époque Amazon ne pesait que 60 milliards de dollars de chiffre d'affaires, et ne dégageait pas beaucoup de cash flow. 5 ans plus tard, c'est devenu un mastodonte qui devrait dépasser les 170 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2017, rendant heureux plus de 400 millions de clients de part le monde, jouissant d'un système logistique B2C incroyable, ayant fortement renforcé sa capacité technologique, et dégageant un cash flow très confortable (autour de 15 milliards de dollars / an).

Pour un certain nombre de retailers généralistes ou alimentaires, il est probable que c'est maintenant trop tard. Amazon est juste devenu trop puissant, et eux trop faibles pour réellement se relever. Ils risquent de lutter en vain et de s'étioler progressivement sauf à considérer l'option éventuelle de downsizer radicalement et massivement, et de se focaliser sur quelques segments (géographiques et/ou sectoriels) où ils pourraient encore jouir de quelques avantages concurrentiels, du moins pour quelques temps.

Par ailleurs, pour ceux qui étaient encore sceptique, il n'y a plus aucun doute aujourd'hui qu'Amazon veuille devenir un commerçant multicanal global, avec une forte présence physique, et je pense que dans le futur la firme va acquérir d'autres chaines de magasins, selon les opportunités. En clair, aucun retailer ne sera tranquille. Pour espérer résister, il faudra être une marque-retail intégrée, avec des produits spécifiques incorporant beaucoup de valeur ajoutée, jouissant d'un excellent positionnement, et une marque très forte.

Mais de manière générale, l'insatiable rouleau compresseur Amazon est probablement devenu aujourd'hui non stoppable par quiconque. Sa vision initiale, «start with the customer and work backwards» était simplissime mais d'une pertinence inouie, puis ils ont magnifiquement exécuté à travers les années, améliorant inlassablement l'offre et la proposition de valeur, toujours pour aller encore plus dans le sens du consommateur, et ce notamment grâce à la technologie qu'ils maîtrisent infiniment mieux qu'aucun autre retailer.

Car la technologie, c'est l'ADN même d'Amazon, mais qui est utilisée très intelligemment et à bon escient pour servir le consommateur, ce n'est pas la techno pour la techno. Elle est au service de la mission, qui est de servir le consommateur le mieux possible, dans une perspective très long terme, en allant sans cesse de l'avant («always day one»). Et aujourd'hui, cette approche simple, pragmatique mais diaboliquement pertinente et efficace commence à magnifiquement payer.

Les prochains horizons en matière de technologies appliquées au retail seront certainement liés à l'Intelligence Artificielle au sens large, et Amazon travaille évidemment déja lourdement dessus, avec une bonne avance sur ses concurrents. Lire attentivement les propos de Jeff Bezos dans sa lettre aux actionnaires 2016:

«We’re in the middle of an obvious trend right now: machine learning and artificial intelligence. Over the past decades computers have broadly automated tasks that programmers could describe with clear rules and algorithms. Modern machine learning techniques now allow us to do the same for tasks where describing the precise rules is much harder. At Amazon, we’ve been engaged in the practical application of machine learning for many years now. Some of this work is highly visible: our autonomous Prime Air delivery drones; the Amazon Go convenience store that uses machine vision to eliminate checkout lines; and Alexa our cloud-based AI assistant. (We still struggle to keep Echo in stock, despite our best efforts. A high-quality problem, but a problem. We’re working on it). But much of what we do with machine learning happens beneath the surface. Machine learning drives our algorithms for demand forecasting, product search ranking, product and deals recommendations, merchandising placements, fraud detection, translations, and much more.

Though less visible, much of the impact of machine learning will be of this type – quietly but meaningfully improving core operations. Inside AWS, we’re excited to lower the costs and barriers to machine learning and AI so organizations of all sizes can take advantage of these advanced techniques.»

Autre effet collatéral, le monde du «retailtech» regorge de start-up qui améliorent chacune tel ou tel aspect de l'expérience ou la gestion des magasins (cf ci-dessous), mais quid de ses start-up si beaucoup de leurs clients disparaissent ou se font racheter par un acteur qui est déja intrinsèquement une fantastique société de technologie et qui maitrise dèja tout cela?

CBInsights

Et pour toutes ces start-up du retailtech du dessus (notamment) qui rêveraient éventuellement de se faire racheter une fortune par Amazon, je ne voudrais pas refroidir les enthousiasmes, mais comme le disait récemment un observateur avisé:

«Amazon is a conservative buyer. They think long term and they don’t get seduced by high-flying valuations…. Amazon is unlikely to overpay for a high-flying, fully baked platform as the basis for the next dreamy business. They are more likely to fill gaps through smaller deals, which makes M&A less central to their strategy than it is to a company that expands to entirely new markets through acquisitions.»

Si aucun acteur ne peut aujourd'hui stopper Amazon… je vois néanmoins un scénario

Et à y réfléchir en effet, la seule vulnérabilité d'Amazon qu'on peut imaginer à ce stade, c'est que leur excellence absolue et leur force colossale, qui va les faire grossir encore et encore à un très bon rythme, et encore plus s'ils continuent les acquisitions…va finalement les faire devenir à terme trop gros et trop dominant... et que l'anti-trust s'en mêle!

L'histoire pourrait et devrait se répéter, comme ce fut le cas dans les années 80 avec ATT, démantelée à l'époque en 7 «baby bells», et avant eux encore en 1914 la Standard Oil de John D. Rockefeller, qui fut démantelée en une trentaine de sociétés.

Quand la Standard Oil fut démantelée, au terme d'un procès pour position dominante voire monopolistique, elle faisait un chiffre d'affaires d'environ 1000 milliards de dollars actuels. Amazon n'en est pas encore la, mais ils atteindront sans aucun doute ce chiffre d'ici 7 à 10 ans. Rendez-vous donc entre 2025 et 2030, je prends les paris qu'on s'inquiètera alors plus que très sérieusement de la toute puissance d'Amazon. Et que déja dans 2 ou 3 ans ça va commencer à bruisser.

Aujourd'hui Amazon est l'ami du peuple, ils nous apporte la plus vaste sélection de produits de la terre, à des prix bas, et avec un service parfait. Que demander de plus? Qui pourrait ne pas les aimer et a fortiori s'amuser à les critiquer? Amazon est en France à la fois le commerçant le plus aimé et le plus respecté. Je ne vois encore aucun journaliste parler de «position dominante». Mais je suis sûr que ça va venir assez vite. De fait, via ses ventes en direct et via sa place de marché, Amazon doit déja être pas loin de la moitié du web US dans certains segments…

Un Amazon omniprésent et hyper dominant, un Jeff Bezos qui deviendra dans quelques années l'homme le plus riche du monde avec plus de 100 milliards de patrimoine, tout cela pourrait modifier la perception du consommateur et muer l'image du good guy qu'est aujourd'hui Amazon en un ogre insatiable et sans pitié qui tue des concurrents, qui détruit globalement des emplois, qui «optimise» sa fiscalité, etc…

Finalement, le seul vrai concurrent d'Amazon qui en viendra à bout, c'est probablement lui-même! C'est même presque mécanique et inéluctable… et c'est juste le résultat de leur excellence!

Mais, d'ici la, dieu que ça va devenir compliqué pour beaucoup ! Peut-être que les plus gros, Walmart en tête (4700 magasins aux US, 10 fois plus que Whole Foods), qui aujourd'hui met les bouchées triples (acquisition de Jet.com pour 3,3 milliards de dollars, acquisition de Bonobos il y a quelques jours, etc), peuvent tirer leur épingle du jeu, mais pour les autres, plus petits, avec moins de moyen?

michel-de-guilhermier

 

Michel de Guilhermier est le président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners. Il est aussi investisseur dans le fonds ReachFive. 

 

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Un commentaire

  1. Merci mille fois Michel pour cet article de grande qualité (comme toujours). Effectivement, le principal risque pour un tel mastodonc, c’est la régulation à long terme ! Je pense aussi que le retail va poursuivre sa concentration, et dans cette manoeuvre, l’atout techno d’Amazon sera son atout maitre.

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