Tant va l’expérience à l’eau qu’à la fin elle se casse
L’expérience est pour beaucoup un concept central de la transformation digitale. Un mot qui a soudainement fait irruption dans le quotidien de beaucoup de monde mais qui n’a rien de neuf: l’acte fondateur de toute la réflexion est The Experience Economy de Joe Pine dont la 1ere édition date de 1999!
Dit autrement: ce qui est vu aujourd’hui par la plupart des gens comme un buzzword digital servant à vendre des feux artifices sur des écrans Web est au départ une réflexion profonde sur les nouvelles formes de création de valeur. L’un est sûrement la conséquence de l’autre mais il est intéressant de voir pourquoi on utilise le mot expérience de nos jours.
L’expérience, ce mot valise à glisser dans toutes les phrases
Donc on dit plus «lire une page» mais «consommer une expérience».
On ne dit plus «votre page est en cours de chargement» mais «votre expérience est en cours de chargement».
On ne dit plus «en un clic j’ai ajouté un nouveau bloc de texte» mais «j’ai créé une nouvelle expérience».
On ne dit plus «laisse-moi prendre tes données pour t’afficher de la pub» mais «on utilise des cookies pour vous délivrer une meilleure expérience ».
On ne dit plus « t’as vu l’effet visuel sur la home page» mais «t’as vu l’expérience?».
On ne dit plus «depuis votre dernière visite» mais «depuis notre dernière expérience».
On ne dit plus «nous avons deux bureaux en ville» mais «nous proposons à nos client et collaborateurs deux expériences dans Paris intra-muros».
Dernièrement j’étais dans un aéroport en cours de rénovation et des pancartes affichaient, autour des zones en travaux, «nous travaillons à transformer l’expérience passager». En fait, il s’agissait de transformer un parcours linéaire entre le contrôle de sécurité et les portes d’embarquement en un parcours non linéaire qui impose de traverser le duty free. En fait d’expérience client c’est plutôt l’expérience marchand qu’on transforme.
Aujourd’hui, il est clair qu’en B2C ou B2B on ne peut plus rien vendre sans caser le mot magique «expérience» quelque part. Mais alors que certains continuent à travailler le sujet sur le fonds, avec une logique de valeur, d’autres, peu importe leur secteur d’activité ou leur métier sont en train de généraliser deux définitions de l’expérience.
L’expérience, concept en voie de charlatanisation
1°) «Truc qui se passe sur un écran»
2°) «Chose que le client refuserait sans un habile habillage marketing autour»
Vous avez le choix entre «bullshit» et «vaseline qu’on met autour d’un vieux suppositoire».
Je me pose la question de savoir pendant combien de temps le client va continuer à acheter le concept sans se rendre compte qu’on se moque allègrement de lui? Et, in fine, que deviendront les approches sérieuses sur le sujet lorsqu’on jettera irrémédiablement le bébé avec l’eau du bain.
Ou alors, à l’inverse, c’est peut être le jour où on ne pourra plus en parler que le sujet sera mûr et qu’on pourra travailler le fonds sans tambours ni trompettes.
L’expérience survivra-t-elle aux charlatans? Je pense qu’on sera fixés d’ici un an.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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