On nous a dit que le marché de la food delivery était bouché, trop concurrentiel. On nous a dit qu’il n’y aurait de la place que pour un seul, que notre modèle était trop restreint. On nous a dit surtout que ce n’était qu’une histoire d’argent, que ce serait celui qui lèverait le plus qui survivrait.
On y est allé, sans réfléchir. Jusqu’à l’asphyxie.
Ca a commencé très simplement, il y a 2 ans et demi, dans les sous-sols de The Family avec Benoit et Joseph, mes deux amis d’enfance. Notre premier repas livré. Ce rêve de gosse nous a mené au delà de ce que nous aurions pu imaginer. A toute vitesse. Passage de 0 à 100 repas/jour en moins de 6 mois, un rythme ininterrompu de 35% de croissance par mois en moyenne et aujourd’hui, plusieurs milliers de repas livrés au quotidien.
Le Nouvel Eldorado
En 2015, la Food delivery explose en France.
Elle est alors perçue comme le nouvel eldorado, la poule aux oeufs d’or. Et il y a de quoi! Le marché est énorme, les habitudes de consommation changent. L’enjeu pour tout le monde est simple: grossir vite, très vite, pour ne surtout pas louper le train.
Après 10 mois et plus de 900K€ levés, nous ne faisons pas exception à la règle, et mettons tous nos efforts pour soutenir notre croissance à deux chiffres, sans penser à autre chose. Surtout pas à dégager des marges.
En effet, à quoi sert d‘être rentable dans un secteur où l’argent coule à flots ?
La Gueule de bois
Mais, en Juillet 2016, TakeEatEasy — en cessation de paiements — sonne la fin de la fête. Coup de tonnerre également dans le monde anglo-saxon, oùMaple, SpoonRocket et Sprig annoncent leur chute. C’est tout le secteur qui s’ébranle: peut-on réussir dans la food delivery? Et si l’équilibre économique était finalement impossible à atteindre?
En parallèle, nous venions de cramer allègrement la quasi totalité de notre levée. En moins de 4 mois. Autant dire qu‘on se posait les mêmes questions.
Bizarrement et malgré ces alertes, on nous affirme qu’il faut rentrer dans la course aux levées de fonds, que c’est le seul moyen de rester dans le jeu. Investir toujours plus pour combler des pertes toujours plus grandes. C’est la logique de l’investisseur qui finance un acteur en espérant secrètement financer la tombe du voisin. A moins que ça ne soit la sienne.
Et si la clef était ailleurs ?
Cette stratégie de «Terre Brulée» qui cherche à détruire la concurrence par un financement à perte est parfaite pour les plateformes de livraison. Mais nous ne sommes pas une plateforme de livraison. Nous sommes avant tout un restaurant. Et l’important pour un restaurant est de dégager des marges. C’est peut être pour ça que tous les restaurants virtuels US ont échoué.
Tu seras rentable, mon fils
Avoir de la traction quand on répond à une nécessité aussi universelle que celle de bien manger est presque un jeu d’enfant. En revanche, réussir à générer des bénéfices est un peu plus compliqué. C’est le chat noir de la food delivery. Les paniers moyens sont faibles, les marges réduites, la pression concurrentielle énorme.
En septembre 2016, notre cashburn n’est toujours pas maîtrisé.
C’est beau de dire qu’on refuse de rentrer dans la course aux levées de fonds, mais il faut quand même assurer sa survie et s’en donner les moyens. La pression financière s’intensifie.
Pour essayer de comprendre ce qui coince, on se lance dans une vérification quotidienne des coûts, facture après facture, à tous les niveaux de Nestor. Et ça n’est pas beau.
On découvre que notre croissance exponentielle repose en fait sur des bases en carton, et que si on ne change rien, on va droit dans le mur. Ah, la croissance est délirante, oui, c’est génial.
Mais en fait, ça fait 18 mois que je ne maîtrise pas ma boite.
Par exemple, côté fournisseur, il y a systématiquement une différence de 30% entre le prix négocié et le prix facturé. Juste parce qu’on ne vérifie pas. Ca paraît insignifiant sur le papier, quelques kilos d’aubergines ou de carottes en plus, sauf qu’à la fin du mois cela représente plus de 30 000 euros en moins dans les caisses. Tout ça dû à un manque de gestion.
C’est là où l’on voit qu’on est dans un business de centimes.
Chaque opération doit être prévue, checkée et disséquée. A tous les niveaux.
Supply is Everything
La priorité n°1 est de remettre les achats au coeur de Nestor. On ne peut pas scaler correctement un restaurant si la supply ne suit pas.
Contrôle draconien des factures, segmentation plus poussée des fournisseurs: Fabien — notre acheteur — travaille comme un fou furieux et reprend tout. Renégocie tout. On privilégie les producteurs spécialisés, aux grossistes intermédiaires. On passe ainsi de 5 fournisseurs généralistes à plus de 30 spécialisés, avec parfois 3 fournisseurs pour une même catégorie de produits.
Le rapport de force change. Les prix aussi.
Les résultats sont probants: en l’espace de de 4 mois, on divise par 2 nos coûts matières.
Trust your data
On s’attaque ensuite à un autre point clef: les pertes alimentaires, encore beaucoup trop élevées.
Avant, on produisait au jugé. «Tiens, ce plat on l’adore, il va cartonner». Et du coup on produisait soit trop, soit pas assez. Ca représentait quelques milliers d’euros par jour de pertes sèches ou de manque à gagner.
Stéphane, notre ingénieur maison, a pris le problème à bras le corps en créant son propre algorithme. Une véritable machine de guerre, capable de prédire nos ventes en utilisant toutes les data à notre disposition (historique des ventes, météo, vacances, etc). Et qui nous fait passer de +20% à 4% de gâchis.
Bonjour,
Et bravo pour cette mise en lumière !
Comme je le dis souvent , La Palice n’aurait pas dit mieux !
Je côtoie ce genre de problème au quotidien avec des entrepreneurs de tout bords. Il faut plusieurs choses pour avancer : une idée, mais surtout un business model (comment je gagne de l’argent ?) et un suivi / une gestion hyper rigoureuse
Après un certain nombre d’années dans la grande distribution, je peux dire que la rigueur et la maîtrise des coûts suffisent souvent à rendre une entreprise rentable mais cela aide aussi à faire de meilleurs choix stratégiques !
Bonne route à vous Nestor
Erwan
La blague dans tout ça, c’est que Nestor ne paye pas ses fournisseurs, et s’en réjouit d’ailleurs – en interne. Au lieu de crier votre rentabilité sur tous les toits @Sixte, quand est-ce que cela changera ?
Content de voir que la supply est prise en compte à sa juste mesure. Quelle qpproche pour optimiser vos coûts de livraison du dernier km ?