Dans la Silicon Valley, la marque Macron séduit mais ne convainc pas encore
Par Jeanne Dussueil, journaliste
A San Francisco, dans un Uber pool partagé, il n’est pas rare de féliciter chaleureusement le passager Frenchy. Pour les 65 000 ressortissants habitants la Bay, selon les estimations du consulat, et les touristes français, il faut parfois répondre, avec courtoisie, au : «Hey, congratulations!» du chauffeur saluant l’élection du nouveau locataire de l’Élysée. Dans un État historiquement désintéressé de la chose politique, progressiste, et farouchement opposé au style autoritaire du Président Trump, les messages envoyés par Emmanuel Macron ont atteint leurs cibles. Outre-Atlantique, en cette rentrée, entrepreneurs et fonds d’investissements guettent les premières mesures business-friendly de France.
«Il y a un intérêt grandissant avec Macron», confirme Arnaud Muller, CEO de Saagie, une start-up française spécialisée dans la data et business intelligence, l’agence publique née de la fusion d’UbiFrance et de l’Agence française des investissements internationaux en 2014. Et précise:
«Longtemps nous avons été perçus comme un pays non-entrepreneur, presque communiste. Le phénomène Macron accélère ce changement de regard». Pour lui, c’est certain: «il y a une appétence plus forte pour les entrepreneurs français, mais on part de très loin…»
Même son de cloche du côté des fonds: «Tous les Américains ont l’image que faire du business en France est impossible». Depuis, Macron est perçu comme «une vraie volonté d’entreprenariat», observe pour sa part Jacques Benkoski, partner au sein de U.S Venture Partners, le fonds actionnaire notamment de box, HotelTonight, et de licornes e-santé.
Trump absent, Macron attentif
Dans la Valley, les Américains sont d’abord sensibles au message de marque. Tandis que Donald Trump rejetait les accords de Paris début juillet, le président français surfait sur la vague du «Make the Planet Great Again». «Ici la méthode pour signer des clients, c’est beaucoup de marketing», rappelle Matt Lhoumeau, CEO fondateur de la start-up Concord. «Il y a une ébullition autour de la France aujourd’hui, c’est intéressant», constate encore cet ex-artisan de la campagne de Nicolas Sarkozy et ancien collaborateur de Xavier Niel au sein de Free.
Si la France de Macron apparaît plus clémente, ce n’est pas pour autant qu’elle devient le nouvel Eldorado aux yeux des Californiens. «Nous avons un président moins attentif à la Tech, et vous c’est l’inverse. Mais si vous avez des ambitions globales, c’est toujours une bonne idée de venir ici… malgré Trump», oppose Blake Armstrong.
A 32 ans, cet Américain a connu les deux écosystèmes de part et d’autre de l’Atlantique. «J’ai quitté la France il y a un an, lorsque le contexte était difficile pour Heetch et en pleine guerre entre Uber et les taxis. J’ai vu beaucoup trop de talents ne pas aller jusqu’au bout», regrette ce banquier d’affaires francophile.
«Le financement par la dette et la culture tech manquent en France»
De Washington D.C, le «Hollywood for the ugly», comme on surnomme la capitale sur la côte Ouest, les Californiens n’en attendent rien. «Trump n’a pas annulé le programme start-up mis en place par Obama, c’est déjà ça», observe Marc Pertron, CEO de Livemon, une autre prétendante française au marché américain spécialisée dans l’IA et le monitoring des services informatiques. Tandis que 17 milliards de dollars ont été levés par les start-up de la Valley (hors dette) depuis 2012 (CBInsights), dans les quartiers bordés de palmiers et de piscines de Menlo Parko, les mesures politiques ne sont pas prêtes de remplacer le mythe de la ruée vers l’or.
En réalité, les acteurs de la Valley qui connaissent bien l’Hexagone ruminent depuis des années leur remède à prodiguer. «L’écosystème du financement par la dette et la culture tech manquent en France. Ici les taux pour emprunter sont moins élevés, moins de 10% avec une période négociable sans aucun remboursement sur les impayés restants», explique Blake Armstrong de SVB, qui est entré au capital de 382 sociétés via des warrants ou des stock-options à hauteur de «moins de 1% du capital selon le montant du prêt». «Nous sommes un peu l’équivalent de Bpifrance, – un modèle qui n’existe pas aux Etats-Unis -, puisque nous, nous sommes privés», sourit-il alors qu’il assure que SVB, qui possède 26 bureaux dans le monde (mais n’a pas de licence en France pour opérer), est, elle, profitable.
Dans le Golden State qui abrite 52 600 start-up, dont 128 licornes (valorisées 1 milliard de dollars ou plus), seulement dans la Silicon Valley, – un record à l’été 2017-, selon PitchBook, « jamais les fonds n’ont eu autant d’argent à investir qu’aujourd’hui», affirme cet ancien Parisien. Dans la Valley, il serait plus de 18 000 investisseurs (BA et fonds) recensés par Angelist. Emmanuel Macron peut-il implanter l’ingrédient VC à sa «Start Up Nation»?
«Le capital c’est comme l’eau: il coule là où c’est plus facile de couler. Vos grandes entreprises sont présentes dans plus de start-up en France; elles viennent remplacer l’équivalent de nos fonds de pension… Mais si vos corporate achètent beaucoup de jeune-pousses, peu les valorisent sur le long terme.» Et de conclure:« Il faut libéraliser le marché du travail. Cela va donner confiance aux entreprises et mécaniquement baisser le chômage».
Du reste, dans la Valley à la fin 2016, le taux de chômage plafonnait à 4%, son plus bas historique depuis la première vague Internet des années 2000.
Prévue pour 2022 par le président français, la «Start Up Nation» semble passée de mode. «Débrouillez-vous en France pour attirer les grands groupes américains. C’est la première marche de la start-up Nation. C’est la stratégie choisie par Israël et c’est la seule qui marche; il faut cette étape essentielle. Vous n’allez pas passer du jour au lendemain à la start-up Nation», affirme le partner Jacques Benkoski.
«Quête de perfection VS prise de risque»
Loin de leur pays d’origine, les Français implantés dans la Valley ont donc opté pour le pragmatisme à l’américaine. «L’état d’esprit est trop petit en France. Le pays doit être le monde. Par exemple, aucun entrepreneur ici ne diraient ici « je veux renforcer l’attractivité de la Vallée ». Cela doit être une évidence», pointe Dominique Piottet, CEO de l’agence digitale FaberNovel, la filiale implantée aux Etats-Unis.
Pour ces entrepreneurs qui oeuvrent à l’écart de la French Tech, le combat reste à mener sur l’état d’esprit. «Ici, les gens ont été éduqués à prendre des risques tandis qu’en France, on a été éduqué à critiquer. C’est le revers de l’esprit critique ; quand l’élitisme est poussé à l’extrême avec une quête de la perfection VS la prise de risque aux États-Unis», explique Julien Barbier, cofondateur de la Holberton School, une école de code, et qui résume deux approches entrepreneuriales opposées, mais aussi peut-être, deux styles de présidence.
La contributrice:
Jeanne Dussueil est journaliste.
Le fond est intéressant mais qu’est ce que c’est mal écrit, ça en devient presque pénible a la fin.