Les pièges à éviter avant de s’implanter sur le marché américain
Par Jeanne Dussueil, journaliste
L’intérêt des Français pour la côte Ouest des Etats-Unis n’est pas prêt de faiblir. En 2016, la baie de San Francisco et Los Angeles, deux importants bastions avec respectivement 65 000 et plus de 20 000 expatriés, ont connu les plus fortes augmentations du nombre d’arrivants (+30% et +15%) d’après les chiffres du consulat. Parmi eux, des créateurs de start-up, arrivés pour la plupart avec un Visa «H1B». Véritable miel pour ces abeilles entrepreneuriales, les 31,5 milliards de dollars d’investissements levés depuis 2009 dans la Valley, soit plus de 3 300 deals, selon CBInsigths. Mais la conquête de l’Ouest n’a rien à voir avec celle du Vieux Continent. «En arrivant, certains voient leurs certitudes être bouleversées», confie Romain Serman, le directeur Bpifrance aux Etats-Unis.
Pour celui qui fût ancien consul général à San Francisco avant Bpifrance, la première erreur se trouve dans le pitch. «En France, on présente différemment sa start-up; en montrant d’abord le produit. Aux Etats-Unis, c’est d’abord le problème que l’on adresse: les clients américains achètent aussi de la confiance ».
Pour Fabien Potencier, CEO de SensioLabs, l’erreur initiale consiste à ne pas prévoir le coût de la vie aux Etats-Unis, lors de la phase préparatoire en France. «On est un peu naïf, en arrivant on pense qu’il suffit de prolonger ce qu’on fait en France», a constaté celui qui conseille les start-up. Et précise: «Une boîte doit être prête à investir 1,5 à 2 millions de dollars (soit le coût de la vie plus les embauches en marketing et sales)». Sans compter les frais d’avocats pour la partie juridique. L’entrepreneur déconseille aussi d’embaucher ses développeurs à San Francisco. «Ils ne sont pas fidèles à l’entreprise», regrette-t-il.
La jungle de l’accompagnement
Tout semble ainsi se jouer les semaines précédentes l’arrivée des fondateurs aux Etats-Unis. Beaucoup d’acteurs, privés et publics en tête, en ont d’ailleurs fait leur fond de commerce. Car s’implanter en Amérique, c’est d’abord bien choisir sa formule d’accompagnement, entre l’offre Business France, les incubateurs privés type Y Combinator, 500Startups, The Refiners (dans lequel Bpifrance est actionnaire), ou les cabinets de consultants spécialisés dans l’implantation et la prospection.
«Pour 20 semaines à 19 000 euros, le programme de Business France, (financé à moitié par Bpifrance ndlr) a un rapport qualité-prix imbattable», estime Marc Pertron, CEO de Livemon, la start-up de gestion de l’IT dans le cloud. «Ils ne prennent pas d’equity, quand les autres programmes prennent au moins 5%», justifie cet entrepreneur qui vise l’Amérique deux ans après sa création. Pire, pour lui, les stars identifiées de l’accélération telle que le Y Combinator «ne se concentrent que sur les 10% de start-up qui vont cartonner, au bout de deux semaines de programme seulement, et moins sur les autres… C’est le tri à l’américaine.»
A cela s’ajoute «une grosse concurrence des espaces de coworking», renchérit Stéphane Alisse, responsable Business France qui a élu domicile à Galvanize, un espace de coworking installé dans le quartier tendance de «SoMa» (South of Market) à San Francisco. Après avoir accompagné 34 entreprises, l’agence publique veut attirer les futures licornes en présentant comme bilan ses «116 millions de dollars levés après le programmes» et «400 à 500 emplois créés en France suite à des ouvertures de filiales».
Un réseau en 15 minutes
Après l’arrivée, l’important est de durer. Et pour rester dans les mailles des fonds de la Valley, les contacts sont clés. «Ici tout marche par réseau, c’est une pratique qu’a par exemple parfaitement compris Cyril Paglino, le fondateur de l’application Tribe et qui s’est fait connaître de l’écosystème dans tout l’écosystème de Los Angeles», raconte Blake Armstrong, vice-président au sein de la banque d’investissement Silicon Valley Bank.
«Nous avons un rapport beaucoup moins hiérarchique au réseau qu’en France où ce qui se trouve plus haut… est inatteignable».
«Il n’y pas une seule porte fermée. On discute même avec nos concurrents pour avancer ensemble», s’étonne Arnaud Muller, CEO de Saagie, une start-up rouennaise éditrice d’une plateforme de BI et qui prospecte avec Business France.
A San Francisco, le bon contact ne se trouve pas uniquement dans une soirée-cocktail d’entrepreneurs organisée dans les quartiers chics. «Uber pool sert à faire son réseau et du business», raconte Blake Armstrong qui a vécu l’interdiction du service de partage entre particuliers «Uber Pop» en France, en 2015. Dans ces instants moins formels, «on peut rencontrer n’importe qui, mais en 15 minutes seulement». «C’est le deuxième rendez-vous le plus dur à passer, tandis qu’en France c’est en permanence», raconte encore Julien Barbier, fondateur de la Holberton School, une école de code dans laquelle il interdit à ses compatriotes d’échanger en français.
«Nous ne sommes pas là pour brandir l’étendard France»
Identifier quelques conseillers français aux Etats-Unis peut aussi être utile. Ce sont, entre autres, les Loïc Moisand (Synthesio), Jonathan Benhamou (PeopleDoc), Jérôme Lecat (Scality), Jeff Clavier (SoftTech VC), Fabien Potencier (SensioLabs), Sophie-Charlotte Moatti (Mighty Capital), Bruno Lévêque (Prestashop)… Mais ils ne sont qu’une première étape dans l’apprentissage.
Sur les 70 mentors mis à disposition par Business France, 1/3 vient du réseau French Tech.
«Le label French Tech n’apporte pas forcément; nous ne sommes pas là pour brandir l’étendard France. Les Américains apprécient seulement qu’on ait la R&D en France», affirme Romain Serman de Bpifrance.
Voir plus grand, mais aussi voir plus gros. «Il faut pouvoir parler d’exit à de potentiels actionnaires car cela en dit long sur vos ambitions. Les VC américains cherchent ceux et celles qui se revendent 500 millions à 1 milliard de dollars», affirme Romain Serman qui aimerait voir plus de réussites françaises sur le sol américain; «des Algolia, AB Tasty, TinyClues, Akeneo…».
Au final, il s’agit de surmonter le paradoxe entre prendre le temps de l’adaptation, tout en continuant d’accélérer. «Il est surprenant de constater que tout ce que l’on fait en France est totalement invisible pour les Américains. On travaille tout de même déjà avec Carrefour», a constaté Olivier Magnan-Saurin, CEO de la start-up Fidz Up, une solution de marketing mobile pour les retailers qui en conclut: «Il faut une part d’humilité. On a beaucoup de choses à apprendre et à réapprendre pour devenir global».
La contributrice:
Jeanne Dussueil est journaliste.