La metrics clé fondamentale que j’aime: la RIIC!
Par Michel de Guilhermier, président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners
Chacun a sa vision du monde, sa philosophie des affaires et sa voie de création de valeur économique, la mienne est très simple, pour aller loin et pour bâtir grand sur la durée, ce qui est mon but avec Day One notamment, il faut d’abord et tout simplement construire un coeur de business sain et rentable.
Ce qui, dans le bâtiment, s’appelle les fondations. Elles doivent être stables et solides.
Cela ne veut pas dire qu’il faille être rentable rapidement (parfois c’est même le contraire qu’il faut faire, cf mes explications plus bas), mais il faut arriver à la rentabilité intrinsèque le plus rapidement possible. Et à partir de là, ça devient alors assez magique car les options s’ouvrent, on peut moduler croissance et rentabilité à sa guise en fonction de ce qu’on cherche à obtenir, ce qui inclut le fait d’accélérer fortement en perdant très sereinement une petite fortune!
La Rentabilité Intrinsèque avant Investissement de Croissance, donc la «RIIC», est la rentabilité de l’entreprise obtenue en n’investissant que ce qui est nécessaire au maintien de son activité. C’est ce que dégage comme profit la société avant tout ce qu’elle injecte en sales & marketing, tech, etc, pour se développer et aller au delà de simplement maintenir l’activité «as it is».
Maintenir le business «as it is» demande cependant quoi qu’il arrive des investissements de Sales & marketing ainsi que des investissements techniques et de R&D:
1) Question Sales & Marketing, tout business connait un «churn» naturel, tout simplement parce qu’une partie de ses clients disparaissent inéluctablement du marché quoi qu’il arrive.
Par exemple, un Motoblouz, quelle que soit la qualité de sa prestation envers ses clients motards, a du churn car certains de ses clients arrêtent de faire de la moto pour des raisons variées (ie accident…); un Zenchef, quelle que soit la qualité de sa prestation envers ses clients restaurateurs, a du churn car certains de ceux-ci ferment leur restaurant (la mortalité du secteur est de l’ordre de 20% par an); et un hypermarché Auchan, quelle que soit la qualité de sa prestation, a du churn car certains de ses clients déménagent de région…
Donc, pour simplement maintenir son business au même niveau, l’entreprise a besoin de recruter autant de nouveaux clients qu’elle en perd naturellement, donc dans la plupart des cas d’investir en sales & marketing (car le flux « naturel » est souvent insuffisant).
Le point sera donc d’estimer ces dépenses de sales & marketing nécessaires au maintien du business. C’est parfois simple, parfois pas toujours. Ainsi, si une entreprise de type B2C qui a par exemple 100,000 clients en portefeuille, en churn 20.000, et que son coût d’acquisition client est de l’ordre de 20 euros, alors elle a besoin d’investir 400 000 euros par an pour maintenir son business. C’est évidemment très schématique, mais c’est l’idée.
2) Le raisonnement doit aussi être étendu aux services de R&D, et c’est là un peu plus compliqué encore. Ce service peut travailler à créer de nouvelles fonctionnalités, qu’on pourrait interpréter comme des investissements de croissance, mais ce n’est généralement pas le cas. En effet si la concurrence est vive et sort de nouveaux produits ou de nouvelles fonctionnalités régulièrement, alors l’investissement R&D n’est pas du domaine de la croissance mais simplement de l’ordre du maintien, pour simplement ne pas perdre pied sur le marché. Toute entreprise a en effet besoin d’une certaine dose de R&D pour ne serait-ce que se maintenir avec des produits adéquats. Apprécier cette dose n’est pas forcément chose simple, mais c’est essentiel.
Une fois qu’on a discounté tous les investissements effectués pour faire croître le business, et bien gardé uniquement ceux qui sont nécessaires à maintenir le business as it is, qu’ils soient du domaine Sales & Marketing, Tech ou autres,on arrive alors à la rentabilité intrinsèque.
Prenons 2 exemples:
1) Soit une entreprise B2B de SaaS, avec des revenus récurrents de 10M€ par an et qui a metrics suivantes:
- 10.000 clients en portefeuille, mais elle en churn 20% par an, donc en perd 2.000,
- Des frais opérationnels de l’ordre de 12M€ par an,
- Dont des frais sales & marketing de 6M€ par an,
- Un coût d’acquisition client de l’ordre de 1000€.
A ce stade, l’entreprise perd bien 2M€ par an (10M€ de CA, 12M€ de coûts), mais une partie de cette perte provient de son lourd investissement sales & marketing (on va pour l’heure oublier la R&D).
Pour compenser le churn de son business, de 2000 clients par an, elle n’a besoin d’investir que 2M€ (coût d’acquisition client de 1000€/client). Puisqu’elle investit 6M€ en Sales & marketing, il y en a donc 4M€ qui sont liés à des investissements de croissance et non pas de maintien du business «as it is».
La rentabilité intrinsèque de son business, avant investissement de croissance, est alors +2M€. Le coeur du business est bien rentable et si l’entreprise perd de l’argent c’est qu’elle a choisit de croitre très fortement. Elle aurait pu choisir de croitre tout en restant rentable, mais pour des raisons stratégiques, qu’on ne va pas discuter ici, elle a au contraire choisit de croitre encore plus fortement, quitte à perdre de l’argent.
2) Soit maintenant une entreprise B2C qui fait 20M€ de CA avec les metrics suivantes:
- 100.000 clients en portefeuille, qui reviennent à 50% par an (2 clients dans la base génèrent 1 commande dans l’année), donc génèrent 50,000 commandes par an.
- Un churn de 20% par an également, l’entreprise perd donc 20.000 clients par an.
- Un panier de 200€, une marge brute nette de tous frais variables de 40€.
- 6M€ d’Opex.
- Dont des frais sales & marketing de 2M€ par an, avec un coût d’acquisition client de l’ordre de 40€.
A ce stade, l’entreprise perd aussi 2M€ par an : 4M€ de marge – 6M€ d’Opex.
Une partie de cette perte provient de son investissement de 2M€ en sales & marketing (idem, on va pour l’heure oublier la R&D).
Pour compenser le churn de son business, de 200.00 clients par an, elle a besoin d’investir 800K€ (coût d’acquisition client de 40€/client). Puisqu’elle investit 2M€ en Sales & marketing, il y en a 1,2M€ qui sont liés à des investissements de croissance, et non pas de maintien du business «as it is», qu’on peut donc enlever de l’équation.
La rentabilité intrinsèque de son business, avant investissement de croissance, est alors de -800K€. Le coeur du business n’est pas encore rentable. Il le sera lorsque la base de clients sera (bien) plus importante et générera mécaniquement un repeat plus conséquent. En effet, 300,000 clients génèrent 150,000 commandes, soit 6M€ de marge brute, ce qui couvre bien les opex de 4M€ et les frais marketing pour compenser le churn naturel de 20%, ie 60,000).
Mon conseil à cette entreprise serait de voir comment fortement accélérerpour rapidement accroitre sa base de clients afin d’atteindre le plus rapidement possible la rentabilité intrinsèque avec 300.000 clients, gage alors d’options plus nombreuses…et de sérénité! Avec un caveat très important cependant : la faisabilité réelle de gagner rapidement 200,000 clients de plus sans dégrader son coût d’acquisition. Le jump n’est pas évident, passer de 100 à 300,000 clients…
Dit différemment, le chemin pour arriver à la rentabilité intrinsèque n’est pas du tout évident. C’est volontairement que j’ai pris un exemple de business B2C style eCommerce…car bien souvent – pour des pure players – ils sont dans des impasses économiques! Quand la RIIC est trop lointaine et demande trop de capitaux pour être atteinte, on est clairement pas dans une situation confortable.
Certes, il y a moultes entrepreneurs équilibristes pour qui «ça passe ou ça casse», mais encore une fois chacun sa vision du monde et sa vision des affaires…
Sur le fond, perdre des millions pendant des années parce qu’on investit de façon colossale pour faire croître sa base de clients le plus possible et devenir un fort leader n’est absolument pas un problème, pour peu que la rentabilité intrinsèque soit bien la in fine, et pour peu évidemment qu’on sache évidemment rassembler les capitaux pour tenir le temps qu’il faut!
Mais c’est aussi parce que le business est ou sera à terme intrinsèquement rentable qu’on peut en toute sérénité envisager d’accélérer et d’investir massivement pour la croissance.
Je me répète d’ailleurs, il est irresponsable d’accélérer tant qu’on a pas un business cadré au niveau de ses economics, et bien entendu sous contrôle en matière de reporting, contrôle des coûts et autres.
L’expert:
Michel de Guilhermier est le président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners. Il est aussi investisseur dans le fonds ReachFive.
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Merci pour cet article très intéressant. Pensez vous que la plupart des licornes qui sont souvent présentées dans la presse de manière assez simpliste comme « non rentables » ont en fait une RIIC intéressante mais impossible à lire sans analyse fine de leur comptes annuels ?