Les chatons virtuels à l’assaut de la blockchain
Par Virginie Gretz, co-fondatrice de Chainforge
Le 28 novembre a été lancée ce qui est peut-être la première application grand public de la blockchain Ethereum: Cryptokitties, un jeu de collection de chatons virtuels…
Ce qui ressemble à une «fake news» du 1er avril est en fait un projet beaucoup plus sérieux que la grande majorité des ICOs.
Cryptokitties est un jeu développé par AxiomZen, une société d’innovation de 80 personnes basées à San Francisco et Vancouver. Cryptokitties reprend les fondamentaux de jeux de collection tels que Pokemon: le joueur devient éleveur de chatons virtuels dont il doit acheter les premiers spécimens mais qu’il peut ensuite faire se reproduire entre eux ou avec ceux d’autres joueurs. Là où Cryptokitties innove par rapport aux jeux de «collectibles» classiques, c’est en rendant chaque chaton unique puisqu’il possède son propre patrimoine génétique (NB: certains gènes sont même récessifs). Les chatons s’achètent en Ethers, (la 2e cryptomonnaie après le bitcoin). Le nombre total de chatons de la génération initiale est pré-défini, et leur création se terminera dans 1 an (plus de détails sur le fonctionnement du jeu ici).
Le jeu repose sur 5 smartcontracts (c’est-à-dire du code informatique inscrit dans la blockchain et dont l’exécution est conditionnée à des événements du type «if…then…») et un algorithme génétique.
AxiomZen est rémunéré d’une part sur l’achat des chatons de première génération, mais également sur une commission payée lors des transactions, c’est-à-dire les ventes et la reproduction.
Cryptokitties est une expérience extrêmement intéressante qui permet de comprendre un certain nombre de concepts complexes qui sous-tendent la blockchain:
- la «digital scarcity», c’est-à-dire la rareté digitale puisque le nombre de chatons de première génération est limitée. C’est ce concept que la société dit avoir voulu explorer dans ce projet. C’est aussi le concept qui justifie de manière partiellement erronée la spéculation qui entoure le bitcoin dont la masse monétaire totale est actuellement limitée à 21 millions, mais ce sujet mériterait un post à part entière…
- la «permanence» puisque les chatons continueront à exister même si la société Axiom Zen disparait. Cette propriété est au coeur des systèmes distribués puisque les objets ne sont pas stockés sur un serveur mais sur les ordinateurs de la communauté des mineurs (de la blockchain Ethereum dans le cas de Cryptokitties). Cryptokitties diffère ainsi fondamentalement des MMOs tels que World of Warcraft qui dépendent d’une société et de serveurs pour perdurer.
- enfin, le concept d’objet virtuel unique puisque chaque chaton est créé avec son propre patrimoine génétique, ne peut être copié/cloné du fait de la blockchain. La probabilité d’obtenir un second chaton identique par reproduction est extrêmement faible. Les chatons ne sont donc pas une monnaie virtuelle mais ce qu’AxionZen qualifie de «cryptocollectibles» se rapprochent davantage de ce que sont par exemple des oeuvres d’art.
En une semaine, Cryptokitties a largement dépassé la phase expérimentale puisque le projet compte déjà plusieurs milliers de joueurs, et que le total des transactions s’élève à plusieurs millions de dollars. Les chatons les plus chers se monnaient déjà plus de 100,000 dollars.
Cryptokitties est ainsi devenu la première source de transactions sur le réseau Ethereum, occasionnant ainsi des délais d’«enregistrement» (minage) importants, au point que la commission payée aux mineurs a du être augmentée, et qu’une société a choisi de retarder son ICO jugeant que la congestion sur le réseau ne permettrait pas de la réaliser dans de bonnes conditions.
Cette première application distribuée mass-market – mais qui ne compte pourtant que quelque milliers d’utilisateurs – rappelle ainsi de manière aiguë la nécessité d’implémenter des solutions de passage à l’échelle supérieure de la plateforme Ethereum (telles que le Proof of Stake).
On notera enfin que d’autres jeux avaient été précédemment lancés sur des principes similaires tels que MoonRatRescue et Cryptopunks. Mais c’est là peut-être le principal enseignement de Cryptokitties: les chats sont définitivement les stars de la tech!
La contributrice :
Virginie Gretz a commencé sa carrière en Finance à New York et au Brésil. Elle a ensuite travaillé 8 ans chez Ubisoft, en fusions & acquisitions, business développement et production, puis 6 ans chez Google en tant que responsable des partenariats Europe du Sud. Elle a ensuite monté une start-up dans le domaine des objets connectés. Elle se passionne aujourd’hui pour les technologies relatives à la Blockchain et a co-fondé Chainforge, une structure d’accompagnement et de conseil de start-up.