Les premiers retours d’Olivier Ezratty sur le CES 2018
Les tendances observées pendant un CES de Las Vegas ne sont que l’agrégat des actions d’une nuée de fournisseurs, petits et grands, qui ont émaillé les mois précédents. C’est une photo un peu arrangée de l’état du marché à un moment donné. On ne découvre pas grand-chose de véritablement nouveau pendant le salon si ce n’est quelques nouveautés anecdotiques ou confirmations de ce que l’on sait déjà. Cette cuvée 2018 du CES n’échappait pas à ces règles. Intelligence artificielle, objets connectés en tout genre, véhicules divers et/ou autonomes, smart city, VR/AR et 5G étaient au rendez-vous comme prévu et mis à toutes les sauces par les petits et les grands exposants.
Le CES 2018 a grandi en taille, passant d’une surface d’exposants de 241 000 m2 à 255 000 m2 et d’environ 4200 à 4500 exposants, cette croissance étant principalement due au passage de la zone start-up Eureka Park de 600 à plus de 900 exposants. L’édition 2017 avait attiré 185 000 visiteurs et leur nombre sur 2018 n’a pas encore été annoncé. Certains exposants avaient l’air de trouver qu’il y en avait moins que l’année précédente. C’est possible mais attendons les chiffres pour juger. Ils seront publiés en mai 2018 dans l’audit annuel du salon. D’un point de vue pratique, si la surface du salon augmente avec un visitorat stable, ce dernier en devient mécaniquement plus dilué dans le temps et dans l’espace!
Le CES de Las Vegas est le temple du solutionnisme technologique pour reprendre l’expression d’Evgeny Morozov. On y trouve des solutions des plus variées à un nombre de problèmes plus ou moins importants. Chaque problème comme le sommeil donne lieu à une floraison de solutions de pertinence variable. Il faut donc faire son tri!
Les visiteurs qui découvrent le CES pour la première fois sont souvent surpris de la quantité de «junk tech» que l’on peut trouver sur le salon. C’est la réalité d’un marché divers où se cotoient de grandes marques prestigieuses comme Samsung ou Sony et des marques obscures produisant des copycats lowcost de produits courants, destinés à la grande distribution en MDD (marque de distributeur) ou bien aux canaux de distribution traditionnels des pays émergents. S’y ajoutent des centaines de start-up à l’imagination débridée.
D’autres appliquent au CES leurs propres biais cognitif, liés à leurs centres d’intérêt. Ils trouvent que cette année est le CES de l’automobile, alors qu’il l’a toujours été ainsi. Il en va de même pour la smart home ou les objets connectés. Les coques de smartphones? Elles n’ont pas disparu, elles ont juste changé de place, passant de North Hall à South Hall. Il faut toujours avoir le recul de plusieurs CES et faire un peu de fact checking pour valider ou invalider ses impressions subjectives sur les tendances du salon!
Le CES est aussi une sorte de laboratoire d’idées. Un grand nombre de start-up profitent du CES pour récupérer du feedback et ajuster leurs plans. Certaines se heurtent aux réalités d’un marché encombré de gadgets et à la cacophonie ambiante. Même les grandes marques abandonnent des produits annoncés au CES comme l’évoque cet inventaire d’Engadget sur le CES 2017.
Visiter le CES peut générer le tournis par un trop plein de numérique et illustrer un phénomène de saturation du marché. Au point que le thème de la digital detox est à la mode et génère ses propres produits matériels et logiciels (numériques) qui veulent nous aider à gérer nos addictions (numériques). Je n’en ai cependant pas vu de notables au CES.
Le CES est une photographie partielle d’un marché mondial complexe et disparate début janvier, et surtout dans sa dimension matérielle. Il est d’ailleurs vu avec une certaine condescendance par une bonne part de la Silicon Valley qui est plus centrée sur les logiciels.
Le marché et les produits évoluent toujours aussi plutôt lentement, sauf pour ce qui relève de la propagation virale d’applications mobiles. Le passage de la TV et de la vidéo à la 4K ou de l’audio à la HiRes est ainsi très lent tout comme l’adoption en masse de la réalité virtuelle ou augmentée. On croit que les choses s’accélèrent mais c’est une vue de l’esprit alimentée par la variété des domaines technologiques qui s’élargit continuellement. Leur nombre augmente, mais pas forcément l’adoption. C’est d’ailleurs assez logique. Plus l’offre se densifie, plus elle est difficile à assimiler, la bande passante humaine étant naturellement limitée par le temps et l’argent, même pour les produits censés être plug and play.
La mesure de l’adoption d’une technologie se fait avec le % de foyers ou d’individus équipés. Et à ce jour, aucune nouvelle technologie apparue ces dix dernières années n’a égalé l’adoption des smartphones. C’est un réel pain point de l’industrie.
Donc, cette année, le CES était tout à la fois, avec plus d’objets connectés, plus de réalité augmentée et virtuelle, toujours autant de beaux et grands écrans, plus de véhicules autonomes, plus de mobilité et de manière transversale, plus d’intelligence artificielle.
L’une des manières d’analyser un tel salon est de se poser à chaque fois une question clé: quels sont les problèmes que les exposants cherchent à résoudre et quels progrès ont-ils fait ces 12 derniers mois? Ce sont les questions que je vais traiter dans le Rapport du CES 2018 complet qui sera publié le 29 janvier 2018. Elles peuvent aussi bien impliquer les composants électroniques qui jouent un rôle déterminant que les modèles économiques. Les enjeux clés des composants sont leur puissance brute, leur consommation d’énergie, la capacité des batterie, l’amélioration des procédés optiques dans la réalité augmentée et virtuelle, les systèmes de télécommunications et de collaboration pour la smart city et les véhicules autonomes, l’orchestration des objets connectés, les standards dans tous les domaines, etc. Pour les utilisateurs, les besoins tournent autour de la valeur d’usage, de la simplicité de mise en œuvre et d’utilisation, de la protection des données privées et du prix des solutions.
Intelligence artificielle
L’IA était déjà bien présente au CES 2017, surtout incarnée par l’intégration fréquente de l’agent vocal Amazon Alexa dans une foultitude d’objets connectés de toutes catégories (haut parleurs connectés, robots, voitures, frigos, …). Ce CES 2018 marquait l’omniprésence de l’IA dans un bon nombre de produits, et notamment dans l’univers des objets connectés et bien évidemment dans l’automobile.
On y assistait à la fin de l’hégémonie d’Amazon avec la montée en puissance de l’écosystème de Google et de son Assistant. Google avait investi très gros sur ce CES pour rattraper son retard face à Alexa avec un stand en extérieur sur Central Plaza, des visuels sur le monorail de la ville de Las Vegas passant devant le salon et sur presque tous les billboards géants à LED de la ville. Dans le triptyque média du bought/owned/earned, c’était clairement du bought. De la présence achetée et pas du tout générée en apparence spontanément comme cela pouvait être le cas les années passées, comme autour d’Android.
Google avait déjà exposé au CES en 2006, à l’occcasion d’un keynote de Larry Page. Son stand de l’époque était modeste. Là, Google a massivement investi et comme s’il parlait au grand public avec des attractions dignes d’un centre commercial. C’était too much. Mais ce rattrapage était aussi visible sur les stands du CES. Au nez, il y avait plus de produits présentés supportant Google Assistant qu’Amazon Alexa, même si ce dernier n’a pas pour autant disparu. On est donc face à un duopole d’agents. Les autres comme Apple Siri, Microsoft Cortana ou Samsung Bixby semblent marginalisés dans l’écosystème.
Cette omniprésence de la commande vocale est en train de faire deux victimes: les interfaces graphiques et la dimension matérielle des produits. C’était manifeste sur le stand de Samsung où, à part dans l’électroménager, les démonstrations étaient complètement désincarnées avec des TV et un démonstrateur parlant à son smartphone ou à une télécommande, sans forcément bien se faire comprendre. Il en résulte par effet de vase communiquant une faiblesse dans les interfaces graphiques qui s’effacent derrière une voix tierce qui est difficile à démontrer. C’est dans l’ensemble moins fiable car il faut souvent encore répéter deux fois sa question pour obtenir gain de cause.
Ce passage du produit à l’usage est très bien dans l’absolu mais est en train de générer un nouveau casse-tête marketing pour les fournisseurs. Ils risquent de perdre leur marque et leur identité. Ou alors, cela aboutit à des scénarios ubuesques comme cette démonstration vue chez le Français Faurecia, qui est classique: on demande à Alexa de demander à Parrot (ou à n’importe quel autre «agent» ou «skill») de déplacer le siège! La commande vocale génère un résultat au bout de 20 secondes alors qu’un bouton le ferait en une seconde. Et il en va de même pour allumer une lampe dans une chambre d’hôtel du Encore! Cela prend aussi une vingtaine de secondes mais au moins, on ne risque pas de se brûler les doigts avec ces satanés interrupteurs placés près des lampes, une aberration américaine comme tant d’autres.
Heureusement cependant, l’IA ne se résume pas à la commande vocale! Elle représente par exemple une opportunité de plus de régler un problème lancinant des objets, notamment dans la maison connectée : la complexité de leur coordination. Des sociétés comme IFTTT s’y sont essayées avec plus ou moins de bonheur, en permettant de programmer des actions dans une application mobile. L’air du temps est aux systèmes intelligents qui apprennent par eux-mêmes en observant les tâches lancées manuellement par les utilisateurs afin de les automatiser. C’est l’orchestration automatique des objets connectés, que l’on peut trouver notamment chez la start-up française Ween.ai qui s’est d’ailleurs bien faite remarquer en étant une des trois plus grandes «trending topics» du salon pendant une journée. La start-up française CareOS se propose de son côté d’orchestrer le fonctionnement des objets connectés de la salle de bain, IA comprise, et en préservant localement la confidentialité des données captées, comme par les miroirs ou les brosses à dents connectés.
C’est aussi ce qu’essaye de faire LG Electronics avec sa ThinQ AI, sa marque ombrelle des produits blancs et bruns qui intègrent de l’IA qui sont interopérables. En 2017, LG faisait ami avec Amazon Alexa après avoir largué Microsoft Cortana, adopté en 2016. Fin 2017, LG lançait son Thinq, un équivalent d’Amazon Echo mais tournant avec Google Assistant. LG nous habitue ainsi aux revirements partenariaux! L’IA chez LG touche jusqu’aux systèmes d’air conditionné Dualcool ThinQ Stand Inverter Air Conditioner qui est maintenant commandable par la voix, le tout associé au DeepThinQ AI qui envoie l’air vers les personnes détectées dans la pièce. N’est-ce pas merveilleux ? L’IA de LG est ouverte sur les autres plateformes et gère l’apprentissage des habitudes des utilisateurs. LG sortait aussi des machines à laver le linge qui choisissent automatiquement leur programme en fonction du remplissage de leur cuve. Voilà une autre forme d’IA washing! En pratique, cela n’exploite pas du tout l’IA mais des tags RFID qu’il faut agraffer aux vêtements. Cette solution laborieuse risque de tomber dans les oubliettes de l’histoire du numérique aussi rapidement que les frigos qui savent ce qu’ils contiennent (ou pas…).
L’IA est aussi omniprésente dans les smartphones. Fonctionnellement avec des fonctions photo et vidéo de plus en plus sophistiquées mais aussi pour le login avec reconnaissance faciale comme avec la fonction FaceID de l’iPhone X. La reconnaissance d’images est aussi intégrée aux caméras de surveillance qui détectent les mouvements suspects et les personnes tout comme dans les drones de surveillance. Les premiers smartphones dont les chipsets intègrent des fonctions neuromorphiques sont arrivés fin 2017 avec les iPhone 8 et X ainsi qu’avec les Pmate 10 de Huawei et les Honor View 10. C’est une tendance qui va continue en 2018. La bataille des processeurs spécialisés dans l’IA est en tout cas bel et bien lancée et couvre aussi bien les serveurs que les objets connectés. Tous les concepteurs de composants veulent leur part du gâteau, pour l’instant bien entamé par Nvidia qui faisait un point magistral des avancées de ses processeurs au CES avec une démonstration de force de supercalculateurs équipé des derniers GPU de génération Volta (ci-dessous, illustration visuelle de l’analyse de milliers d’images).
Dans les services, on trouvait pas mal de systèmes de traduction automatique multilingues mais dont les performances ne sont pas évidentes à évaluer. C’est le cas avec le Canadien Fluent.ai qui propose un système acoustique de commande vocale multilingue commercialisé en OEM aux fabricants d’objets connectés. C’est une sorte de concurrent d’Alexa et Google Assistant, le tout sous l’appellation de «Fluency-as-a-Service» ou FaaS. Le tout est breveté, s’appuie sur des réseaux de neurones et du machine learning, sans plus de précisions. Visiblement, le produit utilise un mix de réseaux convolutionnels et à mémoire, comme tous les systèmes de traitement du langage. Le tout éviterait de passer par du texte pour la traduction.
On voit aussi émerger de plus en plus d’IA émotionnelle. D’abord, avec les capteurs vidéo et audio qui détectent et analysent les émotions des utilisateurs, notamment à la maison. Puis qui en tiennent compte pour adapter l’ambiance comme au niveau de l’éclairage ou des contenus proposés aux utilisateurs. Dans ce registre, la startup New-Yorkaise Emoshape, créée par le Français Patrick Levy-Rosenthal et soutenue par Orange Silicon Valley, présentait au CES 2018 son composant électronique Emotion Processing Unit (EPU), destiné à capter les émotions des utilisateurs.
Quel futur tout ceci préfigure? Un futur où nous nous laissons guider en permanence par les machines et où le cerveau n’a plus de temps libre ou au contraire, où il est laissé en jachère par une bonne partie de la population? En tout cas, ces IA vont poursuivre la modification en profondeur de notre relation au temps, une relation qui va changer avec ces outils qui nous assistent et nous disent quoi faire à tous les instants.
C’en est au point où la CTA qui organise le CES lançait une campagne de communication pour la création de «technologies humaines». A la fois pour les usages et pour accompagner le changement dans les métiers qui évoluent. Bref, pour se faire les avocats d’une technologie responsable. On peut toujours rêver et faire du lobbying…
Mobilité
Côté smartphones, le marché commence à se stabiliser, tout du moins en volume de ventes qui sont maintenant stables à l’échelle mondiale. Il s’agit encore de premier équipement dans nombre de pays émergents, mais de renouvèlement régulier dans les pays développés. Le rythme du renouvèlement a cependant tendance à baisser sur le long terme. Les smartphones pourraient rapidement rejoindre le marché des ordinateurs personnels avec des ventes en baisse tendancière, même si leur usage ne faiblit pas. 2017 était cependant la première année où la priorité de la mobilité s’estompait chez les leaders tels que Google, passant à celle de l’intelligence artificielle.
Les smartphones continuent cependant d’évoluer. Leurs écrans passent au format 18/9 pour s’adapter à la lecture de news, aux doigts de taille limitée des utilisateurs et aux lunettes passives de réalité virtuelle avec une image séparable en deux images carrées. Les iPhone d’Apple et les Galaxy de Samsung se succèdent à un rythme annuel régulier qui commence à devenir lassant.
Les tablettes s’effacent progressivement du paysage, tout du moins au niveau des nouveautés. Aucune tablette significative n’a été lancée en 2017. Apple essaye de maintenir sous perfusion cette catégorie de produit avec les iPad Pro qui concurrencent tant bien que mal les laptop 2-en-1 tournant généralement sous Windows et qui permettent de plus en plus de se passer de tablettes pour nombre d’usages courants.
Dans North Hall, la zone dédiée à l’automobile occupait une plus grande surface d’exposition que d’habitude. On revenait aux années de gloire de ce hall que j’avais connues lors de mes deux premiers CES en 2006 et 2007. Cette fois-ci, ce n’est plus grâce à l’after market audio mais à la poursuite de la course aux véhicules connectés et aux véhicules autonomes, même si leur commercialisation généralisée attendra encore quelques années. Les prévisions de leur déploiement restent très différentes parce que les véhicules autonomes feront leur apparition dans des contextes différents selon la difficulté de mise en œuvre. Les véhicules autonomes sont des systèmes complexes qui impliquent un grand nombre d’intervenants: constructeurs, cloud, opérateurs télécoms, infrastructures, etc.
Sur ce CES, j’ai été marqué par un seul constructeur: Byton. Cette joint venture entre Chinois, Américains et des Allemands provenant de BMW avait mis le paquet pour annoncer sa berline électrique autonome (level 3 puis à terme 4/5). Les concepteurs de ce véhicule ont réfléchi à de nombreux aspects et scénarios de son usage et le lien entre véhicule et mobile, le partage du véhicule et sa personnalisation. Doté d’un écran géant de 1,25 m de large, il ressemble à un concept car et pourtant son lancement est prévu d’ici 2019. Même avec un peu de marge, c’est du court terme pour l’industrie automobile! Cette aventure suivra-t-elle le chemin malheureux d’un autre projet chinois, celui de Faraday, filiale de LeEco? Les sources de financement de la société Future Mobility Corporation qui porte le projet Byton semblent plus diversifiées et solides. On verra bien!
Il y avait aussi beaucoup de drones sur ce CES. Encore plus de drones sous-marins qu’en 2017 avec des copycats de ceux qui étaient présentés il y a un an. Plusieurs stands chinois présentaient même des drones pour l’agriculture. Et puis des drones de transport de passagers comme le Volocopter, présenté volant (timidement) sur scène pendant le keynote d’Intel.
Réalité mixte
La VR et l’AR sont parmi les tendances clés du numérique depuis au moins deux ans et pourtant, elles sont en plein pallier de croissance. Le marché de la VR ne décole pas aussi bien que prévu. Oculus Rift est un échec, Facebook ayant tenté un relancement en 2017 avec une version moins chère. HTC qui commercialise le leader des casques de VR pour PC a du se séparer de son activité mobile, cédée à Google. Finalement, c’est la simple réalité augmentée sur écran de smartphone qui est partie pour être l’usage dominant de la VR! Cette dernière est cependant utilisée aussi bien dans le jeu que pour diverses applications professionnelles, notamment chez le Français Sim4Health qui propose une solution de formation aux chirurgiens en VR avec l’HTC Vive et que j’ai pu tester chez eux sur le stand de ce dernier, avec un HTC Vive Pro de dernière génération, équipé d’écrans de plus haute définition.
Le véritable Graal est l’AR (réalité augmentée) mais celui-ci est un peu bloqué aux entournures par les lois de l’optique. Pour une fois, il n’est pas question de loi de Moore et d’exponentielle! Certains tentent de créer des lunettes d’AR avec un grand champ de vue. C’est le cas de l’anglais RealMax avec ses lunettes offrant un champ de vision de 100° mais pas encore assez miniaturisé.
Les Microsoft Hololens est pour l’instant la plateforme la plus souvent utilisée par les développeurs de solutions d’AR, comme chez quelques startups françaises présentes au CES 2018 telles que Nomadec.
La startup américaine Magic Leap qui a levé un record de $1,88B annonçait juste avant Noël 2017 un prototype de système de réalité augmentée qui doit être mis dans les mains des développeurs courant 2018 (source), le Lightwear. Cependant, la miniaturisation promise n’est pas encore tout à fait au rendez-vous! Les guides de lumière rendent la vie impossible aux innovateurs du secteur!
Je m’intéresse toujours de près à la vidéo volumétrique qui semble permettre des expériences de VR et d’AR époustouflantes. C’était une nouveauté captivante présentée dans divers keynotes du CES 2017, notamment chez Qualcomm. Comme elle est encore complexe à mettre en œuvre, il faudra attendre pour la voir se généraliser. En France, c’est la startup Mimesys qui a l’air d’être la plus avancée dans le domaine mais elle n’exposait pas au CES, se concentrant dans un premier temps sur les applications professionnelles. Intel présentait à nouveau une démonstration de vidéo volumétrique dans son keynote 2018, mais sans avancée marquante.
En attendant, la VR est surtout un marché d’accessoires pour gamers comme on pouvait l’observer sur South Hall. Avec des manettes de jeu en forme d’armes de poing. Voilà le progrès: comment faire pour tuer des zombies de la manière la plus réaliste possible!
Objets connectés
Le CES est toujours le plus grand salon d’objets connectés du monde. On les trouve en particulier sur Eureka Park, le Rungis des Start-up du CES ainsi qu’au Sands, l’étage du dessus consacré à la maison connectée et aux wearables. Les objets connectés sont mis à toutes les sauces: sport-tech, sleep-tech, baby-tech, women-tech et pet-techs avec leur lot d’objets improbables que nous détaillerons plus tard.
En mettant un peu à part la dimension IA déjà évoquée, l’innovation a tendance à se calmer dans ce marché. Il a tendance à devenir plus professionnel que grand public, un point illustré par la zone Smart City du CES 2018. Les offres se diffusent plus en mode de b2b2c comme illustré par la startup française Otodo, qui prévoit de diffuser son offre d’objets connectés pour la maison via les opérateurs télécoms. C’est aussi un marché qui se consolide autour d’acteurs divers: MyFox est maintenant une filiale de Somfy et Legrand est partenaire de Netatmo depuis 2016. Les deux présentaient leur plateforme ouverte au CES 2018 et chacun fait partie de celle de l’autre.
Du côté technique, les composants continuent d’évoluer avec encore plus d’intégration et de miniaturisation et une baisse de leur consommation d’énergie qui permet d’envisager de généraliser la notion de «energy harvesting», la récole d’énergie ambiante pour alimenter les capteurs. Que ce soit avec les gradients de température, le mouvement, la lumière ou les ondes électromagnétiques. Au CES 2018, c’est Wi-Charge qui se faisait remarquer avec sa solution de recharge sans fil passant par l’émission d’infrarouge directifs (vidéo).
Côté solutions pour le retail, le CES marchait aussi sur les plates-bandes de la NRF de New York qui se tient la semaine suivante du CES. Il s’y tenait même un High Tech Retailing Summit. Mais la zone dédiée au retail dans le Sands était ridiculement petite et sans grand intérêt.
Les montres connectées ont toujours du mal à s’imposer comme une catégorie à forte pénétration du marché. Le signe? L’Apple Watch a encore une part de marché importante, de l’ordre de 50%. Lorsque les marchés se démocratisent, la part de marché d’Apple a tendance à baisser en-dessous de 20% et on n’y est pas encore. Les progrès des montres connectées sont encore trop lents. Au-delà de la question de leur autonomie, elles sont simplement plombées par la taille de leur écran qui n’est pas bien pratique pour un tas d’usages, même si la voix peut prendre le relai. Le smartphone reste le roi incontesté de la mobilité, avant peut-être que les lunettes de réalité augmentée prennent le dessus.
L’électroménager connecté est aussi de plus en plus courant, chez Samsung et LG Electronics comme chez leurs concurrents chinois tels que Haier qui a digéré le blanc de General Electrics. Je range aussi dans ce vaste secteur celui des robots. Ils étaient nombreux sur ce CES, mais sans avancées particulières.
Ce marché est très difficile pour les start-up. Leur mortalité semble plus élevée que la moyenne, ne serait-ce qu’en observant le nombre des start-up françaises exposantes au CES qui ne reviennent pas d’une année sur l’autre. Réussir dans les objets connectés nécessite d’être innovant, différencié, de disposer d’un savoir faire dans le matériel, le logiciel, le cloud, l’IA et aussi, dans la distribution qui passe souvent par les fourches caudines des retailers. La start-up doit aussi faire du juridique et respecter les règles draconiennes de la RGPD. Il leur faut enfin transformer aussi rapidement que possible leur produit en plateforme extensible par des tiers, au risque d’être copié sans vergogne par les constructeurs chinois et de subir les contre-coups de leaders tels que Fitbit, GoPro ou Parrot qui ont du licencier une part de leurs effectifs fin 2016 et début 2017. La barrière est mise très haut!
Smart city
Le périmètre assez large de la Smart City comprend la gestion des transports publics et privés, les infrastructures télécoms au sens large (Wi-Fi public compris), la production, la distribution, le partage, la consommation et les économies d’énergies, la distribution d’eau, l’éclairage public, la sécurité des biens et des personnes, la gestion des déchets, les services de santé intégrés, le travail itinérant, les applications de CivicTech et les applications liées au tourisme. C’est donc un vaste domaine mettant en jeu plusieurs acteurs industriels. Allez donc démontrer cela sur un salon! Le pire? Un van de Microsoft plein de logos de partenaires industriels mais qui était présenté sans explication de son utilité.
La CTA avait décidé de créer cette année une zône dédiée à la Smart City. Est-ce que cela en faisait pour autant une véritable tendance du marché? Ce serait présomptueux de l’affirmer. Cela traduisait une b2bization du CES avec quelques solutions dédiées aux professionnels de la smart city, industriels et collectivités locales. C’était surtout une opportunité de vendre plus de m2 pour l’organisateur du CES!
La zone Smart City comprenait environ 80 exposants et était située dans un hall du Westgate, anciennement occupé par les PME chinoises de Shenzhen, reléguées cette année sous une tente dans South Plaza. Ces 80 stands couvraient un bric à brac assez hétéroclite de solutions. Les plus représentées étaient celles qui couvraient l’univers des transports. Elles auraient bien pu atterir dans North Hall pour rejoindre tout l’écosystème automobile. J’ai noté qu’il y avait pas mal d’Européens, quelques français comme l’opérateur de services publics Transdev et beaucoup de Russes. Transdev présentait plusieurs initiatives dont un projet de servic de voitures autonomes à Rouen mené avec Renault.
De nombreuses startups de l’univers des transports, surtout françaises, étaient situées sur Eureka Park. On trouvait aussi au CES quelques solutions de distribution et de partage d’énergie, notamment à base de blockchain.
Il existe des solutions pour la Smart City provenant de grands groupes comme Nvidia avec Metropolis, sa solution de vidéosurveillance distribuée. Les infrastructures de smart city sont proposées par des équipementiers télécoms tels que Huawei et Cisco. L’équipementier allemand Bosch faisait aussi de la Smart City un thème de sa présence au CES 2018 avec des solutions de recherche de place de parking, de voiturier automatique et de gestion d’alerte précoce d’inondations.
Vidéo et TV
On peut toujours se délecter de belles images et de grands écrans en parcourant le CES, surtout dans Central Hall, la zone dédiée aux grands constructeurs tels que Samsung, LG Electronics, Sony ou les constructeurs chinois. Cependant, l’innovation est stabilisée: la 4K est omniprésente, avec ses artifices pour améliorer la couleur (wide color gamut et quantum dots) et la dynamique (HDR: high dynamic rendition). Elle est cependant plus présente dans les écrans que du côté des contenus diffusés. Les contenus produits en 4K sont plutôt abondants depuis quelques années mais les diffuseurs rechignent à les diffuser car la demande n’est pas encore assez marquée ou mainstream. Apple a adopté la 4K dans l’Apple TV, devenant le dernier fournisseur de box OTT à s’y mettre. Cela pourrait envoyer un signal au marché. Pour l’instant, on n’en voit pas encore les effets.
Depuis quelques années, certains observateurs s’inquiètent de l’émergence de la 8K comme facteur de ralentissement de la 4K. Au CES, on pouvait toujours profiter de démonstrations diverses de 8K, chez les constructeurs japonais, coréen et chinois. Cela amuse la galerie mais n’a aucun sens industriel à ce stade. Les constructeurs utilisent tous les mêmes dalles. Quand c’est de l’OLED, c’est du LG Display. Lorsque c’est du LCD, il y a des chances que ce soit du Samsung Display ou du Chinois BOE.
Les premières caméras pros et semi-pros 8K font leur apparition. Les japonais en font toujours une priorité industrielle. Mais ce sera la 4K qui sera opérationnelle pour les JO de Tokyo en 2020 et tout juste. La 8K restera un objet de démonstration couteux, notamment en bande passante aussi bien terrestre qu’hertzienne. L’industrie japonaise pilotée par le broadcaster public NHK a d’ailleurs commis une énorme erreur en oubliant complètement de s’intéresser à l’industrie du cinéma. Or, c’est elle qui pilote le plus souvent l’adoption des technologies améliorant l’image et le son!
La SVOD continue de capter de la part d’usage sur la TV payante et sur la TV en direct. Le gouffre des modes de consommation entre les plus jeunes et les autres est toujours aussi béant. Le cord cutting affecte aussi les opérateurs télécoms aux USA avec une sorte de dé-triple-plisationdes abonnements, les abonnés choissant de plus en plus des offres dual-play Internet+VOIP, sans la TV, complétée par un ou plusieurs abonnements de SVOD avec Netflix en premier, suivi éventuellement de Hulu, Amazon Prime Video ou autres HBO Go et DirecTV Go. Les opérateurs de TV payante, cablo-opérateurs compris, sont en train d’OTTiser leur offre avec des solutions logicielles multiécrans. Cela conduit d’ailleurs à un ramolissement étonnant du marché des set-top-boxes et de leurs processeurs et logiciels associés.
Photo
Les smartphones continuent de tailler des croupières aux appareils photo dédiés. Les grands constructeurs que sont Canon et Nikon sont mal en point, surtout ce dernier. Canon est surtout sauvé par ses autres activités comme celles de l’imagerie professionnelle et l’impression. Nikon qui dépend plus des appareils photos et bien plus fragile. Sony et Panasonic se portent mieux grâce aux hybrides.
Les appareils hybrides continuent de grignoter lentement les parts de marché des reflex. Le destin de ces derniers est probablement de disparaitre sur un terme de moins d’une dizaine d’années. Les révolutions du numérique sont bien plus lentes ici et là que les observateurs le laissent entendre.
Quelques innovations intéressantes apparaissent qui exloitent de l’IA, surtout dans les smartphones et pour le post-processing des photos avec des outils logiciels tels que ceux d’Adobe (LightRoom, Photoshop).
Mais il n’y avait pas d’annonce d’appareils photos de détectable sur le salon, en tout cas, chez les grandes marques. C’est la première fois qu’il en est ainsi. Même Panasonic ne présentait pas ses appareils photo sur son stand, ou alors, ils étaient bien cachés. Par contre, la marque Kodakétait présente sur plusieurs stands tout comme Polaroid. Ces marques sont devenues des franchises acquises par des sociétés chinoises.
Audio
L’audio est en train de devenir le parent pauvre du CES. L’innovation est très faiblarde dans ce marché, malgré sa numérisation du sol au plafond, au propre et au figuré avec Dolby Atmos. L’audio HiRes ne décolle pas bien vite malgré les efforts de leaders tels que Sony et les offres de contenus en streaming comme celle du Français Qobuz qui revenait au CES après y avoir exposé en 2014. La HiRes est l’équivalent audio de la 4K avec des prestations techniques dernier cri mais que les consommateurs ne perçoivent pas forcément bien. Parfois, pour de réelles raisons physiologiques.
L’audio orienté objets Dolby Atmos reste un luxe dans les installations multi-canal domestiques même s’il fait son apparition dans des appareils communs comme les tablettes et smartphones, là où ses bénéfices sont d’ailleurs les moins évidents à apprécier.
Enfin, le marché de la hi-fi haut de gamme a l’air de lentement déserter le CES, les étages du Venetiant s’étiolant d’année en année et étant colonisés par des fournisseurs de technologies embarquées n’ayant rien à voir avec l’audio comme les Français Actility, SoftAtHome et Kerlink.
Jeux vidéo
Il n’y a pas eu de lancement clé ces 12 derniers mois à part celui de la Xbox One X qui est positionnée dans le haut de gamme, étant la première console 4K supportant cette résolution dans les jeux comme dans les contenus vidéos, dont les DVD Blu-ray 4K. Nintendo qui était en chute libre jusqu’en 2016 va mieux et connait une sorte de renaissance, alimentée par sa Switch et ses jeux.
L’actualité est dominée par les jeux et le CES 2018 n’est pas un salon d’annonce de jeux. Les jeux Xbox sont supportés sous Windows 10 ce qui élargit leur marché adressable.
Le jeu est surtout envahi par la réalité virtuelle. On trouvait encore quelques accessoires intéressants pour le jeu et la VR au CES 2018. Parfois, assez inaccessible comme ce moniteur Nvidia 4K de 65 pouces supportant le protocole G-Sync de Nvidia et un rafraichissement de 120 images par secondes. J’en ferai l’inventaire plus tard.
Ordinateurs personnels
Je continue de scruter de près le marché des micro-ordinateurs et notamment celui des 2-en-1. Ce marché a beau être en décroissance, il reste celui de l’outil sur lequel nous passons le plus de temps, dès lors que nous sommes étudiants, cadres ou créatifs. Le smartphone est derrière, pas devant, de ce point de vue-là! Dès qu’on a un micro-ordinateur sous la main, on a tendance à mettre de côté le smartphone!
Ce marché est très concentré avec un petit nombre de marques qui font la pluie et le beau temps. Les cinq premiers constructeurs sont HP Inc, Lenovo, Dell, Apple et Asus. A eux cinq, ils représentent 75% du marché en volume. Apple innove bien lentement dans ce domaine, et rechigne à intégrer le support du tactile dans ses laptops, laissant cela aux iPad Pro équipés d’un clavier Bluetooth. Cela commence à bien faire, même si les Mac-maniaques ne s’en plaignent pas trop. Le jour où Apple s’y mettra, ils trouveront sans doute cela révolutionnaire.
Les ordinateurs personnels continuent de faire bien des progrès, surtout grâce aux évolutions incesssantes des processeurs Intel. Les laptops et 2-en-1 ont maintenant une autonomie qui dépasse facilement les 9 heures, en tout cas quand la batterie est bien dimensionnée. Les 2-en-1 sont bien opérationnels même s’ils ne sont pas encore assez courants dans la distribution pour le grand public et si Microsoft continue de faire des siennes en négligeant certains usages comme la consultation de documents en mode tablette. Les processeurs Intel Core de 8e génération annoncés en août 2017 améliorent la performance des laptops grâce à quatre cœurs au lieu de deux. Leur autonomie gagne au minimum une heure et leur intégration est encore plus poussée avec des poids allant de 1 à 1,3 kg.
Du côté des desktops, l’innovation est plutôt rare. Elle concerne surtout les PC de gamers qui sont toujours suréquipés dans leurs démonstrations sur le salon, notamment chez les Taïwanais Thermaltake et InWin. Et aussi les PC pour créatifs, notamment les émules des Microsoft Surface Studio, qui étaient d’ailleurs très peu présents sur ce CES.
Impression 3D
L’impression 3D a déménagé lors de ce CES 2018 pour quitter le Sands et rejoindre North Hall. Elle occupe une place stabilisée sur ce salon. En fait, l’impression 3D est en mort clinique dans le grand public. Sa croissance est aussi plutôt modérée dans le monde de l’entreprise. Il suffit d’observer l’évolution du CA des leaders que sont Stratasys et 3D Systems pour s’en convaincre: elle est flat depuis presque trois ans!
L’innovation dans ce marché se situe du côté des nouveaux matériaux et de la croissance de l’impression 3D de métaux ou de céramiques, notamment dans la santé. D’ailleurs, nombre d’exposants au CES sont des fabricants de consommables, du fil de plastique en général.
J’ai cependant trouvé quelques stands intéressants, comme chez MarkForged dans l’impression de métal et avec de belles réalisations. Si innovations il y a, elles se situent surtout dans les usages.
Composants électroniques
La loi de Moore s’est sérieusement ralentie du côté de la densité de transistors. Elle est contournée par la création de processeurs de plus en plus grands, par des architectures multicoeurs et par des composants plus spécialisés optimisés pour certains traitements. On voit aussi, notamment chez AMD, se développer des processeurs multi-die (plusieurs puces) assemblées sur un même substrat et connectées à de la mémoire très rapide (GDDR voire HMC2 ou HBM).
La grande évolution du moment est l’arrivée de composants spécialisés dans l’entrainement et l’exécution de réseaux de neurones pour les applications d’intelligence artificielle, notamment celles du deep learning de la vision artificielle et du traitement du langage. Les premiers processeurs neurmorphiques sont arrivés dans les smartphones. Ils se déploient surtout dans les serveurs où l’entrainement de réseaux de neurones exploitant de grandes bases est très consommateur de calculs. Ce marché est pour l’instant dominé avec Nvidia, talonné par Intel qui a diversifié son approche avec ses Xeon Phi, ses processeurs dédiés Nervana et ses processeurs personnalisés en FPGA Stratix-10 produits en technologie 10 nm. Ce marché est en train de se structurer de ce côté-là. Les enjeux industriels sont énormes et, malheureusement, les industriels français y sont quasiment absents, sauf pour quelques composants dédiés aux objets connectés comme chez STMicroelectronicsavec ses derniers micro-contrôleurs ou avec des startups telles que Scortex.
Au CES 2018 étaient annoncés des chipsets intégrant des unités neuromorphiques, en particulier chez Mediatek et Via. STmicroelectronicsprésentait un micro-contrôleur neuromorphique très efficace en rapport puissance/consommation. Le Français Kalray mettait en avant son chipset à 256 cœurs adapté aux besoins de l’embarqué dans l’automobile.
On observe aussi la poursuite de la dynamique et de la baisse de prix des SSD grâce aux mémoires 3D dont Samsung et Micron sont les leaders mondiaux. Les circuits intégrés à 64 couches de transistors sont maintenant courants dans ces mémoires. Ils dépasseront 100 couches d’ici quelques années.
La mobilisation autour de la 5G se poursuit du côté des équipementiers et opérateurs télécoms. Ils se préparent tous pour un lancement commercial de la 5G dans les pays développés à l’horizon 2020. C’était un axe de communication sur le CES 2018 chez Qualcomm, ZTE, Intel, Huawei et Ericsson. Mais ils se gardent bien tous de préciser que les standards de la 5G sont loin d’être secs!
La roadmap est très serrée pour respecter l’échéance de 2020. Il faut les composants côté mobiles et infrastructures, surtout pour les nouvelles bandes de fréquences utilisées par la 5G au-delà de 5 GHz. Reste les usages ! Les principaux usages mis en avant pour la 5G sont du côté des véhicules à conduite assistée et autonomes et ceux de la santé.
French Tech
Jusqu’où ira la French Tech au CES? On a l’impression d’être dans une bulle voisine de celle du Bitcoin. Alors que je m’attendais à un tassement de la présence française, celle-ci a encore augmenté en 2018, passant de 316 à environ 380 exposants dans mon décompte maison! Il y avait aussi de grandes entreprises à ne pas oublier comme Valeo et Faurecia, ce dernier exposant pour la première fois au CES. La présence des équipementiers français est maintenant très honorable associant ces grandes entreprises reconnues à l’échelle mondiale, des PME comme Arkamys et des startups dans le même secteur!
La France représentait 7% du total des exposants sur CES, loin derrière les USA et la Chine, et environ le tiers de ceux d’Eureka Park, la zone dédiée aux startups. On aimerait bien obtenir ce % en m2 ou en chiffre d’affaire mais la donnée n’est pas publiée. On peut s’amuser à la reconstituer laborieusement à la main pour les m2. Pour les CA, on ne pourrait le faire que pour les sociétés côtés, et pas pour les startups, dont le total de CA ne représenterait d’ailleurs qu’un poullième du CA d’une société comme Valeo.
Cette année est-elle le «pic du pétrole» de la présence français au CES? Je pensais que ce serait le cas pour 2017 donc, j’éviterai les prévisions. Il faut aussi valoriser la présence de grandes entreprises et leur nombre croissant. Elles incarnent la French Tech aussi bien que les start-up. Et leur présence est plus visible et incarne une solidité industrielle tout aussi importante pour l’image du pays.
Quelques indicateurs sont encourageants, notamment les awards gagnés sur le salon par les start-up françaises. Ils sont passé de 26 à 31 «honorees» (les «nominés») et 2 awards de catégories (les «gagnants», Blue Frogs Robotics et Lancey Energy Storage). C’est une belle reconnaissance de l’innovation des start-up françaises même si toutes ne sont pas destinées à devenir des licornes. Par contre, la présence française mise en avant dans le CES Daily, le journal du CES, était plus faible que l’année dernière, limitée à Valeo, Spartan (slips protégeant les parties fines contre les ondes électromagnétiques), Blue Frog Robotics et à CEA Tech. D’ailleurs, les médias français sont venus moins nombreux cette année, seulement une centaine alors qu’ils étaient plus de 150 les années passées. Et la couverture du salon semble s’être faite plus discrète dans les médias chauds (TV, radio) d’après ce que j’entends mais n’ai pas pu vérifier.
L’autre indicateur clé à évaluer est la capacité des startups françaises du CES à grandir. Pour l’évaluer, j’essaye de calculer le nombre de celles qui sortent d’Eureka pour arriver dans un autre hall ou celles qui y vont directement. Elles ne sont pas bien nombreuses mais intéressantes à suivre comme le Nantais MicroEJ (système d’exploitation alternatif à Android pour les objets connectés) ou Bewell Connect et ses objets connectés dans la santé.
On peut aussi plus facilement évaluer le nombre des sociétés exposantes une année qui ne reviennent pas la suivante. Près de 190 sociétés de 2017 ne sont pas revenues en 2018, soient 60%. Ca fait un paquet! C’est surtout lié au fait que le business des objets connectés est l’un des plus difficiles du numérique!
Cela s’explique aussi par les erreurs de casting de la présence française au CES qui sont en croissance. Elles sont passées dans mon décompte de 13% à 18%, soit plus de 60 exposants. Qu’est-ce qu’une erreur de casting au CES? Il y en a de plusieurs sortes et je vais publier une échelle de Richter associée dans le Rapport du CES. Le niveau le plus élevé est celui des solutions b2b2b sans rapport avec les marchés grand public. Puis des sociétés de service qui se déguisent en start-up produit mais qui n’ont pas l’ADN correspondante, notamment côté industrialisation et marketing. Suivent les solutions logicielles qui ne sont pas faciles à valoriser au CES. En dernier lieu, nous avons les produits trop jeunes et les start-up pas assez matures pour affronter «le monde».
L’Ile de France est la principale pourvoyeuse en volume de ces erreurs de casting et les régions qui envoient le moins de startups sont celles qui génèrent le moins d’erreurs de casting. Les régions font un peu trop le forcing et la course au nombre d’exposants. La concurrence régionale était également visuelle, avec des régions comme l’Occitanie qui avaient adopté une charte graphique très voyante. Et c’est sans compter les zones d’Engie et de La Poste sur Eureka Park.
La présence française au CES devient envahissante. Les français pratiquent beaucoup l’entre-soi. Pas celui que l’on décrie au niveau des élites en métropole. Celui des français qui parlent français entre eux, cherchent d’abord à vendre aux français, et ne sont pas assez tournés vers le monde. Si cela continue, la présence française fera le même effet au CES que celle des PME de Shenzhen qui étaient cantonnées dans une gigantesque tente de 400 m de long et qui n’intéressent pas grand monde, à part les exposants qui viennent se sourcer en composants ou les distributeurs, en produits de commodité en marque blanche.
Dans la pratique, les trois premiers thèmes des sociétés françaises du CES 2018 étaient la maison connectée, la santé et les transports. Le reste de l’offre est éparpillé dans une vingtaine de catégories. Comparativement aux autres pays, nous n’avons pas à rougir de nos startups. Même s’il y en a qui font sourire, l’ensemble est de bon niveau dans le benchmark international.
Il serait utile de mieux thématiser la présence français au CES, pour lui donner du corps. D’abord dans la communication puis, idéalement, dans l’organisation de sa présence sur Eureka Park. Cela semble une mission quasi impossible. Il faudrait que les régions acceptent une organisation unifiée de la présence française sur Eureka Park. Or elles cofinancent la présence sur cette zone de leurs startups et veulent obtenir la visibilité correspondante, ne serait-ce que pour valoriser l’attractivité de leur territoire.
C’est un sac de nœuds auquel la French Tech n’arrive pas à s’attaquer. Business France pourrait idéalement jouer ce rôle, au-delà de leur village de 35 startups sélectionné par un jury dont je fais partie mais ce n’est pas plus facile pour eux et l’organisme souhaite être sélectif dans son choix de startups accompagnées alors que, même s’il n’est pas génial, est plus contraignant que celui des régions qui prennent de tout. Enfin, la CTA qui organise le CES ne souhaite pas qu’Eureka soit organisé par pays et thème. C’est l’un ou l’autre, pas les deux.
Pour contourner le problème, la French Tech a cherché à communiquer sur ce CES 2018 autour des deep techs. Les sociétés qui peuvent prétendre faire partie de cette catégorie ne représentaient qu’à peine 10% des exposants français sur le CES qui est plus un salon de junk-tech que de deep-tech. Bref, il reste encore du travail pour parfaire la marque France au CES!
A la décharge de nos régions, j’ai pu observer que les autres pays n’échappaient pas au syndrome du régionalisme. Le Canada avait deux pavillons espacés de quelques mètres dans la zone Smart City: un pavillon Canada qui était en fait celui de l’Ontario et un pavillon du Québec. Les Belges avaient un pavillon de la Wallonie mais rien du côté Flamand. Les Allemands avaient un pavillon national et un pavillon Berlin-Brandebourg. Les Chinois ont divers pavillons pour les grandes villes, celles qui veulent notamment être visibles pour se différencier de la dominance de Shenzhen qui est un peu l’équivalent en Chine de l’Ile de France. La Corée a aussi divers pavillons, nationaux et de villes autres que Séoul. Bref, le régionalisme est un phénomène mondial.
Mais la concurrence intra-française allait au-delà d’Eureka Park. On la retrouvait aussi dans les à-côtés du salon avec d’un côté le French Village, dédié à la francophonie (avec les québécois et les tunisiens) et de l’autre, l’Euro Tech Week, plus tournée vers les anglo-saxons. Pour ne vexer personne, Mounir Mahjoubi est intervenu coup sur coup dans ces deux soirées, l’une après l’autre, en racontant à peu près la même chose. Et un bon quart des participants avaient fait le déplacement dans les deux endroits, au Flamingo et au Harrah’s qui, heureusement, ne sont pas très éloignés l’un de l’autre. Le French Willage avait aussi une soirée avec les dirigeants de la région PACA et l’Euro Tech Week organisait une sympathique soirée Women in Tech le soir du dernier jour du CES.
Bref, comme tous les pays sont victimes du même syndrome, si nous prenions collectivement notre sort en main pour nous différencier de ce point de vue-là, la France pourrait briller encore plus au CES en étant plus organisée, en filtrant un peu les startups accompagnées et aidées, et en thématisant plus sa présence comme elle l’a fait avec succès dans l’automobile cette année.
Rapport CES 2018
Voilà pour cette première impression du CES 2018. Vous aurez l’habituelle version longue dans le Rapport CES 2018 qui apparaitra dans votre lecteur PDF le 29 janvier.
Les nouveautés cette année? Une présentation des enjeux par marchés verticaux pour guider les entreprises dans leur compréhension du salon et la préparation d’une visite d’un prochain CES. Un guide du visiteur et un guide de l’exposant encore améliorés. L’habituel bêtisier marketing des exposants. Et puis tous les domaines du salon et du marché, des produits aux composants. Avec quelques surprises au passage!
L’expert:
Olivier Ezratty est consultant et auteur. Il conseille les entreprises pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation, et en particulier dans le secteur des objets connectés et l’intelligence artificielle. Très actif dans l’écosystème des startups qu’il accompagne comme consultant, advisor, conférencier et auteur, il est apprécié pour les articles fouillés de son blog Opinions Libres dans des domaines très divers. Il y publie le « Guide des Startups » ainsi que le « Rapport du CES de Las Vegas » chaque année depuis 2006. Olivier est expert pour FrenchWeb qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.
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