Bonne nouvelle : l’arnaque chatbots peut être évitée !
Par Thomas Gouritin, fondateur de Regards Connectés
Il y a un an, dans ces colonnes, j’avais réveillé (et heurté) quelques consciences avec une tribune en forme de coup de gueule sur l’arnaque des chatbots. Mais si, vous savez, ces petits agents conversationnels à la mode dans les services marketing et support client depuis quelques années. Il faut dire que les promesses sont belles et que les spécialistes fleurissent, autoproclamés disrupteurs des chatbots, ou plutôt “d’expériences conversationnelles à base d’Intelligence Artificielle”. Ça fait plus glamour et je le dénonçais dans la tribune précédente, je n’y reviendrai pas ici.
Non, ce qui m’intéresse aujourd’hui est plutôt de dégager des bonnes pratiques observées sur le terrain au contact de grands groupes accompagnés depuis plusieurs années sur le sujet. Des méthodes et astuces éprouvées qui ne sont pas forcément dans le petit manuel du parfait marketeur, mais qui ont fait leurs preuves. Car oui, le chatbot n’est pas qu’un gadget conçu pour générer un peu de hype en étant “le premier”, il peut rendre de vrais services pour peu qu’on s’attache à prendre le sujet par le bon bout.
C’est quoi, un chatbot qui fonctionne ?
La question est assez complexe, il faut l’avouer. Nous avons tous des biais lorsque nous testons des expériences de ce type. Il existe pourtant une version pragmatique de cette définition d’efficacité, il faut tout simplement que l’utilisateur passe du temps dans la conversation pour remplir les objectifs que le concepteur s’est fixé, sans tomber sur une boucle infinie ou être perdu et bloqué. Il faut donc trouver le bon mix entre les actions que vous souhaitez faire faire à l’utilisateur et la fluidité réelle de la conversation proposée.
Les sources de frustrations sont nombreuses et, heureusement, nous pouvons en éviter beaucoup avec quelques ingrédients de base finalement très simples.
Il semble par exemple indispensable de permettre à l’utilisateur de sortir un petit peu du script défini en amont. En comprenant l’équivalent des boutons cliquables si du texte est tapé. Ca paraît évident, mais si vous avez testé quelques expériences chatbot vous comprenez de quoi je parle. Pensez aussi à prévoir des cas simples comme la compréhension des “oui/non”, “merci”, “bonjour” et leurs variantes usuelles. Rien de sorcier, pas d’intelligence artificielle forte, juste du bon sens pour apporter un peu de fluidité à la conversation. Bref, faites en sorte que le service attendu soit réel et rendu, sans interférence de problèmes techniques simples.
Ce ne sont malheureusement pas des cas isolés que je prends ici, cela concerne beaucoup trop de projets, menés par des startups comme par de grands acteurs du marketing sur les réseaux sociaux.
Entre intelligence artificielle et bêtise bien humaine
Pour cela il n’y a pas de secret ni de révolution par rapport à un projet web classique, il faut passer du temps à concevoir et à itérer. L’interface de la conversation implique des aspects nouveaux, c’est évident et nous y reviendrons, mais il ne faut pas pour autant oublier les basiques ! L’intelligence artificielle ne doit être là qu’en renfort, ce n’est surtout pas la solution à tous les problèmes.
Prenez l’exemple des solutions de chatbot qui servent de Foire Aux Questions (FAQ) dynamique. Typiquement ces approches ne sont pas capables de proposer de vraies expériences de conversation. Elles peuvent, plus ou moins bien d’ailleurs, répondre à une question précise. C’est un bon début, mais c’est loin d’être suffisant pour proposer quelque chose de fluide et de complet. D’autant plus quand les réponses proposées par le robot sont de forme “voilà ce que j’ai trouvé, est-ce que ça vous convient ? oui, non, peut-être, clic pour être sûr et pour me calibrer s’il te plaît”.
Non, aujourd’hui il est impossible (et totalement illusoire) de vouloir laisser la main à un algorithme, aussi intelligent soit-il, la gestion d’une conversation complète. Facebook et ses milliards de dollars n’y arrivent pas non plus. Je vous invite d’ailleurs à parcourir un papier de recherche du labo de Facebook sur le sujet de la simulation de la conversation. On avance, mais les solutions industrielles d’aujourd’hui en sont encore très loin.
A force de vouloir absolument utiliser de l’intelligence artificielle, et à fortiori des mathématiques appliqués au langage, on fait fausse route et on s’éloigne des vrais besoins des utilisateurs.
La ressource principale d’un chatbot réussi ? Les vrais gens qui sont derrière les machines !
J’espère ne surprendre personne. Un chatbot réussi ce n’est pas une machine qui passe le test de Turing, mais bien une combinaison de conception humaine pour guider et accompagner avec une dose d’intelligence artificielle pour optimiser, aller plus loin, et personnaliser.
Mais la base est bien de l’intelligence humaine lors de la phase de conception. Il ne s’agit pas de s’en tenir à un arbre de décision basique tel un bon vieux répondeur téléphonique “pour le service X tapez 1, pour le service Z tapez 2” comme on le voit bien trop souvent, notamment sur Facebook Messenger, avec la facilité des boutons à cliquer. Il faut aller plus loin en analysant l’ensemble des parcours ou des situations qui peuvent se présenter pour ne jamais être pris de court.
Ensuite on peut ajouter des briques de reconnaissance du langage pour gérer encore plus de cas, en se basant sur un historique de conversations avec des humains par exemple. Ou en itérant en faisant tester tout au long du process de conception par des utilisateurs “normaux” extérieurs au projet. Dans notre approche, des modèles sont entraînés classiquement pour détecter les boucles, détecter l’agressivité pour passer le relais à un opérateur humain… ce genre de petites choses tellement importantes pour la fluidité de l’expérience de conversation.
Des briques techniques plus ou moins poussées, parfois de bons vieux scripts de recherche multi-critères suffisent, vont également pouvoir nous permettre d’accéder plus directement à une branche donnée selon un profil.
A-t-on réellement besoin d’intelligence artificielle pour ça ? Dans beaucoup de cas je n’en suis pas certain. Il s’agit encore une fois de bien penser les scénarios de conversation en amont quitte à tester l’affinage au fil des phases de test ou en déploiement réduit.
Oubliez les chatbots “funs et décalés”
Après une conférence qui donnait quelques exemples de ratés et de réussites dans la conception-rédaction des conversations de bots de grandes marques françaises, j’ai eu la surprise qu’on me pose une question qui semblait très importante à son auteur : “alors, il faut dire tu ou vous quand on est un bot ?”.
La question est pertinente, certes, mais bien trop réductrice. Car le travail éditorial peut nous permettre d’aller beaucoup plus loin. Un vrai effort sur la rédaction permet par exemple de guider les utilisateurs vers les options que le robot comprend, en essayant d’éviter les saisies “exotiques” qui pourraient le faire divaguer. C’est d’autant plus important lorsque l’on conçoit des expériences pour le vocal, qui n’a pas de boutons cliquables comme sur Facebook Messenger, et pour lequel l’utilisateur a une attention toute limitée. Ne négligez pas cette partie ! Dans mes différents tests j’ai déjà vu passer des chatbots plutôt bien conçus techniquement qui se plantaient parce qu’ils étaient mal rédigés (et je ne parle pas de fautes d’orthographe, qui sont aussi légions, parfois).
Alors oui, le chatbot est une expérience qui se veut conversationnelle et donc plus ludique et plus proche de l’utilisateur final, mais ce n’est pas une raison pour lui parler comme à un pote croisé dans la rue. C’est une très grande erreur que beaucoup commettent encore. Le travail de rédacteurs expérimentés et formés pour le conversationnel est un plus, mais comme pour la conception, le test en conditions réelles est la seule épreuve du feu valable.
Il y a beaucoup d’acteurs très intéressants sur le sujet en France et à l’international, très pointus sur chacun de ces domaines, ce ne sont malheureusement souvent pas les plus visibles ou les plus communicants. Ce sont ceux qui font, et qui remettent leur ouvrage sur leur clavier sans rechigner et sans verser dans le communiqué de presse abusif. Prenez le temps de les identifier.
L’an dernier je mettais en garde contre l’arnaque chatbots, le message est toujours d’actualité et je ne changerais aujourd’hui rien à la tribune en question. Mais il est grand temps de se retrousser les manches et de prendre plaisir à créer de vraies belles expériences conversationnelles au service des utilisateurs, avec le juste dosage de techno et de bon sens.
Le contributeur:
Thomas Gouritin accompagne les PME et les grands comptes dans leurs transformations, avec le numérique en appui. Producteur de la série Regards Connectés (chaîne Youtube et podcasts), il explore notre avenir technologique pour vulgariser des sujets complexes comme l’intelligence artificielle et faire passer des messages de pragmatisme à appliquer en entreprise. Le sujet des chatbots est aujourd’hui incontournable, Thomas l’aborde de manière pragmatique avec, en plus de l’accompagnement projet, des conférences visant à démystifier le sujet sans “bullshit” et avec des workshops permettant à chacun de mettre les mains dans la conception pour comprendre, apprendre, et faire.
Et donc ? J’ai l’impression qu’il manque la conclusion… On ne leur dit pas « tu », d’accord, mais chatbot ou pas chatbot ? Et pourquoi faire ? A quel besoin répondent-ils ? On se lasse rapidement des « conversations » écrites. C’est comme sur Tinder, on veut aller rapidement au but…