Au Web Summit, les déçus de la Tech appellent à la régulation des réseaux sociaux
Avec l'AFP
Les réseaux sociaux, accusés de favoriser la désinformation qui affaiblit la démocratie, doivent être mieux encadrés pour éviter les excès observés ces dernières années, ont martelé des vétérans des technologies numériques lors du Web Summit qui s’est achevé jeudi à Lisbonne. «Les entreprises qui gèrent les réseaux sociaux ont beaucoup de travail à faire. Elles font face à un défi énorme et elles font de gros efforts, mais ce n’est pas assez», a résumé Raffi Krikorian.
Ancien cadre de Twitter, il dirige aujourd’hui une équipe de 35 personnes chargée de défendre le Parti démocrate américain contre des attaques informatiques, comme celle qui a permis à des hackers de faire fuiter les échanges d’e-mails d’Hillary Clinton pendant la course présidentielle de 2016. «Le piratage ce n’est pas quelque chose qui se détecte en temps réel. Par contre, la désinformation, nous en voyons tous les jours», a-t-il expliqué.
Avant les élections de mi-mandat de mardi dernier, son équipe a passé son temps à alerter les réseaux sociaux de toute activité suspecte. «Ils se montrent très ouverts à travailler avec nous», reconnaît-il, mais «nous n’avons parcouru que le dixième du chemin à faire pour créer un environnement sécurisé». Comme lui, de nombreux intervenants au Web Summit, rendez-vous annuel réunissant des milliers d’entrepreneurs des technologies numériques, ont appelé à une régulation des réseaux sociaux.
L’affaire Cambridge Analytica, un «coup de semonce»
Les États devraient encadrer plus strictement l’utilisation des données personnelles des internautes, à l’image des réglementations dans les secteurs des transports ou de l’agroalimentaire, a proposé le lanceur d’alerte qui a révélé le scandale de Cambridge Analytica, Christopher Wylie.
Le cas de cette entreprise accusée d’avoir exploité à leur insu les données de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook à des fins politiques, notamment pour faire gagner le Brexit au Royaume-Uni et Donald Trump à la présidentielle en 2016, a été comme un «coup de semonce», a affirmé la Commissaire européenne à la Justice, Vera Jourova. «Dans notre monde numérique, le risque d’interférence et de manipulation n’a jamais été aussi élevé», a-t-elle déclaré. Avant d’ajouter : «Il est temps d’apporter une réponse à la propagande politique non-transparente et au détournement des donnés personnelles.»
Vers un «code de conduite» pour guider l’ère numérique
Pour Ev Williams, co-fondateur de Twitter aujourd’hui à la tête de Medium, une plateforme sans publicité qui propose aux usagers des articles de fond sur toutes sortes de thèmes, «les sociétés qui gèrent les réseaux sociaux sont très conscientes des risques liés à leur fonctionnement». «Je pense que tout le monde, y compris les géants du Web, est d’accord sur la nécessité d’agir pour éviter la désinformation et les abus. Donc je pense que ça va venir, avec ou sans l’intervention des gouvernements. Le difficulté sera de trouver la bonne réglementation», a-t-il assuré à l’AFP.
Pour Raffi Krikorian, la solution passe d’abord par davantage de transparence, à l’image de ce qu’a commencé à faire Facebook en affichant le nom des annonceurs des publicités politiques. Selon lui, «il faut que chaque réseau social fasse la même chose, pour que les électeurs sachent qui dit quoi et qui paie quoi». Dans ce cadre, «il faudrait par exemple ralentir la vitesse à laquelle nous partageons l’information en ligne, pour revenir à un mode de communication plus proche de la vraie vie, où nous avons plus de temps pour réfléchir», a-t-il ajouté.
L’organisateur du Web Summit Paddy Cosgrave a comparé le «trou d’air» que traversent actuellement les pros de la Tech, à la prise de conscience des dangers qui ont accompagné l’avènement de l’automobile. «Notre société a décidé que l’automobile était une invention globalement positive, mais qu’il fallait nous protéger avec des règles qui n’ont pas cessé d’évoluer. Je pense qu’il nous faut aussi un nouveau code de conduite pour cette nouvelle ère numérique», a-t-il expliqué depuis Lisbonne, qui continuera d’accueillir le Web Summit lors des dix prochaines années.
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