[CES 2019] L’opportunité manquée de la French Tech au CES
par Vincent Nallatamby, CEO de Tempow
Actuellement à San Francisco après une semaine éreintante à Vegas, j’avais envie de partager avec vous ces quelques lignes et idées qui me trottent dans la tête depuis la fin du CES.
Pour beaucoup, le CES est le salon par excellence du gadget. Une myriade de produits électroniques, plus ou moins utiles, plus ou moins prometteurs. Des milliers de distributeurs, de journalistes, tous venus sourcer les dernières tendances hardware qui occuperont les rayons pour Noel dans 11 mois.
En France, cette impression est très certainement amplifiée par l’impressionnante délégation de startups Française qui détonne dans l’Eureka Park par la créativité des produits proposés.
Évidemment, le CES c’est bien tout cela.
Pourtant, il y a un deuxième aspect du salon, tout aussi important, qu’on ne montre pas assez. Contrairement à d’autres salons — on pourrait citer l’IFA à Berlin par exemple — le CES est également le premier rendez-vous annuel de tous les acteurs qui participent à la conception de tous les devices électroniques.
Les équipes « produit » de toutes les grandes marques d’électroniques sont présentes, et par conséquent, tous les fournisseurs de composants, les semi-conducteurs, les embedded software suppliers, les ODMs… le sont également.
Tout cela est invisible aux yeux d’un visiteur lambda. Jamais vous ne verrez les top executives de Foxconn, Huawei, Samsung, Qualcomm ou Amazon se balader dans les allées du CES. Pourtant, je peux vous assurer qu’ils sont bien présents.
Tout se passe dans les suites des grands hôtels autour du show. Évidemment au Venetian, et au Westgate, mais aussi au Wynn, au MGM ou au Mirage. Partout, les suites des plus beaux hôtels sont réquisitionnées et transformées en salles de réunion durant toute la durée du salon.
Les rendez-vous s’enchainent, le planning est généralement serré, et nombreux sont ceux qui quittent à peine leur suite pendant cinq jours.
Ce sont dans ces suites que les deals se signent, que les partenariats se discutent.
Cette partie du salon est loin d’être inaccessible, même aux startups Françaises. Il suffit d’en connaître les codes: avoir un lieu de rendez-vous facile d’accès, prévoir des rendez-vous quelques semaines à l’avance, être flexible…
Plusieurs startups Françaises, principalement dans l’embedded software, abordent déjà le CES de cette façon. Tempow en fait partie.
Ces deux dernières années, nous avions un stand à l’Eureka Park. Ce n’était pas inutile mais loin d’être optimal. Mais quand on cherche à promouvoir un produit software ou une technologie deep-tech hardware, il est difficile d’attirer l’œil du badaud au milieu d’une foule. Il est important d’expliquer, de prendre le temps, de présenter les différentiations de nos technologies.
Quand on cherche à promouvoir un produit software ou une technologie deep-tech hardware, il est difficile d’attirer l’œil du badaud au milieu d’une foule. Il est important d’expliquer, de prendre le temps, de présenter les différentiations de nos technologies.
Cette année, nous avions décidé d’organiser uniquement des rendez-vous dans les suites en marge du salon.
Pour vous donner un aperçu de ce que cela veut dire concrètement, voici mon agenda du mardi 8 Janvier :
- 7h — Petit-déj au MGM avec le Vice-Président d’une entreprise de semiconducteur
- 9h — Petit-déj x2 au Venetian avec le Head of Audio d’un marque de devices AR
- 10h15 — Meeting avec mon équipe Coréenne arrivée la veille au Venetian
- 10h30 — Meeting avec le Head of Software d’un OEM Coréen
- 11h30 — Je croise par hasard le responsable produit US d’un OEM rencontré à San Francisco il y a 1 an, nous
- prenons 15 minutes pour discuter, nous calons un créneau d’une heure pour vendredi après-midi
- 11h45 — Je saute dans un taxi pour aller du Venetian au Westgate
- 12h — Meeting dans une suite au Westgate avec un fabricant de modules pour smart speakers
- 14h — Meeting dans la suite au Westgate de notre partenaire CEVA (nous avons une démo là-bas) avec une marque de semiconducteurs
- 15h — Retour au Venetian, j’attrape un sandwich au passage
- 16h — Meeting avec une entreprise de software audio allemande avec laquelle nous travaillons sur un partenariat
- 18h — Je rejoins un happy hour organisé par un ODM chinois dans une suite et rencontre plusieurs marques d’audio
- 21h — Je rejoins CEVA pour un dîner amical au MGM
- 23h — Je m’écroule !
À l’issue des quatre jours du salon, nous avons revu la plupart des acteurs avec lesquels nous étions en discussion, avons avancé significativement dans le process de partenariat et avons généré plus d’une dizaine de new leads extrêmement qualifiés.
Je suis convaincu qu’il s’agit aussi du rôle de la French Tech et de Business France de faire découvrir cet aspect là du CES aux startups Françaises. Nous sommes universellement reconnus pour la qualité de notre R&D, mais paradoxalement, nous n’aidons pas nos startups les plus deep-tech à profiter du plus gros évènement annuel sur le sujet.
Voici mes recommandations concrètes pour changer ça :
- Organiser une deuxième sélection de startups en parallèle de la première, centrée sur les entreprises deep-tech, hardware ou software, qui cherchent à rencontrer les équipes produit des plus grosses entreprises hardware
- Sélectionner une dizaine de startups qui démontrent des premières preuves de tractions (1er deals de licensing). Faire payer la participation ~2000–3000 USD par startup.
- Réserver une grande suite au Venetian capable d’accueillir une dizaine de petites tables qui serviront à faire des démos pour chaque startup (deux personnes max). La suite doit également avoir trois salles de réunion qui seront partagées entre les startups. Le coût d’une telle suite est d’environ 20k USD pour la durée du salon.
- Encourager les startups participantes à organiser un maximum de meetings dans la suite. Créer un échange entre les startups présentes pour échanger des leads et pouvoir bénéficier au maximum de la présence des autres.
- Relayer une invitation auprès des communauté French Tech locales pour inviter les Français travaillant dans les plus gros groupes hardware (notamment les communautés de SF, Shenzhen et Taiwan)
- Utiliser l’excellente réputation et l’expertise des antennes Business France à l’étranger pour inviter des décideurs. Je pense notamment aux équipes que je connais personnellement en Corée, au Japon, en Chine, à Taiwan et en Inde qui font un travail exceptionnel.
A l’heure où nous sommes tous d’accords pour dire que le CES doit être bien davantage qu’une opération de communication, mais un véritable tremplin commercial, je pense que nous passons à côté d’une opportunité majeure de promouvoir nos plus belles pépites technologiques.
Chez Tempow, nous aurons probablement notre propre suite l’année prochaine, mais j’aurais donné beaucoup, lors des deux dernières années, pour être dans une suite French Tech plutôt que sur l’Eureka Park.
Alors oui, c’est certainement moins sexy. Nous n’aurons probablement pas 10 minutes de reportage sur TF1. Mais je peux vous garantir qu’une telle initiative serait saluée et appréciée à l’international par l’industrie.
Nous n’aurions peut-être pas Justice ou Kavinsky dans notre suite… mais pourquoi pas Satya, Tim, Sundar, Ren, ou Kim !
Bon allez, là je rêve un peu,
A+
Vincent Nallatamby, CEO de Tempow
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023