En Irak, des startups pour relancer l’emploi chez les jeunes
Avec l'AFP
Dans l’Irak de Saddam Hussein, la fonction publique absorbait chaque année les diplômés. Aujourd’hui, il faut des années pour décrocher un poste de fonctionnaire alors que le secteur privé peine à exister. Pour créer de l’emploi, le leur en premier, les jeunes misent sur les startups.
Les premières jeunes pousses irakiennes ont vu le jour en 2013, mais la percée fulgurante des jihadistes l’année suivante a ralenti leu développement. Une fois refermée la parenthèse du « califat » autoproclamé, les espaces de « co-working » et autres incubateurs ont aidé des dizaines d’entreprises à naître. A Bagdad, le lieu de rendez-vous de prédilection des jeunes startupers, c’est The Station, un cube de verre et de panneaux jaunes en centre-ville, où l’on peut siroter un café, acheter des livres ou lancer son activité aux côtés d’une vingtaine de jeunes entrepreneurs déjà installés. A Mossoul, c’est à Mosul Space qu’on peut trouver conseils, équipements et soutien auprès de Saleh Mahmoud, ingénieur de 23 ans.
Dépasser le piston
Après quatre années passées sur les bancs de la faculté, il a préféré ne pas faire comme ses camarades « qui espèrent tous un piston pour entrer dans la fonction publique« . « Pour moi, l’enseignement universitaire ne permet pas d’avoir un métier dans lequel on s’épanouit« , affirme-t-il à l’AFP. Il a préféré s’embaucher lui-même dans un pays où le taux de chômage parmi les jeunes atteint les 17 % chez les garçons et les 27% chez les filles, et où 60 % de la population a moins de 25 ans.
Ailleurs dans la grande ville du nord irakien qui tarde à se reconstruire, derrière de petites tables mal assorties, deux jeunes ingénieurs tapotent, concentrés, sur leurs ordinateurs portables. Alors qu’au mur des affichettes recensent « les problèmes des jeunes de Ninive« , leur province, lesquels vont du traumatisme de la guerre au manque de matériel informatique, Youssef al-Noaïmi, un entrepreneur de 27 ans, s’active avec son équipe pour répondre aux demandes des clients. Dakakenna, son entreprise de vente d’électroménager en ligne, envoie chaque jour une camionnette livrer « entre dix et quinze commandes » à des foyers qui réaménagent leur logement après la guerre.
« En ligne, on vend moins cher que les magasins parce que nous avons moins de frais, comme la location d’une salle d’exposition« , explique à l’AFP cet ingénieur informatique. Il a lancé sa startup après avoir lui-même été acheteur en ligne lors de son exil aux Pays-Bas pour fuir le groupe Etat islamique (EI).
«Au moins, tenter»
Avant lui, il y a eu Miswag, bon exemple de success story d’une startup en Irak : en 2018, quatre ans après sa création, elle a annoncé un bénéfice de plusieurs centaines de milliers de dollars.
L’Irak n’échappe pas à une règle: « Au niveau mondial, seules 6% des startups réussissent« , souligne Brahim al-Zarari, un des organisateurs du « Start-Up Weekend ». Cet événement a réuni 70 jeunes sur trois jours pour monter de nouvelles startups. « Ce qu’on propose à ces jeunes, c’est de leur montrer ce qu’est l’entrepreneuriat, pas forcément pour qu’ils réussissent mais au moins pour qu’ils tentent« , affirme-t-il à l’AFP.
Ici, comme dans les incubateurs, on martèle deux principes : le service public est saturé et le pétrole n’est pas l’unique ressource sur laquelle doit capitaliser l’Irak, deuxième producteur de l’Opep. Car dans un pays où l’or noir assure plus de 65% du PIB et près de 90% des revenus de l’Etat, les hydrocarbures ne donnent du travail qu’à 1% des actifs.
A The Station, « on veut dire aux jeunes qu’ils peuvent lancer leur projet, réaliser leur rêve et pas seulement se contenter d’un travail de fonctionnaire qu’ils n’ont même pas désiré« , explique son directeur exécutif Hayder Hamzoz à l’AFP.
Une révision du code du travail qui se fait attendre
Une gageure dans un pays où quatre emplois sur cinq créés ces dernières années l’ont été par le secteur public, selon la Banque mondiale. Mais cette tendance, plaident les économistes, doit absolument s’inverser, car l’Etat ne pourra plus longtemps supporter la facture : dans le budget 2019, les salaires des fonctionnaires absorbent plus de la moitié des charges.
Chez les startupers, qui parlent tous un arabe mâtiné de mots d’anglais, tout le monde sait que la tâche sera ardue pour percer. L’Irak est classé 168e sur 190 dans l’index de la Banque mondiale des pays offrant un environnement propice à l’investissement. La révision du code du travail pour aligner la protection des travailleurs du privé sur le secteur public et renforcer leurs avantages sociaux se fait toujours attendre. Et le secteur bancaire, balbutiant, est très frileux quand il s’agit de soutenir jeunes entrepreneurs ou projets inédits, note Tamara Raad, chercheuse sur les startups en Irak. « Les banques ont un rôle à jouer, elles doivent faire des prêts sans intérêt et accompagner les jeunes entrepreneurs« , préconise-t-elle.
Avec ou sans les banques, Saleh Mahmoud a déjà fait ses plans pour 2019. « On va ouvrir un nouvel espace plus grand« , assure-t-il. « Et susciter de nouvelles rencontres » entre designers, développeurs, entrepreneurs et autres inventeurs.