[DECODE] L’AgTech française peut-elle rivaliser à l’échelle internationale ?
Pour bon nombre de Français, agriculture rime avec précarité. Il faut dire que le contexte économique de ces dernières années a mis à rude épreuve les agriculteurs. En effet, la réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices avec une possible baisse de son budget à la clé, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et surtout, le rapport de force disproportionné entre les géants de la grande distribution (Carrefour, Casino, Auchan, Leclerc…) et les acteurs du secteur agricole sont autant d’ingrédients qui compliquent le quotidien des agriculteurs. Autrefois prospères, ils doivent désormais lutter pour assurer le bon fonctionnement de leur exploitation dans une guerre des prix de plus en plus féroce qui dépasse largement les frontières de l’Hexagone.
Et pourtant, malgré les difficultés éprouvées par les paysans, l’agriculture est confrontée à un défi de taille. D’ici 2050, ce sont en effet près de 10 milliards de personnes qui devront être nourries par l’agriculture française et mondiale. Et ce «avec moins d’eau, moins d’engrais, moins de pesticides, moins d’agriculteurs et moins de terres», note Edgar Chaput, co-fondateur et président de Perfarmer, start-up qui développe une application mobile permettant d’aider les agriculteurs à vendre leurs récoltes au bon prix.
La technologie au secours de l’agriculture
Dans ce contexte, quels sont les leviers à disposition des agriculteurs pour produire plus et mieux ? Au-delà de la volonté politique, la technologie semble être le meilleur allié des agriculteurs. Et le vent de l’AgTech qui commence à souffler sur la France soutient cette hypothèse…
Ces dernières années, l’Hexagone a ainsi assisté à l’émergence de jeunes pousses spécialisées dans les innovations agricoles pour dépoussiérer un secteur qui peine à suivre la cadence infernale imposée par les puissance agricoles comme les États-Unis, la Russie ou même le Brésil. Miimosa, Agriconomie, Sencrop, Weenat, Perfarmer, La Ruche qui dit Oui… Toutes ces start-up sont arrivées sur le marché pour fournir aux agriculteurs des outils technologiques conçus pour simplifier leur quotidien et optimiser l’exploitation de leurs terres pour une rentabilité accrue. Objets connectés, crowdfunding, marketplaces ou encore drones figurent ainsi parmi les solutions qui visent à faire entrer l’agriculture dans l’ère du numérique.
2016, envol officiel de l’AgTech française
Signe que le mouvement prend de l’ampleur, l’AgTech est mise en lumière depuis 2016 au Salon de l’Agriculture, avec un espace dédié qui occupe de plus en plus de place année après année. 2016 marque d’ailleurs un tournant dans l’histoire de l’écosystème numérique agricole avec la création de La Ferme Digitale, association créée par cinq start-up (Agriconomie, Ekylibre, Miimosa, Monpotager.com et Weenat).
Portée par Florian Breton, fondateur de Miimosa, plateforme de financement participatif dédiée à l’agriculture et à l’alimentation, et Paolin Pascot, co-fondateur d’Agriconomie, marketplace agricole, cette initiative vise «à faire de la France le berceau européen de l’AgTech et à promouvoir l’innovation et le numérique au service d’une agriculture citoyenne, performante et durable». Après trois ans d’existence, La Ferme Digitale rassemble désormais 30 start-up de l’AgTech française représentant plus de 450 salariés.
La France et l’Europe encore très loin des États-Unis
Si le mouvement semble aller dans la bonne direction, l’AgTech française peine encore à peser sur la scène mondiale. Selon le cabinet DigitalFoodLab, 227 millions d’euros auraient été investis dans les start-up françaises de l’AgTech et de la FoodTech lors de l’année 2018. Un montant qui permet à l’Hexagone de s’ériger en leader européen avec 2,6% investissements mondiaux du secteur. Cependant, un tel pourcentage paraît bien faible face aux États-Unis qui captent près de la moitié des investissements de l’AgTech mondiale. Celle-ci pèse désormais 10 milliards de dollars, bien loin des 185 millions de dollars en 2008.
Pour s’offrir une place plus importante à l’échelle internationale, l’AgTech française et européenne va devoir mettre les bouchées doubles si elle veut éviter de revivre le cauchemar d’une domination sino-américaine. Sur la scène technologique internationale, le Vieux-Continent peine en effet à tirer son épingle du jeu face aux GAFA et BATX qui mènent la danse. Car ces géants, à l’image de Google et d’Alibaba, se positionnent déjà depuis plusieurs années sur le segment de l’agriculture pour étendre encore un peu plus leur domination.
Google et Alibaba veulent injecter de l’IA dans l’agriculture
Google s’est ainsi intéressé à l’agriculture par l’intermédiaire de son bras financier Google Ventures qui a réalisé plusieurs investissements dans le secteur. Le fonds de la firme de Mountain View a notamment soutenu la start-up californienne Farmers Business Network qui s’appuie sur l’analyse des données pour aider les agriculteurs à améliorer les rendements de leurs cultures. En parallèle, le géant américain, via son très secret laboratoire Google X, réfléchit à la manière d’injecter de l’intelligence artificielle dans l’agriculture pour améliorer la productivité des exploitations agricoles.
Le mastodonte chinois Alibaba mise également sur l’intelligence artificielle pour épauler les agriculteurs. La firme de Jack Ma estime en effet que la reconnaissance d’images, la reconnaissance vocale ou encore le machine learning sont autant de technologies permettant d’optimiser les performances des exploitations. Il faut dire que le marché de l’intelligence artificielle dans l’agriculture est amené à croître de manière significative au cours des prochaines années. Évalué à 520 millions de dollars en 2017, celui-ci devrait ainsi progresser de plus de 20% par an pour atteindre 2,6 milliards de dollars à l’horizon 2025, d’après le cabinet Research and Markets.
L’agriculture urbaine pour nourrir les populations citadines
Cependant, la modernisation de l’agriculture ne doit pas exclusivement se faire à la campagne si elle veut relever les défis de sécurité alimentaire auxquels elle est confrontée. C’est pourquoi dans un monde de plus en plus urbanisé, l’agriculture urbaine a le vent en poupe. Derrière ce concept, se cachent des potagers urbains et des fermes verticales qui fleurissent un peu partout dans les métropoles du monde entier. De Paris à New York, le secteur est en pleine croissance et offre une alternative durable à l’agriculture traditionnelle pour subvenir aux besoins des populations urbaines. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ce sont aujourd’hui près de 800 millions de personnes qui pratiquent l’agriculture urbaine à travers le monde.
En 2015, la start-up Sous les fraises a ainsi été la première à ouvrir une ferme urbaine dans la capitale française. Cette société a pris possession du toit des Galeries Lafayette pour cultiver une cinquantaine de variétés de tomates, des pieds de houblon, des framboises, des mûres, du cassis, des fraises ou encore des fleurs comestibles. D’autres initiatives du même acabit ont vu le jour à Paris ces dernières années avec des jeunes pousses comme Merci Raymond et Aéromate. «Les jardins potagers peuvent être jusqu’à 15 fois plus productifs que les exploitations des zones rurales», affirme la FAO, qui estime qu’une «superficie d’un mètre carré peut fournir 20 kilos de nourriture par an».
Paris accueillera la plus grande ferme urbaine du monde en 2020
En bonne position pour être le fer de lance de l’agriculture urbaine en Europe, la capitale française accueillera la plus grande ferme urbaine du monde au printemps 2020 sur le toit du nouveau hall 6 du Parc des Expositions, à Porte de Versailles (XVème arrondissement). S’étalant sur 14 000 mètres carrés, elle permettra à plus d’une vingtaine de maraîchers de cultiver plus d’un millier de légumes et une trentaine d’espèces différentes.
Dans le reste de l’Europe, les initiatives se multiplient également pour développer l’agriculture urbaine. Parmi celles-ci, on retrouve notamment l’entreprise belge Peas&Love, qui exploite des potagers urbains sur les toits au coeur des villes, et la start-up allemande Infarm, qui s’est lancée dans la construction et la commercialisation de fermes verticales dans des lieux urbains, comme des supermarchés, des centres commerciaux, des écoles et des hôtels.
Toutefois, l’écosystème français et européen aura fort à faire face à une agriculture urbaine américaine qui se dote de moyens conséquents pour devenir un leader mondial en la matière. Illustration notamment avec la société Bowery Farming qui cultive des salades et des herbes aromatiques. Créée en 2015, cette entreprise installée à quelques kilomètres de New York a d’ores et déjà levé plus de 120 millions de dollars auprès notamment de Google Ventures et de Dara Khosrowshahi, le patron d’Uber. Autre exemple avec la start-up californienne Crop One qui ambitionne de construire à Dubaï une ferme verticale à 40 millions de dollars. Quant à la plus grande ferme verticale du monde, pilotée par la société AeroFarms, pionnière du secteur, elle se trouve dans le New Jersey.
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