Fab Venture, la nouvelle initiative d’Odile Roujol pour les entrepreneurs mode et beauté
Par Laurence Faguer, expert retail FrenchWeb
Vingt cinq années dans la beauté – et les avions – pour Chanel, Yves St Laurent et L’Oréal. Sept ans dans les Telco chez Orange, coté data. Et depuis trois ans à San Francisco, à créer et développer la première communauté mondiale Fashion et Beauty Tech. Mais à force d’aider les entrepreneurs à entrer en relation avec leurs investisseurs, Odile Roujol a décidé d’ouvrir sa propre structure de Venture Capital. L’occasion parfaite de mieux comprendre avec elle ce secteur de la beauté qui peut accélerer en s’appuyant sur la technologie et la data.
Conversation avec Odile Roujol, fondatrice de FAB co-creation Studio.
Ce que vous allez apprendre
- Le secret pour créer et faire grandir une communauté BtoC à moindre frais.
- Pourquoi il est essentiel de se développer en maîtrisant ses coûts d’acquisition.
- Le rôle d’un venture capital qui investit dans le «Seed Stage».
- Comment la Tech imprègne tout le secteur de la Beauty.
Pourquoi avez-vous décidé de créer une communauté autour de la Beauty et la Fashion Tech?
Odile Roujol : L’idée m’est venue en arrivant à San Francisco. J’étais mentor, notamment auprès des femmes entrepreneuses et bien sûr aussi issues des minorités ethniques, hispaniques et noires américaines. J’ai réalisé que voir ces minority founders six heures par mois n’aurait pas un impact démesuré sur leurs entreprises et qu’elles apprendraient beaucoup plus vite en rencontrant régulièrement d’autres investisseurs et entrepreneurs. C’est pourquoi j’ai créé la communauté Fashion and BeautyTech.
De quoi s’agit-il?
C’est la première communauté mondiale dédiée à la Fashion et la Beauty Tech. Elle compte aujourd’hui 12 chapters et 1500+ membres, des entrepreneurs et des investisseurs qui se réunissent régulièrement lors de meet ups.
La première réunion a eu lieu chez moi à San Francisco, sans micro, les derniers arrivants prenant place dans l’escalier…
Mais très rapidement nous avons été accueilli par des Venture Capital (VC) dans leurs bureaux pouvant accueillir 100 personnes ou plus.
Le format Meet up est encore rare en France. Expliquez-vous
Nos meet ups durent 1h30 avec un prix d’entrée très bas pour le rendre accessible à tous. Ils sont ouverts à tout entrepreneur ou investisseur. En général, l’audience est composée à 70 % d’entrepreneurs femmes et de minority founders.
De quoi parle-t-on?
Ce sont des entrepreneurs qui parlent à d’autres entrepreneurs de leurs parcours, leurs expériences, leur vulnérabilité parfois. Il y a une forme de solidarité. La parole est libre, le ton est très authentique. Et cela démystifie un peu «la vie formidable de l’entrepreneur» selon laquelle tout est facile. Entreprendre, c’est un parcours, une aventure humaine, où chaque jour l’entrepreneur apprend, et il y a bien sûr des bons jours et des jours plus difficiles. Il est courant de voir des startups avoir failli mettre 3 fois la clé sous la porte en 18 mois avant de réussir à générer des revenus ou à lever grâce à la croissance de leur communauté.
Avez-vous un exemple d’entrepreneur qui ait surpris ainsi?
Diishan Imira, le fondateur et CEO de Mayvenn, est un bon exemple. Mayvenn est une marque DTC d’extension de cheveux pour la communauté noire, qui permet aux coiffeurs de vendre ces produits directement, en touchant une commission sans s’embarrasser du stock. Diishan Imira a levé 36 millions de dollars au total, dont une partie auprès de Andreessen Horowitz. Assez naïvement… je pensais que Diishan les connaissait. Mais pas du tout. Il a expliqué qu’au démarrage tous ses pitch se soldaient par un échec, les VCs saluant son concept et son énergie mais répondant que sa start up n’entrait pas dans la stratégie de leur portfolio. Jusqu’à ce qu’il emmène des investisseurs à Oakland, sa ville natale, pour visiter les magasins qu’il voulait disrupter par son business model on line, avec un meilleur rapport qualité prix pour la cliente avec du conseil/ tutorial. C’est à ce moment là qu’il les a convaincu.
Avec le recul, comment expliquez-vous que vous ayez pu créer la première communauté mondiale Fashion et BeautyTech d’une feuille blanche et sans investisseur ni publicité?
Je crois vraiment aux mulitcultural leaders, ceux qui vont à la rencontre d’autres cultures pour continuer à se développer. Je pense que l’on apprend des autres. Lorsque j’étais à la tete de Lancôme, présent dans 135 pays, je passais mon temps dans les avions – Europe, Asie, Moyen-Orient, Amerique latine et Us et déjà la Californie était leader sur le maquillage et les nouvelles marques.
La grande force de la Silicon Valley est qu’elle attire des personnes venant de tous les pays du monde. A San Francisco, j’ai commencé par créer la communauté locale @BeautyTechSF et, le succès aidant, des personnes de différents pays et vivant à San Francisco se sont proposées pour organiser des réunions dans leur villes avec leurs propres investisseurs dans un écosystème qu’ils connaissent bien. La culture et les valeurs sont les mêmes : générosité, partage de ce qu’on a appris, diversité des profils et respect de chacun.
Il existe aujourd’hui 12 chapters. Nous ouvrons à Shanghai, avec un premier meet up le 22 mai. Et Singapour ouvrira juste après. Nous avons déjà des demandes d’autres pays du Sud de l’Asie avec les Philippines par exemple. Nous pensons ouvrir bientôt Dubai, l’Amérique Latine en plus du Brésil et de Tel Aviv.
Mais comment expliquez-vous le succès d’une telle communauté, alors que nous sommes tous inondés de contenus gratuits et pourrions passer notre année à assister à des events sur la Beauty et la Fashion?
La plupart des évènements existants sont sponsorisés et coûteux pour une startups, et mélangent les grands groupes et startups. Les médias mettent en avant par les RP des top venture capitalists les startups qui ont énormément levées et ont des valorisations très élevées. Notre sujet est d’apprendre ensemble de ce qui émerge : insights clients ou nouvelles technologies.
En formant cette communauté, nous voulons inspirer et montrer que tout le monde a le potentiel de réussir. Mettre au même niveau Hims qui a levé 100 millions de dollars et Vintner’s Daughter.
Toutes les start up n’ont pas vocation à entrer dans le «unicorn club»
C’est certain. De grandes entreprises vont se créer et atteindre le milliard de dollars de chiffre d’affaires ou plus, d’autres vont être rachetées par de grands groupes, d’autres encore seront de taille plus réduite mais très forte sur une communauté parfaitement identifiée. Everlane sur la radical transparency inspire de nouveaux entrepreneurs en mode. J’ai toujours soutenu Argent, une marque à mission, celle de fabriquer des vêtements pour les femmes qui s’affirment dans l’entreprise. Sa co-fondatrice et CEO Sali Christeson s’est appuyée sur les Women’s March l’an dernier et les conférences qui soutiennent le leadership au féminin. Ceux sont des exemples parmi d’autres de startups qui ont leurs propres ambitions et business model, et chacune est unique.
Je dis souvent aux entrepreneurs de ne lever que ce qu’ils estiment nécessaire au développement de leur start-up.
Dès les premiers meet up à San Francisco, vous avez reçu des panels formidables, avec des entreprises reconnues. Je pense à Poshmark, Brit + Co, Brandless
Ce qui est formidable, c’est que ces entrepreneurs acceptent de prendre de leur temps pour parler dans une réunion.
Et en novembre 2018… surprise. Vous créez FAB co creation studio. De quoi s’agit-il ?
Le Direct to consumer – souvent un produit – demande de construire une plateforme, d’apprendre de la data, d’être très fort sur les réseaux sociaux, d’animer la communauté et de donner du sens.
Nous aidons la start up à bien comprendre son audience, sa communauté, et à s’adresser aux bonnes personnes pour avoir des advocate ambassadeurs qui vont parler du produit autour d’eux, soit sur les réseaux sociaux, soit de bouche à oreille ou en prescrivant le produit. La règle du commerce reste la même : des personnes convaincues d’un produit qui en parlent à d’autres, ces derniers devenant des clients qu’il faut garder sans que cela ne coûte trop cher.
Sur quel point êtes-vous particulièrement vigilante en travaillant avec vos start up?
Un point essentiel au démarrage: se développer sans avoir de coûts d’acquisition trop élevés.
Il me semble qu’en France, nous sous-estimons la «growth acquisition». La Silicon Valley baigne dans la culture des plateformes – Pinterest, Instagram, Facebook, OpenTable, Bonobos, Stitchfix, AllBirds, Ipsy, Poshmark – toutes ces plateformes qui, en les observant, permettent de comprendre la culture de la data, comment se développer en limitant les coûts d’acquisition et comment garder ses clients.
Pour une start-up, quel est l’intérêt de travailler avec vous?
La logique est d’amener ces entrepreneurs à un niveau où les VCs sont intéressés aux premiers milestones. Donc au-delà de ma propre compétence – brand management, business strategy, market fit, etc – j’ai réuni autour de moi des experts dans des disciplines centrales: Conception Produit, Supply Chain, Design, Growth hacking. Nous somme un écosystème qui faisons grandir et développer ces entrepreneurs, avec des métriques avérés à présenter, tels que le Coût d’acquisition, la taille de la communauté, le taux de croissance, le Net Promoter Score.
Comment sélectionnez-vous vos start-up?
J’ai la chance d’avoir un large réseau, donc des entrepreneurs viennent de la communauté. Parfois un VC me demande mon avis sur tel entrepreneur, qui est encore un peu tôt pour eux en investissement , mais dans lequel ils voient le potentiel. Nous sommes l’étape avant que les VC n’investissent.
Un exemple de start-up que vous avez accompagnée?
J’ai fait une première exit, dans la réalité augmentée, dont je suis très fière ! Agustina Sartori, vient d Urugay et, basée à San Francisco, elle est la fondatrice de GlamST, une fonctionnalité dans l’Augmented Reality assez géniale qui permet de choisir sa teinte de fond de teint en fonction de sa peau. GlamST a été acquis par Ulta et fait maintenant partie de l’équipe Digital innovation de Ulta Beauty.
Y-a-t-il des structures comparables à Fab co-creation Studio?
Cela existe peu en BtoC. Je peux citer néanmoins efounders à Paris, The Hive à Palo Alto, qui est d’ailleurs un de mes advisors, Pionier Square Labs à Seatle, Atomic à San Francisco. Ma vocation est de faire grandir plus vite toute start up dans laquelle je crois.
Une start-up hors des Etats-Unis peut-elle vous contacter?
Fab co-creation Studio est ouvert à toutes les marques mais nous recommandons d’être basé aux Etats-Unis. Je crois beaucoup à la proximité, au café que l’on prend ensemble. Ce temps réel est très important.
Aujourd’hui, pourriez-vous revenir à un poste de direction dans un grand groupe?
J’ai beaucoup de respect pour les grands groupes. Je m’aperçois tous les jours de tout ce que j’ai appris chez Chanel, Yves Saint Laurent et l’Oréal. Le fait d’avoir été CEO de Lancôme m’ouvre des portes. Je sais gérer une marque mondiale, qui fait aujourd’hui 3 milliards de dollars, avec cohérence malgré la grande complexité.
Aujourd’hui, ce qui m’intéresse avec les grands groupes est d’être dans leur advisory council. C’est d’ailleurs ce que je fais pour une grande banque Canadienne.
Mais avoir sa propre entreprise et aider les start up de la nouvelle génération, c’est une manière de continuer à apprendre toute sa vie, cela vous oblige à vous remettre en question de manière permanence. C’est ce qui a toujours été ma façon d’être chez Orange et chez L’Oréal.
Vos sources d’inspiration sont-elles françaises, américaines?
Ce sont souvent des personnes spécifiques. J’ai eu la chance par exemple d’intervenir à China Connect à Paris, à la demande de Laure de Carayon, sa fondatrice, qui faisait s’exprimer des décideurs de grands groupes Chinois. J’ai passé deux jours extraordinaires. C’est une source d’information inestimable d’aller vers des personnes qui sont expertes d’un sujet, comme c’est le cas de Laure de Carayon.
Et je suis très factuelle. Quand une start up me contacte, je vais tout de suite sur des sites neutres, factuels comme FrenchWeb, CB Insights ou Crunchbase pour voir si on parle d’elle, quelle est son équipe, ses advisors. On revient toujours à l’humain, en particulier en «Seed Stage». La confiance se crée par des conversations mais aussi par l’entourage que s’est créé le fondateur.
Avez-vous des secrets de productivité à partager avec nous?
J’aimerai vous dire que je fais 5 minutes de méditation chaque jour…mais non. J’ai pourtant essayé pendant 6 mois… Je fais beaucoup de choses avec mon mari. Nous avons la chance d’habiter à San Francisco à côté de Buena Vista Park, donc je courre presque tous les jours. Autrement, marche à pied, bateau.
Et je me ressource en rencontrant des personnes, sans rien n’attendre de la conversation, dans cette logique de Pay it Forward si fréquente dans la Silicon Valley. La personne respecte votre temps, donc entretien de 30 minutes maxi, mais la personne se souviendra de vous dans deux ans, même si l’entretien n’a duré que 30 minutes.
Et pour finir, quel est le meilleur conseil business que vous ayez reçu?
Je pense qu’un conseil est toujours bienveillant et que la personne projette par rapport à son expérience la solution qu’elle a pour vous. Au mot «conseil», qui est une façon de dire «je sais pour toi», je préfère le mot guidance, accompagner, faire grandir une personne. , en posant des questions, en écoutant. Lors d’un meet up, Nicole Quinn, Partner chez Lightspeed Venture Partners, et qui a accepté d’être le modérateur d’un panel très éloigné de ses sujets habituels, m’a dit après qu’elle avait retenu beaucoup d’insights. C’était le meilleur compliment que l’on puisse faire à la communauté.
Pour aller plus loin
Odile Roujol interviewé par Richard Menneveux sur FrenchWeb
par Edward Morice sur BFM Business
- Beautytech
- Fab Co Creation
- Lire sur Medium les posts d’Odile Roujol relatant les derniers meet-up
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La correspondante :
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est expert US pour FrenchWeb qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.
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