La stratégie d’influence de Facebook pour imposer sa vision du monde numérique
« Je suis convaincu que les gouvernements et les régulateurs doivent jouer un rôle plus actif » dans la régulation d’Internet, écrivait Mark Zuckerberg fin mars dans une tribune publiée dans le Washington Post, le Journal du Dimanche, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, et le Sunday Independent. Le cofondateur et CEO de Facebook semblait alors appeler les pouvoirs publics à travers le monde à réguler davantage sa propre plateforme et les autres géants du numérique, tout en choisissant la manière dont ceux-ci pouvaient être régulés. Il les enjoignait notamment à suivre l’exemple du Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen, entré en vigueur le 25 mai 2018. « Faire évoluer la régulation d’Internet nous permettra de préserver ce qu’Internet a de meilleur – la liberté pour les gens de s’exprimer et l’opportunité pour les entrepreneurs de créer – tout en protégeant la société de préjudices plus larges », affirmait M. Zuckerberg, dont le réseau social fait figure de plateforme de prédilection pour la publication de propos haineux, de tentatives d’influence étrangère, mais aussi d’exploitation des données personnelles.
Il prônait l’importance de mettre en place de nouvelles règlementations dans quatre domaines : les contenus violents et haineux, l’intégrité des élections, la protection de la vie privée et la portabilité des données. Le CEO de 34 ans proposait, quelques jours après l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande et la diffusion de la tuerie en direct sur Facebook Live, la mise en place d’organismes tiers qui auraient pour mission de « définir des standards sur la diffusion des contenus violents et haineux et d’évaluer les entreprises sur la base de ces standards ». Il concédait en outre avoir « trop de pouvoir en matière d’expression » et qu’il était temps « d’actualiser ces règles afin de définir clairement les responsabilités des personnes, des entreprises et des gouvernements ».
Au-delà de cette nouvelle passion pour la régulation se trouve une importante opération d’influence. La mise en place de contrôles plus strictes des plateformes et grands groupes numériques relève aujourd’hui davantage de l’ordre de la certitude que de la probabilité. L’Union européenne a lancé les hostilités avec le RPGD et la réforme du droit d’auteur, et la France, de même que l’Autriche, maintient la cadence avec des projets de « taxes Gafa ». Aux Etats-Unis, des candidats démocrates à l’élection présidentielle de 2020, à l’image d’Elizabeth Warren, ont inclus la régulation, voire le démantèlement, des géants technologiques dans leur programme. Il s’agit donc pour Mark Zuckerberg d’anticiper et maîtriser le plus possible les changements à venir en la matière, afin de se positionner du bon côté de ces nouvelles règlementations tout en réduisant leur impact sur les marges d’exploitation de Facebook. Prôner un durcissement des règles en Europe permet en outre au réseau social d’espérer une mise en place plus aisée de conditions d’utilisation plus restrictives en termes de contenu aux Etats-Unis, où le premier amendement de la Constitution interdit presque tout changement en matière de liberté d’expression.
Les nouveaux records des Gafam en lobbying
La stratégie d’influence avait été particulièrement poussée le mois dernier, lorsque Facebook a publié au total 26 articles publi-rédactionnels dans le Daily Telegraph (en ligne et en print), rapportait au début du mois d’avril Business Insider. Parmi les contenus, qui forment une série intitulée « Being human in the information age » (« Etre humain à l’ère de l’information »), se trouvent des articles sponsorisés qui défendent le réseau social sur des sujets tels que le contenu terroriste, les discours haineux, l’intelligence artificielle, la sécurité en ligne, le harcèlement en ligne, ou encore les faux comptes. Un porte-parole de Facebook a indiqué à Business Insider que l’opération faisait partie « des efforts marketing plus généraux » de Facebook au Royaume-Uni, avec pour but d’ « éduquer et de sensibiliser » le public sur leurs « investissements, initiatives et partenariats locaux ici au Royaume-Uni qui ont un impact positif sur la vie des gens ».
L’opération traduit surtout l’importance croissante que prennent la presse et les médias « traditionnels » dans la stratégie d’influence de Facebook. A noter qu’en janvier, Mark Zuckerberg avait déjà publié une tribune dans plusieurs titres dans le monde, dont Le Monde et le Washington Post pour « clarifier la manière dont Facebook fonctionne ». Au début du mois d’avril, M. Zuckerberg avait en outre annoncé travailler à la création d’une « page actualités » sur sa plateforme, avec l’objectif de soutenir financièrement le journalisme « de haute qualité et digne de confiance ». Sans donner beaucoup de détails sur la forme que prendrait cette nouvelle offre, M. Zuckerberg a simplement précisé qu’elle nécessiterait une certaine sélection dans l’information publiée, ajoutant qu’il espérait la construire en concertation avec les grands groupes de médias.
Rappelons que les géants technologiques, attaqués de toutes parts sur les données personnelles, la diffusion de fausses informations, la fiscalité ou encore d’éventuels biais politiques, battent de nouveaux records en termes de lobbying. En 2018, les Gafam ont dépensé 68,15 millions de dollars pour défendre leurs intérêts auprès du gouvernement américain, selon un rapport règlementaire communiqué au congrès.
Google arrivait en tête avec un record de 21,2 millions de dollars dépensés l’année dernière (contre 18,04 millions en 2017). La firme de Mountain View explosait ainsi son record de 2012 (18,22 millions de dollars). Du côté d’Amazon, 14,19 millions de dollars avaient été investis en lobbying auprès du pouvoir outre-Atlantique en 2018. C’est plus qu’en 2017 (13 millions de dollars). Parmi les intérêts défendus se trouvaient notamment les plans d’assurance maladie, les prix de médicaments et la sécurité alimentaire, selon son rapport transmis au congrès. Nouveau record également chez Facebook, où le réseau social, acculé en 2018 par le scandale Cambridge Analytica, avait dépensé 12,62 millions de dollars pour influencer le gouvernement américain. En 2017, ces dépenses se situaient à 11,51 millions de dollars, selon l’organisme non partisan Center for Responsive Politics. Microsoft et Apple, eux, n’avaient pas battu leur record de lobbying. Le premier avait investi 9,52 millions de dollars en défense de ses intérêts auprès du pouvoir américain en 2018. C’était plus qu’en 2017 (8,5 millions de dollars), mais moins que son record de 2013 (10,5 millions). Le deuxième avait moins dépensé l’année dernière : 6,62 millions de dollars en 2018, contre 7,15 millions de dollars, son record, en 2017.
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